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Les organismes de réglementation du Canada ont un travail difficile : trouver le juste équilibre entre trop d’encadrement et pas assez, dans un monde où le changement bouleverse rapidement l’ordre établi. Finance et Investissement les a souvent critiqués et a montré du doigt les risques d’une charge réglementaire inadéquate ou de changements réglementaires trop coûteux. Tout en continuant de plaider que ces organismes doivent trouver le juste équilibre entre protection des investisseurs et encadrement adéquat de l’industrie, notre équipe souhaite examiner les nombreux défis de cette quête.

D’abord, les organismes de réglementation et d’autoréglementation jouent un rôle essentiel. Leurs interventions visent à maintenir la confiance dans le système financier et éviter les coûteux dérapages découlant d’une malversation d’un participant du marché ou d’un prétendu participant.

Par contre, ils jouent un rôle ingrat que bon nombre de policiers comprennent bien. Personne n’aime être pris en défaut pour une infraction au Code de la sécurité routière et, de surcroît, devoir payer une amende. Or, bon nombre de gens sont soulagés lorsque ces mêmes policiers mettent hors d’état de nuire un danger public à bord d’un véhicule.

Cette comparaison un peu simpliste illustre l’une des difficultés auxquelles font face les régulateurs, soit d’avoir la réponse adéquate aux risques et enjeux actuels et potentiels : tantôt jouer un rôle de prévention, d’éducation ; tantôt surveiller, suivre et intervenir pour recadrer les mauvais comportements ; et tantôt sortir l’artillerie lourde contre les fraudeurs et filous de ce monde.

S’ajoute à cette trame de fond une série de défis avec lesquels les régulateurs doivent composer, rendant leur travail particulièrement ardu. En voici quelques-uns.

Résistance au changement. Dans tout changement se trouve une part de résistance. Et il est facile d’en montrer du doigt les conséquences inattendues et de militer contre ce changement, surtout s’il est coûteux à implanter. Probablement que les régulateurs devraient étoffer davantage leur analyse des coûts et des bénéfices pour l’industrie et pour les consommateurs afin que les changements proposés passent mieux.

Règles du jeu équitables. On s’attend à ce que les règles soient uniformes parmi les participants du marché. Or, par le passé, ça n’a pas toujours été le cas. Héritiers de l’histoire juridique et réglementaire d’un pays ou d’une province, les régulateurs doivent composer avec ces écarts et faire des efforts en matière d’harmonisation.

C’est loin d’être facile. Des intérêts commerciaux sont en jeu. Ceux qui sont les plus encadrés dénoncent ceux qui le sont moins. Que le régulateur favorise ou non l’harmonisation des règles, il sera critiqué. La résistance du secteur de l’assurance à l’abolition possible des séries à rétrofacturation du conseiller est un bon exemple des efforts d’harmonisation des régulateurs qui sont réprimés et critiqués.

Concurrence réglementaire. Les régulateurs du secteur de l’assurance et des valeurs mobilières ne sont pas seuls au monde. Les parlements fédéraux et provinciaux, et autres organismes qui administrent les nombreuses lois qui touchent ces secteurs directement ou indirectement effectuent constamment des ajustements aux lois ou aux règlements ou en ajoutent de nouveaux. Normal : ils s’ajustent au monde qui change.

Les réformes réglementaires sectorielles s’inscrivent donc dans l’ensemble de ces ajustements. Par exemple, dans notre dossier du Pointage des régulateurs 2023, Yvan Morin, vice-président, affaires juridiques et chef de la protection des renseignements personnels à MICA Cabinets de services financiers, notait que la somme des ajustements demandés mettait une forte pression sur son organisation.

L’Autorité des marchés financiers (AMF) a beau vouloir quelque chose, elle fait partie des Autorités canadiennes en valeurs mobilières et du Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance, entre autres. Si un régulateur d’une autre province priorise un projet, l’AMF devra en tenir compte dans son programme de réformes réglementaires. Cette concurrence réglementaire reste un défi lorsque l’AMF détermine la date d’entrée en vigueur de toute réforme.

Il n’est pas étonnant qu’il soit difficile pour les régulateurs de déterminer la cadence appropriée pour implanter leurs changements et qu’ils essuient des critiques en ce sens, comme le montrent les résultats du Pointage des régulateurs de 2023.

Volontés politiques. Le rôle des régulateurs est éminemment politique. Qu’ils soient un administrateur des lois provinciales du secteur financier ou un organisme d’autoréglementation financé par ses membres, les organismes de réglementation doivent composer avec les volontés politiques des gouvernements, les tendances à la réglementation ou à la déréglementation, le lobbying entourant leurs réformes ainsi que les forces et faiblesses des divers appareils gouvernementaux. C’est sans compter que, tout comme les autres entreprises, un régulateur doit s’accommoder de ressources limitées, de contraintes liées à la pénurie de main-d’oeuvre et l’importance d’avoir une culture d’entreprise saine.

Dans ce monde où « la perception de la population représente la réalité », les consommateurs de produits et services financiers trouveront souvent que les réformes ne viennent pas assez vite, alors que l’industrie, elle, trouvera qu’elles arrivent trop vite. Les régulateurs doivent trouver un juste équilibre à travers tout cela, ce qui n’est pas simple.

Malgré ces défis, les régulateurs peuvent agir. L’écoute et le dialogue avec l’industrie permet de comprendre la réalité sur le terrain, de transmettre des messages porteurs et de déceler et corriger certains mauvais comportements. Mettre en place une vigie des tendances et une équipe d’experts multidisciplinaires afin d’en comprendre les conséquences aide pour s’adapter au rythme effréné des bouleversements technologiques. Améliorer sans cesse leurs services de renseignements afin de harponner rapidement les fraudeurs qui font tout pour passer sous le radar fait aussi partie des nombreux outils dont ils disposent.

Les organismes de réglementation continueront d’avoir un rôle d’équilibristes difficile. Ils doivent malgré tout aspirer à jouer ce rôle de leur mieux avec le soutien à la fois de l’industrie et des différents gouvernements.