Une flèche formée de pleins de personnes qui se regroupent.
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L’année 2022 n’a pas été de tout repos pour les services de conformité ni pour les conseillers. Dès janvier, ils ont tous deux dû se conformer aux réformes axées sur le client (RAC) dans le secteur des valeurs mobilières.

Même si les RAC représentaient une grosse adaptation, ces derniers ont également préparé et mis sur pied les nouveautés en lien avec la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Charte de la langue française et les exigences du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada. C’est sans compter qu’il leur fallait se préparer à l’abolition des frais d’acquisition reportés des fonds distincts prévue pour juin.

« Le rythme des changements réglementaires est la bête noire de tous les courtiers, dit Yvan Morin, vice-président, affaires juridiques et chef de la protection des renseignements personnels à MICA Cabinets de services financiers. En 20 ans, je n’ai jamais vu des nouveautés réglementaires à ce point intenses dans une période aussi courte. »

Il souligne qu’un changement réglementaire engendre non seulement souvent des coûts technologiques, mais aussi qu’« il faut revoir les politiques et procédures, et la formation tant à l’interne qu’auprès des conseillers ».

De plus, les ressources limitées et les contraintes opérationnelles des firmes et conseillers se marient mal avec les courts délais transitoires des régulateurs. « La capacité d’absorption de tout cela frôle son point de rupture », juge Yvan Morin.

Pas étonnant que lui comme divers dirigeants et responsables de la conformité sondés pour le Pointage des régulateurs ont de la difficulté à croire l’Autorité des marchés financiers (AMF) lorsqu’elle dit être sensible aux préoccupations des petites firmes.

Malgré cette charge de conformité, les répondants sont moins critiques en 2023 qu’en 2022. Pour l’ensemble des régulateurs évalués, la moyenne des notes aux critères d’évaluation est supérieure cette année à celle du sondage de l’an dernier. Ceci témoigne d’une hausse de l’appréciation générale à l’égard des régulateurs, qui s’illustre entre autres dans les critères touchant les communications.

Saine écoute

« De façon générale, nos régulateurs font bien et s’améliorent. Il y a de plus en plus de conversations entre l’industrie et les régulateurs, et c’est sain », estime Adrien Legault, vice-président, directeur général, Québec, d’IDC Worldsource.

Selon lui, l’AMF a une meilleure compréhension des réalités du secteur de l’assurance, notamment grâce à ses inspections ciblées. Par exemple, l’AMF passe une semaine en Estrie durant laquelle elle multiplie les rencontres afin de comprendre les systèmes, les logiciels et la tenue de dossiers des représentants autonomes et des cabinets.

« On ne cherche pas à prendre en défaut le conseiller. Ça donne à l’AMF un aperçu de l’industrie sur le terrain et ça pousse les représentants à s’améliorer », note-t-il. Souvent, les cabinets se tournent par la suite vers leurs partenaires afin d’examiner quelles solutions leur conviennent le mieux.

Ce genre d’exercice amènera le régulateur à trouver un équilibre entre l’obligation d’archiver des documents clients et les protéger des risques de cybersécurité. « Comme agent général, je dois garder les données tant que la police est en vigueur. Ça n’a pas de sens. On devrait pouvoir les supprimer après un certain temps, car c’est plus dangereux sur le plan de la cybersécurité », dit Adrien Legault.

Encore cette année, les répondants en assurance accordent des notes plus faibles à l’AMF que ceux du secteur de l’épargne collective. Le grand nombre de représentants autonomes et de cabinets comptant peu de représentants expliquerait cet écart. « En assurance, l’AMF est beaucoup plus présente auprès des individus qu’elle va l’être en valeurs mobilières ou en épargne collective », affirme Adrien Legault. L’écart proviendrait aussi du fait que l’AMF envisage d’abolir les séries de fonds distincts avec rétrofacturation du conseiller.

Or, certains répondants restent critiques à l’égard du régulateur et de sa sensibilité aux réalités des petites firmes. Par exemple, les RAC ont été « un très gros morceau » à avaler, selon Yvan Morin : « Comme organisation, on a toujours des limites et des enjeux, surtout dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre. »

Dans le secteur de l’assurance, un irritant touche la faible reconnaissance des acquis entre le Québec et ses provinces voisines. « Le représentant qui vend de l’assurance en Ontario depuis 15 ans a-t-il besoin de [refaire sa formation] et faire un examen d’appoint, un stage, etc. ? », s’interroge Adrien Legault.

Un autre irritant porte sur l’obligation qu’un client soit assigné à un représentant et non à un cabinet, ce qui complique le travail en équipe des représentants.

Il n’est pas surprenant que les répondants accordent de faibles notes aux régulateurs à propos de leur fardeau réglementaire, selon Jean-Paul Bureaud, directeur général de FAIR Canada : « Je n’ai pas encore rencontré une seule personne dans le secteur qui dise qu’elle aime être réglementée ! Je ne serais pas surpris que certains pensent que nous pouvons leur faire confiance et que la réglementation n’est pas nécessaire. »

D’après lui, chaque sondé voit le monde de son propre point de vue et selon ses propres intérêts. « Les régulateurs, quant à eux, doivent trouver un équilibre entre de nombreux points de vue et intérêts concurrents lorsqu’ils élaborent des règles. En bref, de nombreux acteurs du secteur se plaindront parce qu’ils ne pensent pas à ces autres considérations ou ne s’en préoccupent pas », ajoute-t-il.

Jean-Paul Bureaud convient que certaines règles n’apportent pas tant de valeur, mais qu’elles sont difficiles à départager de celles qui sont importantes et que l’industrie n’aime pas.

