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Depuis 2015, le débat portant sur la pertinence de la Chambre de la sécurité financière (CSF) a polarisé l’industrie. L’édition 2018 du Pointage des régulateurs révèle que cet organisme d’autoréglementation semble en avoir à la fois profité et souffert. Son lobbying n’a pas découragé le ministre des Finances de déposer, en octobre 2017, son projet de loi qui prévoit qu’elle soit dissoute et que ses fonctions soient transférées à l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Deux autres rapports montrant du doigt des faiblesses de la CSF, et amplifiés par leur bruit médiatique respectif, n’ont fait qu’envenimer le débat. En mai 2017, la Vérificatrice générale soulignait la récurrence des longs délais d’enquête de la CSF et l’absence de suivi des mesures correctrices qu’aurait dû faire l’AMF auprès de la CSF. En juillet, le rapport d’inspection de l’AMF notait alors qu’«aucune directive n’encadre précisément les potentiels conflits d’intérêts avec les cabinets pour lesquels les enquêteurs ont travaillé, lorsque ces derniers proviennent de l’industrie.»

À première vue, ces vents de face n’ont pas empêché la note moyenne de la CSF de connaître une légère hausse depuis un an, selon le Pointage des régulateurs. L’analyse approfondie dévoile cependant d’autres histoires.

Les répondants du secteur de l’assurance affichent généralement une perception plus favorable de la CSF. La note moyenne des critères sondés est passée de 6,2 à 7,2 sur 10, de 2017 à 2018. Les critères affichant la plus forte hausse par rapport à l’an dernier sont «l’efficacité du processus d’audience disciplinaire», «l’équité des frais imposés par le régulateur» et «le régulateur répond rapidement aux questions soulevées».

De leur côté, les répondants du secteur de l’épargne collective accordent une note moyenne plus faible à la CSF cette année. Cette note est passée de 7,6 à 7,4 sur 10, de 2017 à 2018. Les critères affichant la plus forte baisse en un an sont «l’efficacité du processus d’audience disciplinaire», «la rapidité de réponse aux questions de l’industrie» et «la capacité du régulateur à intervenir de façon proactive en cas de comportements déviants».

L’amélioration de la note du secteur de l’assurance s’expliquerait par la position de la CSF qui s’est opposée à des aspects du projet de loi 141. Elle a déploré que la première mouture du projet de loi permettrait la distribution d’assurance par Internet sans intervention obligatoire d’un représentant.

Ceci peut avoir joué en faveur de la perception à l’égard du régulateur, d’après François Bruneau, vice-président administration, chez Groupe Cloutier Investissements : «La CSF a fait un excellent travail pour dire que le produit est trop complexe pour laisser le client aller tout seul dans ce processus. Ça a attiré la sympathie des gens en assurance de personnes.»

Selon lui, les représentations de la CSF pour assurer sa survie ont aussi suscité de la sympathie. François Bruneau juge qu’elle est bien gérée.

Jean Morissette, consultant auprès de firmes de gestion de patrimoine et ancien président de Services Financiers Partenaires Cartier, perçoit cependant la CSF comme peu proactive. L’organisme a été beaucoup plus préoccupé par sa survie dans les dernières années que par le développement de ses approches, d’après lui : «Cet organisme n’a pas sa raison d’être et devrait être fusionné à l’AMF. C’est l’AMF qui met les vraies guidelines et qui devrait mettre les paramètres de formation qui vont avec [celles-ci].»

L’abolition possible du régulateur crée une importante distraction, déplore Maxime Gauthier, avocat et chef de la conformité de Mérici Services financiers : «C’est dommage, ça les empêche d’améliorer ce qu’ils étaient en train d’améliorer, au rythme où ils étaient partis pour le faire.»

Par exemple, ces dernières années, la CSF s’est rapprochée de l’industrie, applaudit Maxime Gauthier : «On a vu une tournée de la présidente. Je l’apprécie. Elle n’était pas obligée de la faire et elle l’a fait.» Ces efforts lui ont permis de s’adapter à la réalité du terrain, afin de mieux protéger le public et de former les représentants.

«C’est super, mais [ces efforts] n’avaient pas atteint leur plein potentiel. Des gains d’efficacité peuvent être réalisés, mais le chemin pris est porteur», poursuit Maxime Gauthier.

Des répondants au sondage soulignent que la «CSF répond à toutes les questions», que ses règles sont claires et «qu’elle se mouille plus que l’AMF» dans ses réponses. «C’est vrai, mais il y a moins de documents et les communications de la CSF sont plus restreintes. Ce qu’ils ont à gérer comme corpus réglementaire est plus restreint et plus prescriptif, et il y a une tonne de jurisprudence dessus. Ça aide à donner des réponses. La CSF a quand même mis les efforts et les ressources pour donner des réponses.»

Alors que, selon certains sondés, le régulateur offre «de bons outils de formation et un bon cours de conformité en ligne», un autre montre du doigt la profondeur de la formation : «Il faut que les représentants en voient la plus-value.»

Maxime Gauthier constate le défi pour un régulateur de s’assurer de la plus-value de chacune des formations. Il souligne toutefois «la très bonne qualité» des deux cours de conformité obligatoires de la CSF.

Long processus disciplinaire

La lenteur du processus disciplinaire ainsi que les communications difficiles entre les firmes et le service des enquêtes du régulateur semblent des faiblesses récurrentes de l’organisme, selon les résultats du Pointage des régulateurs des dernières années.

En 2016 et 2017, les répondants qui ont commenté le processus disciplinaire étaient unanimes en ce qui concerne sa lenteur problématique. «Le processus est beaucoup trop lent, ils laissent les représentants dans l’incertitude», écrivait l’un d’eux en 2016.

Le sondage de 2018 révèle une amélioration, bien que le temps alloué à ce processus reste au coeur des critiques. «[Ce processus] est très efficace», dit une personne interrogée en 2018, alors qu’un autre le décrit comme «biaisé, inefficace». «On a l’impression que les décisions sont davantage basées sur des enjeux politiques que les vrais enjeux du représentant», dit-il.

Un répondant allègue même que le «processus d’enquête et de jugement de la CSF semble biaisé» et un autre se demande : «Certains membres seraient-ils privilégiés ?» Ces critiques sont invalides, juge Maxime Gauthier.

Il souligne l’indépendance du bureau de la syndique à l’intérieur du régulateur. «On peut critiquer la CSF, mais [sa présidente et chef de la direction] Marie Elaine Farley ne peut pas débarquer dans le bureau de la syndique et dire : « Ça n’a pas de bon sens, il faut qu’on change ça ! »»

Toutefois, l’intransigeance passée de ce bureau a fait mal paraître la CSF, note ce dernier : «On a eu tendance à judiciariser des dossiers qui auraient pu être réglés de manière administrative ou à demander des sanctions sévères pour des infractions qui n’étaient pas répétées dans le temps et [qui étaient] relativement mineures.»

Jean Morissette déplore quant à lui la difficulté de prévoir la décision du comité de discipline : «D’une région à l’autre, tu n’as pas la même décision sur des cas équivalents. C’est un peu une surprise. Ça dépend des gens du [banc du comité de discipline]. C’est moins structuré qu’avec l’AMF ou l’OCRCVM où dans 95 % des cas, tu sais [quel sera] le jugement ou le correctif demandé ou la pénalité demandée.»