Un robinet d'où sort un billet de banque.
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L’autorité des marchés financiers (AMF) en a déçu beaucoup ces derniers mois. En 2019, l’AMF a notamment alourdi le cadre réglementaire avec les réformes axées sur les clients et avec l’abolition de l’option de souscription avec frais d’acquisition reportés (FAR), frustrant au passage certains membres de l’industrie qui jugent qu’il s’agit de la goutte qui fait déborder le vase.

Les résultats du sondage mené dans le cadre du Pointage des régulateurs illustrent cette frustration. De 2019 à 2020, la note moyenne de l’AMF est passée de 7,0 sur 10 à 6,3 pour les répondants du secteur de l’assurance de personnes, et de 7,1 à 6,6 pour ceux du secteur du plein exercice (voir le tableau ci-dessous). Pour ces deux secteurs, l’AMF affiche sa pire note en trois ans et revient à ses notes moyennes du Pointage des régulateurs de 2017, moment où l’industrie connaissait des défis technos afin de répondre aux exigences de divulgation de la phase deux du Modèle de relation client-conseiller.

De 2019 à 2020, la note moyenne accordée à l’AMF par les répondants du secteur de l’épargne collective est passée de 7,1 à 6,9. Cette dernière note est la pire qu’ait récoltée l’AMF auprès de ce secteur depuis 2012.

Le Pointage des régulateurs 2020 montre que l’AMF enregistre notamment ses meilleures notes pour la clarté de ses communications et l’efficacité de ses inspections. Le régulateur affiche toutefois ses pires résultats pour sa capacité à tenir compte de l’impact financier de ses politiques sur l’industrie et à maintenir le fardeau de la réglementation à un niveau acceptable pour le représentant et la firme. L’AMF obtient de faibles notes pour sa sensibilité aux préoccupations des petites firmes.

«On n’en a rien à cirer des problèmes des petites firmes. Que ce soit du côté assurance ou du côté placement, on s’en fout», lance Guy Duhaime, président du Groupe Financier Multi Courtage.

L’AMF se fiche de l’impact financier de ses politiques, d’après James McMahon, président, région du Québec, du Groupe Financier Horizons : «Ce n’est pas une préoccupation pour eux. Ils veulent protéger les consommateurs et ça coûtera ce que ça coûtera aux firmes.»

L’abolition des FAR, prévue pour juin 2022, illustre bien le manque de sensibilité de l’AMF et sa faible capacité à tenir compte de l’impact financier de son cadre réglementaire, selon Guy Duhaime. Le régulateur québécois est allé de l’avant même si des membres de l’industrie l’ont averti, lors de ses consultations, que ce serait entre autres «une débandade de l’entrée en carrière pour les petites firmes», car leurs conseillers débutants se priveraient d’importantes sources de revenus durant leurs premières années.

«Un conseiller ne peut pas travailler fort, récolter des actifs, rencontrer des clients, les amener au restaurant et ne gagner que 10 000 $ brut par an, dit Guy Duhaime. Ça démontre qu’on favorise la grosse entreprise.»

«On a un problème de relève dans l’industrie et on s’en va dans un mode de rémunération qui va l’accentuer. Pour se lancer en affaires en épargne collective et se faire une paie en étant 100 % à honoraires ou à commission nivelée, c’est quasi impossible», juge Yan Charbonneau, président directeur général d’AFL Groupe Financier. Lire «L’abandon des FAR propulsera la segmentation» en page 13.

«On va tuer une industrie dans le but de protéger le consommateur. Ça me fait peur. On dit : « Tous les clients qui ont moins de tant d’actif à investir, on n’a plus les moyens de les servir, donc, qu’ils aillent dans les endroits où ils vont avoir un service de moindre qualité ou être servis par des machines »«, ajoute-t-il.

La décision de l’AMF, en décembre, a également frustré certaines personnes qui ont investi beaucoup de temps en vain à essayer de convaincre le régulateur d’encadrer les FAR plutôt que de les abolir, dont Maxime Gauthier, chef de la conformité de Mérici Services Financiers.

«S’ouvrir, comme l’a fait l’AMF durant ses consultations, ça peut créer des attentes. Tu as espoir d’avoir été entendu et que ça va donner le résultat espéré. Quand tu es confronté à la réalité et que les choix qui sont faits ne sont clairement pas ceux que tu voudrais, il y a un ressac. À part perdre beaucoup de temps consacré à cette consultation, tu te demandes ce que tu as obtenu. Ça a dû jouer [dans les notes accordées à l’AMF]», explique Maxime Gauthier.

