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L’effort que le personnel de l’Autorité des marchés financiers (AMF) a déployé en 2017 afin de mieux comprendre les conseillers et les cabinets a plu aux dirigeants et aux responsables de la conformité interrogés pour l’édition 2018 du Pointage des régulateurs.

Ainsi, le régulateur québécois enregistre des notes moyennes records à la fois de la part des répondants du secteur de l’assurance et de ceux du courtage de plein exercice, et sa deuxième meilleure note moyenne en épargne collective. Finance et Investissement sonde chaque année ceux qui entretiennent une relation avec les régulateurs depuis 2010.

Entre l’édition 2017 du sondage et celle de 2018, la note moyenne des répondants du secteur de l’assurance a connu le plus grand bond, passant de 6,2 à 7,4 points sur 10. Ceux-ci accordent des notes en forte hausse, entre autres sur le plan de la sensibilité de l’AMF aux petites firmes, de l’efficacité de son processus de consultation, de l’efficacité du Tribunal administratif des marchés financiers et de son soutien lorsque l’AMF propose des changements au sein d’une firme.

De 2017 à 2018, la note moyenne des répondants du secteur du courtage de plein exercice est passée de 6,5 à 7,2 points sur 10. Par rapport à l’an dernier, ils accordent des notes plus hautes pratiquement aux mêmes critères que leurs homologues en assurance.

La progression de la note moyenne des personnes interrogées du secteur de l’épargne collective est moins importante que l’an dernier, passant de 7,3 à 7,4 sur 10. Les répondants de ce secteur saluent également la sensibilité de l’AMF à l’égard des petites firmes et son processus de consultation.

Ces dernières années, l’AMF a multiplié les rencontres avec les représentants, les cabinets et les courtiers dans plusieurs régions du Québec, dans la foulée de la consultation sur les réformes ciblées (consultation 33-404) et sur l’option d’abolir les commissions intégrées (81-408). L’industrie a applaudi ces consultations, comme en font foi les commentaires recueillis.

Alors que les avis par rapport aux consultations étaient strictement négatifs en 2016, certains les jugeant alors comme un dialogue de sourds, le portrait est plus nuancé en 2018.

«L’AMF a fait une consultation en tous points impeccable, dit l’avocat Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici Services financiers. L’AMF a fait quelque chose d’impressionnant, de substantiel, de respectueux.»

Pourtant, la consultation avait mal démarré : les régulateurs provinciaux avaient alors un biais idéologique et croyaient à tort que des cas à problèmes étaient généralisés, d’après Maxime Gauthier.

L’AMF s’est montrée plus modeste par la suite, poursuit-il : «Ils ont dit : « On comprend qu’on ne vous comprend pas. On n’a pas saisi les subtilités de l’industrie au Québec. » J’ai trouvé cet aveu courageux.» Maxime Gauthier souhaite que ce changement de culture d’ouverture de l’AMF devienne permanent.

«Dans les deux dernières années, on a senti une bien meilleure ouverture de la part de l’AMF [pour les consultations 33-404 et 81-408], dit François Bruneau, vice-président administration, chez Groupe Cloutier Investissements. Ils ont fait le premier pas pour nous parler, pour comprendre notre réalité.»

«Aujourd’hui, les organisations dans le marché, dont les cabinets en épargne collective, comprennent mieux les attentes de l’AMF qu’il y a trois à cinq ans. La cohabitation est plus facile», explique Jean Morissette, consultant auprès de firmes de gestion de patrimoine et ancien président de Services Financiers Partenaires Cartier.

Ces dernières années, l’alignement entre les règles de l’AMF et celles de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM) a rehaussé les normes s’appliquant aux cabinets en épargne collective au Québec et a simplifié les exigences, indique Jean Morissette.

Une force, l’inspection

La majorité des répondants estiment que leur plus récente inspection s’est bien passée. Alors qu’une personne interrogée salue «l’ouverture et l’approche aidante» de l’AMF, une autre juge que les inspecteurs «perdent leur temps sur des choses» et «devraient mieux connaître chacun des courtiers». «Ce qui aide, c’est une meilleure expérience des inspecteurs. Il faudrait plus de latitude dans les décisions», continue ce dernier répondant.

L’AMF a investi les ressources pour améliorer la fréquence de ses inspections et ses suivis, ce qui est une bonne chose, estime Carmen Crépin, retraitée et ancienne vice-présidente pour le Québec de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières.

Maxime Gauthier apprécie les inspections de l’AMF : «Je ne suis pas certain que j’apprécierais autant de me faire inspecter par l’ACCFM, par exemple. […] C’est stressant et c’est une charge de travail, mais c’est aussi un beau reality test.»

Il salue aussi la consultation du Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance sur l’arbitrage réglementaire entre les fonds distincts et les fonds communs : «Je suis content de voir le leadership que l’AMF a exercé. On avait hâte que se matérialisent les avantages d’un régulateur intégré.»

