Une main séparant deux groupes de personnes.
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Le projet initial de loi 141 offre la possibilité à un consommateur d’acheter de l’assurance sans faire affaire avec un représentant. Selon le Pointage des régulateurs 2018, les avis sont partagés sur cette disposition envisagée par les législateurs.

La Commission des finances publiques a commencé fin février l’examen du projet de loi 141 visant principalement à améliorer l’encadrement du secteur financier, la protection des dépôts d’argent et le régime de fonctionnement des institutions financières. La Loi sur les assureurs est en cours de modification.

L’article 68 proposé de la Loi affirme qu’un «assureur autorisé ne contrevient pas à la Loi […] du seul fait que […] aucune personne physique ne traite avec les preneurs ou, selon le cas, les adhérents». Cependant, le projet de loi réaffirme, dans sa modification de l’article 62, l’obligation pour un assureur de «veiller à ce que le preneur […] soit informé en temps utile des renseignements qui lui sont nécessaires pour une prise de décision éclairée et pour l’exécution du contrat».

Une petite révolution dans le milieu : afin de permettre la vente en ligne notamment, l’obligation de vendre des assurances par l’intermédiaire d’un représentant pourrait être abolie si le projet de loi 141 est adopté dans son état originel.

Selon notre sondage auprès des chefs de conformité, le monde financier est divisé à ce sujet : la moitié des répondants qui a donné son avis sur la question est favorable à l’absence d’intervention obligatoire d’un représentant lors de la distribution d’assurance, alors que l’autre moitié y est opposée.

S’adapter à la volonté du client

Si les avis sont aussi partagés, c’est que cette ouverture à la distribution de produits d’assurance sans représentant touche à un pilier de la protection du consommateur dans le domaine financier ancré depuis longtemps. Ceux qui accepteraient de la voir levée font généralement valoir l’évolution technologique incompatible avec cette obligation.

Les répondants soulignent qu’elle est indispensable aujourd’hui parce que «les clients le veulent» et parce qu’on «ne peut pas empêcher le changement». «La technologie évolue. Maintenant que les robots peuvent faire un bout de travail, la réglementation ne doit pas être un frein à l’évolution. Il ne faudrait pas être en retard sur le reste du monde», fait valoir un chef de conformité.

Néanmoins, la plupart des répondants qui y sont favorables mentionnent l’importance de continuer à bien «informer le consommateur». Il «doit avoir accès en tout temps à un conseiller», affirme l’un d’eux. Un autre se dit favorable à cette nouvelle disposition que si «le système de validation est complet pour que le client soit éclairé, que le client soit dirigé dans ses démarches».

Certains sont favorables au principe, mais pas pour tous les types d’assurance. L’un d’eux verrait bien s’appliquer cette disposition pour les assurances de dommages. «Je le comprends en assurance collective, explique un autre répondant. Cependant, en assurance de personnes, on a besoin d’un conseiller. Les entreprises ont les moyens [d’être informées], mais les particuliers ont besoin [d’être guidés par] un conseiller chapeauté par une autorité».

Cela rejoint les craintes des chefs de conformité défavorables à l’absence d’intervention obligatoire d’un représentant lors de la distribution d’assurance. La plupart mettent en avant la nécessité de protéger le client. Prendre une assurance «de manière technologique, sans contrôle, ça peut être hasardeux pour le client. Le représentant a sa place. Le pouvoir décisionnel doit revenir aux professionnels», insiste un répondant. Un autre rappelle que ça viendrait créer «une brèche néfaste pour les clients», que c’est «contraire à tout ce qu’on cherche à faire depuis 30 ans» pour les protéger.

Les opposants au changement de la Loi sur ce point sont particulièrement inquiets pour les produits d’assurance complexes. «Ce n’est pas un achat de grille-pain, ironise un responsable de conformité. Le risque d’erreur est élevé.» Si on supprime le recours obligatoire à un conseiller, il faudrait que «chaque consommateur devienne un expert en assurances», résume un répondant au sondage.

La nécessité d’avoir un représentant qui explique les produits, s’informe sur la situation du consommateur et lui conseille le meilleur dans son cas reste fondamentale pour la moitié des répondants. Ils restent attachés à «une intervention humaine», que les technologies ne peuvent remplacer, selon eux.

L’AMF favorable

L’Autorité des marchés financiers (AMF), qui a remis un rapport sur le projet de loi 141, a un avis plus mitigé. L’institution ne voit pas d’un mauvais oeil l’évolution de la loi sur la présence obligatoire d’un conseiller lors de l’achat d’une assurance. «On ne partage pas l’inquiétude» des personnes défavorables à cette évolution, explique Philippe Lebel, directeur général des affaires juridiques de l’AMF.

En effet, «même si le projet de loi ne prescrit pas la forme, il demande à ce que l’AMF mette en place un système de renseignement pour que le consommateur ait tout de même l’information». Par ailleurs, il «réaffirme la responsabilité des assureurs par rapport au devoir d’information des consommateurs», précise-t-il. Le cadre est donc posé et il permettra de maintenir la protection des clients tout en s’adaptant à l’évolution du monde avec l’utilisation croissante des nouvelles technologies et des habitudes d’achat.

Aujourd’hui, «il existe des assureurs qui vendent sur Internet, mais sans encadrement particulier», rappelle Frédéric Pérodeau, surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution de l’AMF. Le projet de loi 141 accroît la protection des consommateurs, croit plutôt l’AMF. «Ce qui compte, c’est que le conseil puisse exister, quelle que soit sa forme», résume Philippe Lebel.

L’AMF, qui veut faire preuve «d’agilité et être à l’avant-garde», explique Frédéric Pérodeau, souhaite «protéger les consommateurs, tout en respectant leur volonté» de pouvoir acheter des produits d’assurance sur Internet. «L’AMF va donc s’assurer que l’information et les mises en garde claires, essentielles à la prise de décision éclairée, soient disponibles», conclut Philippe Lebel.