Malgré une forte progression de leurs cours boursiers, les sociétés ont de la difficulté à faire croître leurs bénéfices de façon soutenue, alors que les économies européennes sont confrontées à une croissance qui demeure faible, soutient Matt Moody.

À court et moyen terme, selon lui, les politiques d’assouplissement quantitatif poussent à la hausse les valorisations des actifs, comme on le voit en Europe cette année. À long terme cependant, elles détruisent les économies et sont par conséquent néfastes pour la valeur des actions.

«Ces politiques aboutiront probablement à une mauvaise affectation du capital, ce qui contribuera au ralentissement de la croissance, à l’instabilité du système financier et à la disparité des revenus. Nous ne savons pas jauger les risques qu’elles posent, puisque ces risques nous sont inconnus, ces politiques n’ayant jamais été appliquées auparavant», prévient-il.

Les technos sous-pondérées

Matt Moody dit chercher des titres de sociétés qui ne dépendent pas d’une forte croissance de l’économie pour réussir, mais dont le bilan est solide s’il y a des problèmes dans le système financier ou d’un autre ordre. Les sociétés ciblées affichent aussi un haut rendement du capital. Lorsque la valorisation en Bourse de cette courte liste de sociétés devient attrayante, elles sont ajoutées au portefeuille.

Très concentré, le fonds Ivy Européen ne détient que 17 positions. Deux titres ont une pondération de plus de 7 %, et les 10 titres les plus importants comptent pour 56 % du portefeuille. Cela ne l’a pas empêché d’enregistrer la volatilité la plus faible des fonds d’actions européennes pour les périodes de 5 et 10 ans.

«Nos critères de sélection nous éloignent de sociétés pour lesquelles nous ne pouvons faire de projections à long terme. C’est pourquoi nous sous-pondérons habituellement les titres de technologie. Par contre, c’est l’inverse pour les titres de consommation de base, qui ont des avantages concurrentiels durables dans leurs marques», précise-t-il.

Le fonds ne détient qu’un titre financier, celui d’Admiral Group PLC, un assureur I.A.R.D. situé au Royaume-Uni. À 7,4 % du portefeuille, ce titre est la position la plus importante dans le fonds.

«Nous n’avons pas détenu de banque depuis 2005. Les banques sont intrinsèquement fragiles, compliquées et fortement endettées par nature, et dans le cas de l’Europe, il y a encore beaucoup d’incertitudes quant aux règles du jeu, voire du terrain de jeux, pour la prochaine décennie. Il est très difficile de faire des hypothèses à long terme au sujet des différentes banques», soutient Matt Moody.

Titres dopés par la BCE

«Ce à quoi nous assistons depuis quelques mois est le découplage des valorisations par rapport aux données économiques fondamentales. La hausse de prix s’explique essentiellement par l’annonce du programme d’achats d’actifs de la Banque centrale européenne (BCE), qui pousse les investisseurs vers des catégories d’actif plus risquées. Il n’y a eu aucune amélioration de la performance économique, et les gains potentiels, qui découlent de la baisse de l’euro, pour les sociétés de l’eurozone axées sur les exportations, n’ont aucune commune mesure avec la brusque appréciation de leurs titres en Bourse», convient Matt Peden, cogestionnaire avec Michael Hatcher du Fonds Europlus Trimark. L’encaisse du fonds oscille entre 15 et 17 % depuis plusieurs mois.

Matt Peden estime que le potentiel de croissance à long terme du PIB réel (après inflation) est de l’ordre de 1 à 2 % en Europe.

Pour obtenir de la croissance dans cet environnement, on peut choisir des sociétés axées sur le commerce extérieur, notamment avec les pays émergents et avec les États-Unis. On peut aussi dénicher des sociétés eurocentriques dans des secteurs d’activité qui affichent une croissance interne supérieure au PIB.

Un exemple est la société suisse Sonova Holding AG, le principal fabricant d’appareils acoustiques du monde. Ce secteur est favorisé par le vieillissement de la population.

Une autre société qui bénéficie de cette tendance est l’allemande Carl Zeiss Meditec AG, chef de file mondial dans la fabrication de microscopes d’examen et d’opération, et de cristallins artificiels pour les opérations de la cataracte. Plusieurs pays émergents investissent davantage dans l’équipement destiné à ces interventions. La cataracte est l’une des plus importantes causes de cécité qui peut être prévenue dans ces pays.

Gare aux actions moins chères

La société de biens de consommation de base Unilever profite de la croissance des pays émergents, où elle génère 57 % de son chiffre d’affaires, notamment en Europe de l’Est, en Asie, en Amérique latine et en Afrique. Unilever est établie en Inde depuis plus de 100 ans, et son réseau de distribution lui donne accès à plusieurs régions rurales. Les marques d’Unilever y sont perçues comme des marques locales.