Cette mise à niveau synonyme de divulgations accrues pour les fonds distincts sera un changement majeur et engendrera de la grogne, prévoit Jean Morissette : «Ça va brasser. Vous aurez des commentaires très négatifs sur l’AMF [de la part] des répondants en assurance dans les prochaines années.»

Selon lui, une éventuelle divulgation des commissions en vente d’assurance de personnes bouleversera cette industrie.

Faiblesses technos

Sur le plan technologique, des répondants perçoivent que l’AMF veut s’améliorer, mais n’est pas encore à la hauteur des attentes. Un répondant déplore qu’«on ne peut pas ouvrir de documents sur cellulaire», alors qu’un autre se plaint des «processus administratifs archaïques», notamment en assurance où ceux-ci sont encore sur papier.

François Bruneau le confirme : «Juste pour le maintien de l’inscription d’un cabinet d’assurance de personnes, c’est beaucoup de papiers, une vingtaine de pages à remplir.»

Une personne sondée note que, pour l’inscription en ligne, le renouvellement des permis, la formation et les accréditations des conseillers, l’AMF et la Chambre de la sécurité financière ont fait beaucoup d’efforts pour offrir des outils informatiques adéquats. Une autre dit que «le site d’échange entre l’AMF et les acteurs du marché est sécurisé, de plus en plus efficace».

François Bruneau est plus critique : «L’AMF est prise dans le carcan gouvernemental de clicSÉQUR, qui n’est pas très convivial et est compliqué. On reçoit une tonne de communications différentes qui entrent toutes à la même place.»

Le portail en ligne pour déposer des documents n’est pas user friendly, selon Maxime Gauthier : «Par exemple, comme courtier, je dois déposer la même preuve de couverture d’assurance responsabilité pour un représentant que celle qu’il doit lui-même envoyer par son propre accès s’il est aussi conseiller en sécurité financière. C’est la même couverture, le même régulateur, mais il faut l’alimenter par deux pipelines différents.»

L’AMF devrait aussi favoriser les bureaux sans papier et la signature électronique. «C’est une industrie qui a encore beaucoup trop de papier, dit Jean Morissette. Encore aujourd’hui, il faut la signature des clients pour des achats, des ventes et des transactions. Ils n’acceptent pas les courriels ou les appels.»

Un répondant déplore que la «réglementation archaïque» limite les développements technologiques. Carmen Crépin souligne l’importance d’adapter l’encadrement aux avancées technologiques afin d’éviter que se crée involontairement un encadrement plus souple pour les fintechs : «C’est bien plus facile de réglementer ce qu’on connaît que de songer à réglementer quelque chose qu’on ne connaît pas. Il y a un danger qu’on sur-réglemente la pratique traditionnelle.» Les coûts technologiques croissants doivent aussi faire partie de l’analyse coût-bénéfices de l’AMF, laquelle gagnerait à être améliorée, selon elle.

Deux poids, deux mesures ?

L’AMF devrait améliorer sa façon d’appliquer des règles, selon quelques répondants. «L’AMF a deux poids, deux mesures en fonction du courtier. Elle n’applique pas les mêmes règles à tous», allègue un répondant.

François Bruneau comprend cette perception, qui semble fondée seulement pour des cas précis. Il donne l’exemple d’un questionnaire de profil d’investisseur qu’il a changé à la demande de l’AMF. Celle-ci trouvait illogique qu’un client qui vise à préserver son capital puisse avoir un profil audacieux s’il tolère bien la fluctuation de ses placements. «On a refait notre questionnaire il y a quatre ans, mais on voit des concurrents qui ont des profils d’investisseurs avec les mêmes problèmes et qui ne se font pas achaler», dit-il.

À écouter plusieurs personnes interrogées, l’AMF adopte des règles qui n’ont pas de sens pratique et «ses exigences ne sont pas réfléchies», ce qui crée un «fardeau réglementaire excessif, étouffant et peu adapté aux nouvelles technologies».

«Beaucoup de divulgation a été ajoutée dans les dernières années. Si le conseiller fait vraiment tout ça, ça enlève beaucoup de temps à l’essentiel de son travail», déplore François Bruneau.

Si les répondants en épargne collective donnent à l’AMF une note peu élevée sur sa capacité à répondre aux questions soulevées, c’est notamment parce qu’elle n’aide pas en amont l’industrie à interpréter les règles, d’après François Bruneau : «L’AMF dit : « Respecte le règlement 31-103 et quand on t’inspectera, on te dira si c’est correct. » Sauf que des fois, tu as investi beaucoup d’argent et tu as mis beaucoup d’effort dans un projet, et tu risques de te faire dire par le service d’inspection, deux à quatre ans plus tard, que tu ne l’as pas fait correctement».

Selon Jean Morissette, l’AMF devrait aussi faire de la formation afin d’aider l’industrie à suivre les nouvelles règles : «Dans les cabinets en épargne collective, les représentants ont de 75 à 80 % de payout rate, et la firme ne peut pas investir beaucoup pour former ses représentants. Elle dépend des fournisseurs et des sociétés de fonds pour ce faire».