Pour cette raison, il n’est pas surpris de la baisse des notes de l’AMF par rapport au processus de consultation.

L’écart entre les notes de l’AMF en 2020 et celles de 2019 semble donc illustrer l’amenuisement du capital de sympathie, durement gagné par ce régulateur ces dernières années avec ses tournées régionales liées à son processus de consultation.

La position de l’AMF sur les FAR démontre que la communication entre elle et l’industrie reste difficile, selon James McMahon : «Ils nous entendent, mais ne nous écoutent pas.»

«Ils ont un objectif, ils sont focalisés sur eux-mêmes et ils font leurs affaires. Ils n’écoutent pas les préoccupations des cabinets», poursuit-il.

Coûteuses réformes

Depuis octobre, l’industrie doit composer avec un réel échéancier pour les réformes axées sur les clients, qui entreront en vigueur en deux phases. La première porte sur les conflits d’intérêts et les dispositions connexes en matière d’information sur la relation ; elle entrera en vigueur le 31 décembre 2020. La deuxième phase, qui comprend toutes les autres réformes, sera en force un an plus tard.

«Que ce soit une grande ou une petite firme, c’est une pression financière qu’ils mettent sur nous», estime James McMahon.

Les firmes devront former les représentants pour qu’ils connaissent bien le produit et posent davantage de questions au client afin de s’assurer de la convenance, selon lui. Les courtiers réviseront leurs formulaires et leurs procédures et devront superviser leurs représentants en ce sens.

«Pour nous, les firmes, ça prendra plus de personnel, des systèmes technologiques capables de superviser tout cela, pour que ça coûte moins cher. C’est de l’investissement», ajoute James McMahon.

Guy Duhaime abonde dans le même sens. «On a des limites à accepter des augmentations de réglementation, dit-il. Elles représentent des coûts supplémentaires qu’on ne peut pas refiler à personne [parce qu’on est] dans une industrie hautement compétitive.»

Les nouvelles exigences vont rendre plus complexe son travail, alourdiront ses coûts de conformité et risquent d’accélérer la consolidation dans le secteur de l’épargne collective, prévient Maxime Gauthier. «Des fois, on a l’impression que c’est un gros rouleau compresseur qui avance et que ce n’est pas toujours facile de ne pas se faire emporter. C’est possible de passer au travers, mais il commence à y avoir de l’écoeurement chez beaucoup d’acteurs de l’industrie. « Régulateurs, si vous voulez des banques et rien d’autre, dites-le clairement. »«

James McMahon donne l’exemple suivant de lourdeur réglementaire. Depuis quelques années, les firmes doivent s’assurer qu’un client a accès à une tarification préférentielle lorsque la valeur de son actif dépasse le seuil de 100 000 $ auprès d’un même manufacturier de fonds. «Certaines sociétés de fonds communs le font automatiquement, mais certaines ne le font pas. Et il faut faire le suivi. Sur le plan technologique, il faut que nos systèmes s’adaptent pour suivre, parce qu’on est aussi responsable pour ça. Il faut investir dans des systèmes pour suivre ces transactions.»

Selon Maxime Gauthier, il est temps de mener des travaux pour réduire le fardeau des intermédiaires de distribution, à l’instar de la consultation de l’AMF pour diminuer le fardeau des gestionnaires de fonds d’investissement.

L’AMF devrait déployer davantage d’énergie à surveiller et harponner les vrais fraudeurs, plutôt que de nuire aux activités des représentants, selon Yan Charbonneau : «On a l’impression que l’AMF vise plus le petit conseiller que celui qui fait une vraie fraude complexe.»

Selon lui, l’AMF devrait être davantage sensible aux petites firmes : «C’est complexe, leur réglementation. Ce n’est pas adapté pour quelqu’un qui n’a pas un avocat qui travaille pour lui à temps plein. On ne sent pas qu’on a un appui quand on est une petite firme. C’est la même réglementation que tu aies 17 G$ d’actifs ou 3 G$.»

D’après James McMahon, la rapidité des changements bouleverse l’industrie, d’où la pertinence de ralentir le rythme d’implantation des réformes : «C’est cette impression de changements rapides qui fait qu’on a moins confiance ou qu’il y a une moins bonne compréhension ou une moins bonne communication entre les régulateurs et les services de conformité des agents généraux.»