Mieux perçue, la CSF

Du côté de la Chambre de la sécurité financière (CSF), comparativement à 2022, les notes en lien avec les communications les plus en progression portent sur son aptitude à communiquer efficacement et au moment opportun ses priorités ainsi que sur la clarté de ses communications.

« Je ne suis pas surpris. Ça fait des années que la CSF fait des efforts sur le plan des communications. Et ça paraît », dit Adrien Legault. Il souligne entre autres l’effet possible des tournées régionales de la CSF.

« Depuis quelques années, la CSF a démontré des efforts pour mieux communiquer et mieux informer les représentants. Ils sont de plus en plus actifs, par exemple pour leur publication en lien avec la gestion des couples qui se séparent », indique Yvan Morin.

Selon lui, la CSF s’efforce de rendre concrets des sujets d’actualité en tenant compte de la réalité que vivent les conseillers. Yvan Morin note aussi la richesse des informations contenues dans la page InfoDéonto.

« Je tiens à souligner l’ouverture de la CSF, autant à l’écoute qu’à travailler en collaboration avec l’industrie dans l’amélioration des activités. L’Espace courtier/cabinet est un exemple parfait ! » indique un répondant au sondage. (Lire Soutien techno demandé).

Peu d’événements ont marqué l’année dernière, selon Adrien Legault, hormis le fait que Droit inc ait mis en lumière, en avril 2022, « le climat tendu » à la CSF qui serait à l’origine du roulement élevé du personnel, selon le média. La CSF a nié ces allégations et le conseil d’administration a réitéré sa confiance envers la direction de l’organisme.

Par ailleurs, les répondants sont moins sévères envers la CSF que les autres régulateurs relativement aux critères qui touchent le fardeau réglementaire. « Ça ne m’étonne pas. Dans les dernières années, il n’y a pas eu de changements substantiels de réglementation tombant sous la juridiction de la CSF particulièrement », ajoute Yvan Morin.

Communications saluées

Les bonnes communications entre l’industrie et l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (ORCCVM) portant sur la création du Nouvel organisme d’autoréglementation (OAR) en 2022 expliquent entre autres la hausse des notes de l’OCRCVM en matière de communications, selon Julie Gallagher, présidente sortante du Conseil de district de section du Québec de l’OCRCVM et vice-présidente principale et chef de la conformité à iA Gestion privée de patrimoine.

« Pour les membres, les communications étaient claires et faites au bon moment. Il y a eu des comités pour prendre le pouls des membres sur des questions cruciales, dit-elle. L’an passé, ils ont été très proactifs sur le plan des communications. »

Par exemple, l’OCRCVM a écouté l’industrie et changé son approche pour les firmes qui désiraient demander la double inscription auprès du nouvel OAR. Ainsi, l’industrie a proposé deux manières pour un courtier d’avoir la double inscription, ce qui a été adopté par l’OAR et « très bien reçu », estime Julie Gallagher.

Selon elle, l’OAR a écouté également lorsqu’on lui a demandé une pause de nouvelles règles afin de permettre à l’industrie de mettre en oeuvre les RAC.

L’année 2022 a donc été marquée par l’intégration des RAC. Même si celles-ci ont du sens, la lourdeur administrative oblige la firme à démontrer la tenue d’une conversation annuelle avec le client ou l’utilisation d’outils de comparaison de produits. Elles deviennent ainsi dévoreuses de temps pour les conseillers.

« La clé sera l’expectative du régulateur durant les inspections. Est-ce que les contrôles qu’on a mis sont suffisants, ou l’expectative est plus grande et il va falloir en rajouter ? » se demande Julie Gallagher.

Par ailleurs, Julie Gallagher n’est pas surprise que la note de l’OCRCVM quant à l’efficacité de son processus d’inspection passe de 7,8 à 6,4 de 2022 à 2023, considérant le roulement des employés. « Les équipes sont jeunes. Les inspections sont longues. Ils commencent à prendre de l’expérience, mais il y a encore un écart important par rapport à être inspecté par des équipes chevronnées », juge-t-elle.

En outre, elle explique mal pourquoi la note de l’OCRCVM sur le plan de sa capacité à intervenir de façon proactive en cas de comportements déviants a bondi de 7,6 en 2022 à 8,7 en 2023. « Je n’ai pas remarqué de changement de comportement:ils ont toujours été très proactifs. C’est un régulateur qui inspecte régulièrement ses membres et intervient en cas de non-conformité. »

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Comment nous avons procédé

Le Pointage des régulateurs 2023 a été réalisé à partir de sondages web. En tout, 54 personnes ont été sondées du 12 janvier au 23 février 2023. Tous les répondants assumaient des responsabilités en conformité dans un ou plusieurs des secteurs d’activité suivants:assurance de personnes, courtage en épargne collective, courtage de plein exercice, courtage en marché dispensé. Ainsi, des membres de la direction, des directeurs de succursale, des agents et responsables de la conformité au sein des courtiers et des cabinets ont été interrogés. Ils ont été sélectionnés parmi notre liste d’abonnés et dans des listes fournies par des entreprises du secteur. Nous avons également demandé la collaboration de divers acteurs de l’industrie. Nous remercions d’ailleurs tous ceux gui ont permis la réalisation de cette enguête.

Lors des sondages, nous avons insisté auprès des répondants sur le caractère confidentiel de leurs réponses, et ce, afin de garantir un maximum de transparence. Guillaume Poulin-Goyer, rédacteur en chef adjoint, a compilé les données obtenues. Les sondages n’ont aucune prétention scientifigue et visent à améliorer les relations entre l’industrie et ses régulateurs.