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Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) risquent d’accroître l’arbitrage réglementaire en interdisant l’option des frais d’acquisition reportés (FAR) sur la vente de fonds d’investissement, croient des membres de l’industrie.

À moins que les régulateurs canadiens du secteur de l’assurance de personnes n’interdisent simultanément les FAR sur les fonds d’investissement et les fonds distincts, la décision des ACVM creusera le fossé réglementaire entre l’encadrement de ces deux produits. Rappelons que les fonds d’investissement sont des valeurs mobilières, alors que les fonds distincts sont des produits d’assurance et que ces deux produits n’ont pas le même encadrement légal et réglementaire.

« Est-ce que le conseiller qui détient une double licence [courtage de fonds commun et courtage d’assurance de personnes] ne pourrait pas dire : “Moi, tous les clients ayant moins de X $ à investir, je ne les envoie pas en fonds commun de placement, mais je les envoie en fonds distincts, car je vais pouvoir continuer d’avoir une commission de vente avec frais d’acquisition différés [ou FAR]” », mentionne Maxime Gauthier, chef de la conformité de Mérici Services financiers.

« Est-ce que le fonds distinct est réellement le bon produit pour ce client? On peut toujours monter un argumentaire pour le justifier, mais je vois une brèche. Je comprends que les ACVM n’ont pas juridiction sur le côté de l’assurance, mais l’Autorité des marchés financiers (AMF) est un régulateur intégré et ça fait partie de sa mission de protéger le client, peu importe le canal de distribution », ajoute-t-il.

L’AMF poursuivra ses réflexions entamées dans le domaine de l’assurance, notamment celle portant sur la gestion des incitatifs et celle amorcée avec ses pairs régulateurs canadiens en vue de maintenir un encadrement réglementaire harmonisé entre les fonds communs de placement et les fonds distincts, mentionne le régulateur québécois, dans un communiqué. Les différentes parties prenantes seront interpellées en temps opportun pour participer à ces réflexions.

Les frais d’acquisition reportés en fonds commun de placement sont similaires aux FAR en fonds distinct, toutefois, il y a des différences à tenir en compte, avertit Mathieu Simard, conseiller expert, fonds d’investissement, à l’AMF.

Par exemple, certains assureurs vont forcer les conseillers à rembourser la commission reçue selon l’option à FAR si le client décidait de racheter ses parts de fonds distincts avant un certain délai, explique François Bruneau, vice‑président administration ‑ Investissement, chez Groupe Cloutier Investissements.

« Les réflexions et les travaux se poursuivent. Je vous rappelle qu’on publie des orientations du côté des commissions intégrées. Il y a une consultation officielle qui aura lieu à l’automne. Du côté du Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA), il y a un agenda très chargé. On continue d’harmoniser les deux régimes », indique Mathieu Simard, en entrevue avec Finance et Investissement.

Maxime Gauthier comprend cette volonté d’harmonisation, mais reste sceptique : « On a un système à deux vitesses. D’un côté, on va avoir une proposition règlementaire claire, avec une orientation claire et une échéance claire. Et de l’autre côté, on va regarder et on va réfléchir. À moins d’avoir un rattrapage du côté de l’assurance, au mieux, il va y avoir une période de temps pendant laquelle il va y avoir un arbitrage réglementaire. C’est là où j’ai un problème. On ne peut pas créer ce genre de distorsion temporaire dans un marché qu’on veut efficient. Ça ne fait pas de sens. »

Vers des abandons de permis

François Bruneau s’attend davantage à ce que des conseillers ayant à la fois le permis de distribuer des fonds d’investissement et le permis de distribuer de l’assurance de personne en viennent à abandonner le premier permis.

« Quelqu’un qui a un book de 1 ou 2 M$ [en actif sous administration] en fonds communs, lequel génère 10 000 à 15 000 $ de commission de suivi par année, il va se poser la question. Est-ce que ça vaut la peine que je paie mon permis à 750 $, mon assurance responsabilité, que je paie le frais de mon courtier ou est-ce que j’abandonne le permis pour vendre des fonds distincts », dit François Bruneau.

La possible abolition des FAR crée aussi un risque qu’un conseiller concentre ses activités sur la distribution d’assurance de personnes, comme l’assurance vie ou l’assurance invalidité, ainsi que sur la distribution de prêts hypothécaires ou de produits de services bancaires, selon les intervenants interrogés. En interdisant les FAR, les ACVM risquent, malgré eux, d’envoyer aux conseillers le message suivant : « Concentrez vos activités sur les produits les plus rentables pour vous. »