Un homme d'affaire assis sur un sablier.
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Même si nous ignorons si les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) interdiront les commissions intégrées, bon nombre de cabinets ont ajusté leur modèle d’affaires afin de résoudre les problèmes soulevés sur les commissions intégrées cernés par les régulateurs provinciaux.

À la question «Votre cabinet a-t-il ajusté des éléments de son modèle d’affaires afin de répondre aux problèmes soulevés sur les commissions intégrées cernés par les ACVM ?», 47 % des dirigeants et des responsables de la conformité interrogés ont répondu oui, soit le même pourcentage que ceux qui ont répondu non, alors que 6 % des répondants ont affirmé qu’ils allaient peut-être le faire. Beaucoup de répondants attendent la position des régulateurs avant de changer leur modèle d’affaires, révèle le Pointage des régulateurs 2018.

«Nous ne sommes pas encore convaincus que le régulateur va procéder à [l’abolition] des commissions. La volonté ne semble pas être là, alors comment doit-on s’ajuster ?» dit l’un d’eux.

Les nombreuses consultations menées par l’Autorité des marchés financiers (AMF) dans la dernière année lui ont permis de mieux comprendre l’industrie et de faire évoluer sa position sur le sujet, selon François Bruneau, vice-président, administration et investissement, chez Groupe Cloutier : «Il y a eu une grande ouverture de sa part. Elle semble avoir bien compris notre point de vue.»

Lors de leurs consultations, les ACVM auraient récolté certaines propositions répondant à des problèmes ciblés, et dont la mise en oeuvre ne nuirait pas de manière importante aux épargnants ainsi qu’à la structure de l’industrie, présume pour sa part Maxime Gauthier, représentant en épargne collective et chef de la conformité chez Mérici Services Financiers.

Pour cette raison, il s’attend à un resserrement des conditions pour se prévaloir des commissions intégrées, mais lui non plus «ne croit pas qu’à ce stade, il soit encore question d’une abolition».

Maxime Gauthier croit également au renforcement des règles permettant les commissions intégrées et les frais d’acquisition reportés (FAR), et reste néanmoins convaincu que «dans certains cas, le recours aux [FAR] peut être raisonnable».

Il cite en exemple le conseiller en début de carrière gérant des comptes dont l’actif est plus modeste et qui doit tirer de son travail une rémunération raisonnable.

Mouvement de fonds

Selon les ACVM, les commissions intégrées engendrent des conflits d’intérêts qui entraînent un décalage entre les intérêts des gestionnaires de fonds d’investissement, des courtiers et des représentants ainsi que de ceux des investisseurs. Elles limitent la connaissance, la compréhension et le contrôle des coûts de la rémunération des courtiers par les clients. Les ACVM jugent que les commissions ne concordent généralement pas avec les services fournis aux clients.

François Bruneau est d’avis que plusieurs pratiques ont déjà évolué dans l’industrie, particulièrement depuis la mise en oeuvre de la deuxième phase du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2).

«La question des frais n’a jamais été autant d’actualité, dit-il. On ne se le cachera pas, le fait de divulguer la rémunération au client a forcé une certaine autodiscipline chez des conseillers et des courtiers.»

La situation n’étonne pas Jean Morissette, consultant auprès de firmes de gestion de patrimoine et ancien président de Services Financiers Partenaires Cartier. «Divulguer à ton client ce qu’il paye vraiment a eu pour résultat de rendre intolérables plusieurs pratiques et niveaux de coûts appliqués dans le passé, affirme-t-il. Le conseiller n’est juste plus capable de justifier à son client les frais facturés par rapport au service qu’il offre.»

Malgré cela, Jean Morissette observe que bon nombre d’organisations fonctionnent encore selon un vieux modèle d’affaires basé sur la transaction. Selon lui, ils «vont être obligés rapidement de faire la transition».

Parmi les répondants au sondage, certains ont signalé des ajustements à leurs politiques et procédures dans le but d’encadrer l’utilisation des fonds à frais de sortie. «Nous avons fait une revue complète des risques de conflits d’intérêts liés à la rémunération, de nos politiques et de nos outils de surveillance», évoque l’un d’eux.

D’autres citent en exemple l’imposition de balises en matière d’âge, d’horizon de placement et de valeur des actifs pour utiliser les FAR, à l’instar de ce qu’a fait le Groupe Cloutier. «Chez nous, le recours aux fonds à [FAR] est beaucoup plus ciblé et presque devenu marginal, affirme François Bruneau. En moins de quatre à cinq ans, nous sommes passés de 65 % de nos ventes dans des fonds à frais de sortie, à moins de 30 %.»

Trop tôt pour agir ?

S’il constate que plusieurs acteurs, tant du côté des manufacturiers que des réseaux de courtage ont choisi d’adapter leur pratique, Maxime Gauthier estime que c’était prématuré.

«Je comprends ceux qui ont voulu le faire, que ce soit par anticipation de la réglementation ou par conviction, mais je crois que les gens ont peut-être bougé trop rapidement», affirme-t-il. Certains manufacturiers de fonds auraient frustré des conseillers et des cabinets en supprimant la souscription par FAR.

Selon Maxime Gauthier, les régulateurs ont toujours affirmé qu’en cas d’abolition des commissions intégrées, l’industrie bénéficierait d’une période de transition raisonnable pour s’ajuster. Les ACVM doivent faire part de leur intention à l’industrie au printemps 2018.

«Les gens ont peur de l’avis d’intention qui va être publié par les ACVM. Mais cet avis sera suivi par un projet de réglementation, qui lui sera suivi par une autre consultation et ultimement par l’adoption d’un véritable règlement», dit-il.

Les ACVM doivent à la fois régler les enjeux de la réglementation et laisser l’industrie continuer à opérer sans faire des sacrifices importants, d’après lui.

Chaque firme fait une évaluation différente de la situation selon son modèle d’affaires, mais il n’en demeure pas moins qu’une très grande firme avec un actionnaire imposant a la capacité d’investir massivement dans certaines solutions technologiques, ce qui n’est pas le cas d’un acteur plus modeste, souligne Maxime Gauthier.