Le titre est cependant pleinement évalué, concède Matt Peden. Toutefois, le rendement en dividende d’environ 3,5 % et la croissance beaucoup plus élevée des revenus en provenance des pays émergents justifient qu’on le conserve.

«Nous préférons détenir une excellente entreprise pleinement évaluée plutôt que de l’échanger pour un titre de moindre qualité qui se vend moins cher. Au moment où tout dans le marché devient cher, nous ne voulons pas faire de compromis sur la qualité des titres en portefeuille», explique Matt Peden.

La pondération du secteur de la consommation de base approche 33 % du fonds, par rapport à 14 % dans l’indice MSCI Europe ($ US). Cette surpondération se fait surtout aux dépens du secteur bancaire, qui ne compte que pour 6,1 % du fonds, par rapport à 22,3 % pour l’indice.

Titres volatils

«Lorsqu’un pays ou une région introduit un programme de détente quantitative, un rallye boursier s’ensuit. Que l’augmentation du prix des actions soit durable dépend cependant des données fondamentales sous-jacentes. Or, les banques centrales introduisent ces mesures en temps de crise, cette fois des pressions déflationnistes dans le cas de l’Europe», estime Chuk Wong, cogestionnaire avec Benjamin Zhan du Fonds Valeur européenne Dynamique.

«Une solution purement monétaire est toutefois insuffisante, et elle doit être accompagnée de réformes afin de rendre les économies européennes plus concurrentielles. Seul le temps dira si l’Europe parviendra à les mettre en place. Si c’est le cas, il y a là un argument très fort pour ces économies», ajoute Chuk Wong. Il se dit prudemment optimiste quant à l’amélioration de la conjoncture en Europe.

Chuk Wong croit que les actions européennes sont désormais sur une pente ascendante où les sommets et les creux seront toujours plus importants que ceux qui les ont précédés (higher highs, lower lows), mais demeureront volatils. C’est que le cycle des bénéfices en Europe est à un stade moins avancé que celui des États-Unis, où le pic des marges bénéficiaires est chose du passé, et où plusieurs sociétés ont commencé à afficher des bénéfices inférieurs aux attentes.

Vents favorables

«L’économie européenne bénéficie de la convergence de trois facteurs : la chute rapide du prix du pétrole, la chute de l’euro et la chute des taux d’intérêt. La baisse de la devise est fantastique pour les économies de la zone euro, dont les exportations de biens et services représentaient 26 % de leur PIB en 2013, par rapport à seulement 13,6 % aux États-Unis, selon la BCE. Les bénéfices des sociétés européennes ont atteint le creux du cycle en 2014», note Chuk Wong.

«Si l’économie cesse de reculer, et si la croissance mondiale est décente, il y a plus de chances que les sociétés européennes annoncent des surprises positives quant à leurs résultats. Si c’est le cas, les multiples des bénéfices, qui peuvent sembler élevés, se contracteront très rapidement», poursuit Chuk Wong.

Rappelons que l’indice MSCI Europe (en dollars américains) se négociait à 16 fois les bénéfices prévus des 12 prochains mois au 31 mars dernier, par rapport à 17,3 pour le MSCI USA.

Les sociétés de biens de consommation cycliques représentent 43,5 % du fonds, par rapport à seulement 11,6 % de l’indice. «Mais elles ne se comportent pas toutes de la même façon pour autant. Certaines sont des entreprises régionales, d’autres ont une envergure internationale. Elles sont très différentes. Nous ne sommes pas exposés à un seul secteur», défend Chuk Wong.

Un titre favori et le plus important en portefeuille est celui de la société horlogère Swatch Group, que Chuk Wong qualifie de meilleure de sa catégorie (Best in Class), notamment en raison de ses marges très élevées, de son endettement nul et de son excellent positionnement pour tirer parti de l’élargissement de la classe moyenne dans les marchés émergents.

Évidemment, lorsque le franc suisse a bondi récemment, à la suite de la décision de la banque centrale suisse de le laisser flotter, le titre a rapidement perdu 22 % de sa valeur. Il devenait alors intéressant d’en acheter davantage.

«Le modèle d’affaires de l’entreprise est unique. Swatch est le plus important fabricant de composantes de montres suisses. Si vous êtes un fabricant de montres suisses, il n’y a qu’une poignée de fabricants de mouvements de qui vous devez vous les procurer, et Swatch est le plus important», note Chuk Wong.