Par ailleurs, selon Yan Charbonneau, la volonté de l’AMF d’absorber la Chambre de la sécurité financière (CSF) expliquerait en partie la baisse significative des notes attribuées par les répondants du secteur de l’assurance de personnes : «L’AMF a essayé de se débarrasser de la CSF, ils ont inévitablement aussi créé un mécontentement dans l’industrie.»

En outre, l’AMF devrait aider les agents généraux (AG) à mieux superviser les conseillers en sécurité financière, ce qui passe par leur reconnaissance juridique, juge Yan Charbonneau : «Si un de mes agents fait n’importe quoi, je peux le dénoncer à l’AMF, mais il va changer d’AG et c’est tout. Le fait que notre statut ne soit pas enchâssé dans la loi fait que c’est difficile pour nous d’aider dans ce processus.»

Pour s’améliorer, l’AMF peut miser sur ses échanges avec l’industrie, par l’intermédiaire de divers comités, dont l’un auquel participe Guy Duhaime : «Les gens qui y sont avec nous sont très bien intentionnés et des fois ils comprennent des choses qu’ils n’avaient pas comprises avant. Mais est-ce qu’on va être capables d’influencer certaines règles ? Ça, on va le voir dans les années qui viennent. Que ce soit à l’AMF ou à la CSF, il faut qu’ils nous donnent du temps pour nous habituer. On n’est pas obligés d’être toujours à pleine vapeur pour tout changer et adapter les règles.»

Commentaires portant sur l’AMF

Éléments où ils étaient divisés

– Ses communications sont claires pour certains, mais d’autres déplorent que son personnel ne soit pas bilingue. «Trouver quelque chose sur Internet, c’est impossible», dit un autre répondant.

– Sa capacité à intervenir de façon proactive en cas de comportements déviants s’est améliorée dans les dernières années, mais l’AMF tolère encore bien des choses, comme des contrats illisibles et des commissions abusives.

– L’AMF s’est améliorée pour la tenue de ses consultations, notamment en consultant les petites firmes et en faisant des tournées partout au Québec. Cependant, ces consultations seraient chaque fois trop compliquées.

– Le personnel de l’AMF se préoccupe des petites firmes, mais pas l’organisation elle-même.

– Ses frais sont raisonnables, selon un répondant. Un autre dit : «Tout le monde se plaint des coûts. C’est trop cher.»

– Les échanges avec les inspecteurs de l’AMF sont généralement respectueux et cordiaux. Toutefois, plusieurs répondants déplorent des lacunes : processus d’inspection inefficaces, trop exigeants et trop coûteux, inspecteurs parfois inexpérimentés, exigences déraisonnables de l’AMF sur le plan des délais pour répondre aux demandes du régulateur, délais trop longs pour que l’AMF livre son rapport.

– L’AMF s’est améliorée dans sa réponse aux changements technologiques dans l’industrie, selon un répondant, mais un autre déplore que le régulateur comprenne mal la réalité des firmes et soit dépassé sur ce plan.

Éléments où ils étaient majoritairement négatifs

– L’AMF se fiche de l’impact financier de ses politiques, car seule la protection du public lui importe. Le fardeau de la conformité est important, quelle que soit la taille de l’entreprise, ce qui est déplorable.

– Le régulateur est mou dans la façon d’appliquer ses politiques et ses règlements, car plusieurs firmes devraient «avoir un permis sur le marché dispensé, mais ne l’ont pas, ce qui crée une concurrence déloyale».

Avis de nos commentateurs 

Sur la lourdeur du fardeau réglementaire. «La frustration liée à l’AMF vient principalement de ça. On ne sent aucune compassion de leur part, ils font juste en ajouter.» – Yan Charbonneau

Sur la clarté de ses communications. «Quand on appelle l’AMF, c’est toujours la même réponse qu’on reçoit. On nous dit dans quel article de loi ça s’applique. On n’est pas des avocats, donc c’est très difficile à interpréter. La CSF fait un meilleur travail et nous aiguille de façon plus juste.» – Yan Charbonneau

«Quand on appelle pour demander une précision sur quelque chose, on nous dit de nous référer à la loi. Mais c’est eux qui appliquent la loi, pourraient-ils nous aider ? On paie des cotisations chaque année à l’AMF et on veut qu’elle nous dise que ceci sera interprété de telle ou telle façon. Au lieu de ça, on se fait répondre deux affaires différentes en parlant à deux personnes différentes.» – Guy Duhaime

«La réglementation en valeurs mobilières et dans une certaine mesure la réglementation en assurance de l’AMF sont basées sur des principes. Et le but de ces principes est d’édicter des objectifs généraux à atteindre. Tu ne peux pas t’attendre à ce qu’un principe te donne la recette. Je comprends qu’il y en ait qui aiment les recettes très précises, mais si ça fonctionnait comme ça, on serait tous pareils.

