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C’est ce qu’on comprend de l’analyse faite par Marc Beauchemin, avocat senior aux affaires juridiques et réglementaires et secrétaire adjoint de la Chambre de la sécurité financière (CSF). Le juriste commentait ainsi l’encadrement proposé par l’Autorité des marchés financiers (AMF) sur la distribution d’assurance par Internet à l’occasion du Congrès 2018 de l’assurance et de l’investissement, mardi dernier, à Montréal.

Selon cette proposition de cadre, lorsqu’un client souscrira une assurance de personne par internet, celui-ci pourra, s’il le désire, faire appel à un conseiller afin d’obtenir du conseil financier. La responsabilité du représentant et celle du cabinet seraient alors partagées entre autres en fonction du niveau d’intervention du représentant dans la transaction. Il faudrait évaluer la situation au cas par cas, tel que le rapportait Finance et Investissement.

« Le conseiller ne peut pas dire : “Parce que c’est internet et c’est un autre mode de distribution, mes obligations vont être différentes.” Non, les obligations restent les mêmes. Le conseiller doit en être conscient, a indiqué Marc Beauchemin, lors de l’événement. S’il est intervenu, c’est sa responsabilité et c’est sa responsabilité au complet. »

Selon lui, si un conseiller en sécurité financière fait une intervention spécifique lors de la vente d’assurance en ligne, il devra en [comprendre] les conséquences : « Est-ce que c’est son conseil qui a amené à la vente du produit? Est-ce que c’est son conseil qui a amené que le produit [vendu] n’est pas bon pour le client et qu’il y a des problèmes par la suite? Il doit prendre tout cela en considération. »

Un conseiller qui interviendra dans la vente d’assurance par internet devra, à l’occasion, résister aux pressions de son cabinet ou aux instructions de celui-ci qui lui demande de passer vite sur certains éléments, d’après Marc Beauchemin.

« Vous êtes des professionnels. Nous, à la Chambre, on ne regarde pas ce que le cabinet vous a dit. On vous regarde vous et le conseil que vous avez donné, dit-il. Est-ce que vous avez respecté vos obligations? Peu importe l’influence, si le produit ne convient pas, vous avez le devoir de dire : “Non, ce produit n’est pas pour vous. ” Ce n’est pas parce que vous avez eu des instructions quelconques que vous allez vous disculper de votre responsabilité professionnelle. »

Enjeux réglementaires

L’AMF mène une consultation sur l’encadrement proposé lié à la vente d’assurance par internet jusqu’au 10 décembre. Et la responsabilité partagée entre le représentant et le cabinet risque de susciter certains commentaires étant donné les défis de ce nouveau concept, d’après Marc Beauchemin.

« C’est un des défis avec le projet de règlement. On parle d’intervention du représentant, mais on ne qualifie pas son intervention, a-t-il dit. Quelqu’un peut juste répondre à une question, mais cette question peut être fondamentale au type de produit qui peut être [distribué]. S’il y a une erreur, comment va-t-on régir cela? Si un représentant accompagne tout au long du processus de souscription, c’est un autre genre d’encadrement. Actuellement, on est pris avec un autre code de déontologie qui n’est pas adapté à cette situation-là et il va falloir en tenir compte par rapport au régime final [qui sera adopté]. »

Un autre défi, sur le plan juridique, sera de rendre une plateforme et un cabinet responsables de leurs gestes au même titre qu’un représentant l’est, comme le prévoit l’encadrement proposé, selon Marc Beauchemin : « Je comprends qu’ultimement, c’est le cabinet qui est responsable, à moins que ce soit le représentant qui est intervenu et que c’est lui qui a fait la faute déontologique. C’est beau dire qu’il y a une responsabilité [partagée], mais comment on l’applique? Ce n’est pas encore démontré. Ce n’est pas évident d’imposer des obligations qui sont normalement celles d’une personne physique à une personne morale et comment vais-je la sanctionner? »

Il reste encore certaines zones d’ombre dans le projet de règlement, notamment sur le degré d’implication du conseiller certifié dans une transaction, d’après Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici Services financiers.

« Est-ce que [le représentant] répond à une seule question? À deux questions? Est-ce que ce sont des questions significatives ou accessoires? Est-ce qu’il y a un accompagnement plus substantiel ? Il y a beaucoup de cas de figure », s’interroge-t-il.

« La volonté [de l’AMF] semble d’avoir beaucoup d’imputabilité au sein du cabinet. Le cabinet qui décide de distribuer par internet va devoir le faire comme du monde, en respectant le consommateur, a affirmé Gino-Sébastian Savard, président de MICA Services financiers.

Selon ce dernier, le projet de règlement semble créer des règles équitables pour tous. « Le régulateur semble aller vers une solution qui ne sera pas le gros party pour celui qui travaille sur internet et toute la paperasse pour celui qui travaille comme conseiller [de manière plus traditionnelle] », a estimé Gino-Sébastian Savard.

Mise en garde et prudence

De manière unanime, les trois derniers intervenants ont ainsi lancé à l’auditoire de conseillers un appel à la prudence.

Selon Gino-Sébastian Savard, les conseillers qui travaillent sur internet devront s’assurer de ne pas conseiller un client qui réside dans une province où ils n’ont pas un permis d’exercice. Ils devront aussi ne pas excéder leurs compétences, par exemple en conseillant un client sur des produits en valeurs mobilières alors qu’un conseiller n’aurait que le permis de représentant en assurance de personnes.

« Si vous avez l’intention de vous lancer dans la vente par internet. Soyez prudent et allez chercher l’information », a soutenu quant à lui Maxime Gauthier.

Dès que la nouvelle réglementation finale sera en place, un conseiller devrait la lire, s’assurer de la comprendre afin d’incorporer à ses services de bonnes pratiques d’affaires, selon Gino-Sébastian Savard : « Qu’est-ce qu’une adjointe avec permis peut maintenant faire? Qu’une adjointe sans permis peut faire? Qu’est-ce que je peux systématiser en développant des outils technologiques que vous allez avoir développés au sein de vos organisations ? C’est votre responsabilité de vous approprier la nouvelle réglementation lorsqu’elle sera arrivée. »