«L’approche par principe permet une certaine flexibilité pour tenir compte des modèles d’affaires, des réalités du terrain. Je comprends les insatisfactions, car certains veulent des réponses plus précises, mais l’industrie a deux choix : soit tu vas dans une grande organisation qui va te dire précisément quoi faire et ne pas faire et peut-être que ces limites ne te plairont pas ; soit tu peux vivre dans un environnement où les limites ne sont pas les mêmes, où elles ne sont pas imposées par quelqu’un qui va te donner la recette exacte à suivre. Il faut arrêter de s’attendre à ce que l’AMF nous dise quoi faire. Il faut que l’industrie accepte de faire ce bout de chemin-là. Sinon, on va perdre toute liberté et après on va chialer qu’on vit dans un monde aseptisé.» – Maxime Gauthier

Sur les frais imposés. «Ce n’est pas tant la cotisation, elle est juste, mais c’est le temps nécessaire à la conformité qui, lui, est exponentiel.» – Yan Charbonneau

«Lorsqu’il décident de changer les procédures, eh bien, ils les changent et on doit assumer des frais en fonction des procédures. Si quelqu’un n’est pas capable d’être en affaires en raison des frais, il devrait vendre.» – James McMahon

Sur la formation des inspecteurs et les inspections. «Un inspecteur, ça prend un minimum de deux ou trois ans de formation avant de comprendre tout ce qui se passe. C’est un peu normal. Or, on ne tombe pas toujours sur l’inspecteur qui fait ça depuis sept à huit ans. Ce qui froisse les gens, c’est quand on tombe sur ces personnes plus ou moins formées : la facture n’est pas en conséquence.» – James McMahon

«On a demandé de retarder l’inspection de quelques semaines, parce que notre chef de la conformité revenait en poste après un long congé. Ça a été un non-lieu. On a été obligés de prendre d’autres ressources pour produire les tonnes de documents. L’AMF s’enfarge dans les fleurs du tapis pour des affaires qui ne sont pas réellement importantes.» – Guy Duhaime

«Une inspection, c’est exigeant pour l’entité inspectée. Ça vient avec. De plus, il est vrai qu’il y a un enjeu sur le plan de la rotation du personnel de l’inspection. Il y a des délais aussi. J’ai été inspecté en avril, et j’ai eu mon entrevue de sortie en février. Je n’ai pas reçu mon rapport encore. Je ne blâme pas l’AMF, parce qu’ils m’ont expliqué pourquoi c’était long. Pour le processus en lui-même, j’ai eu des discussions extrêmement enrichissantes avec les inspectrices. Je n’avais pas l’impression qu’elles cherchaient à pointer des choses qui n’avaient pas d’allure. C’était constructif, raisonnable, à propos, il y avait du respect dans l’échange. Par ailleurs, j’ai encore du mal à avaler qu’il y ait des factures en valeurs mobilières pour les inspections, mais pas en assurance de personnes, alors que l’AMF est un régulateur intégré. Ça m’écoeure.» – Maxime Gauthier

Sur l’AMF qui serait dépassée dans ses réponses aux changements technologiques. «C’est juste, comme critique. Par contre, les organismes de réglementation ne sont pas voués à être à l’avant-garde de la technologie. On signe encore des formulaires papier. Les signatures électroniques commencent seulement à être reconnues. On n’a pas évolué tant que ça quand je regarde d’autres secteurs d’activité, comme l’assurance générale, où clairement ils ont pris les devants.» – Yan Charbonneau

«L’AMF fait certains efforts. On aimerait qu’elle en fasse plus. Des mesures d’accompagnement ou de clarification de certaines zones d’ombre quant au recours à la techno pourraient être mises en place. J’adorerais que, dans le cadre de l’inspection, un crack informatique tente de craquer mon système pour voir où il y a des failles de sécurité et comment les combler. Je serais plus heureux de payer ma facture avec une telle valeur ajoutée.» – Maxime Gauthier