Un homme d'affaire assis sur un sablier.
inueng / 123rf

Les réformes qui se font attendre à la Chambre de la sécurité financière (CSF) ainsi que les frustrations que cause son processus disciplinaire semblent expliquer en partie la diminution de la satisfaction envers cet organisme d’autoréglementation en 2020 par rapport à l’an dernier.

C’est, entre autres, ce que montre le sondage mené auprès des responsables de la conformité à l’occasion du Pointage des régulateurs 2020.

La note moyenne de la CSF s’établit à 6,9 sur 10 pour les répondants du secteur de l’assurance de personnes, et à 6,8 sur 10 pour ceux du secteur de l’épargne collective. En 2019, la note moyenne accordée par chacun de ces groupes était de 7,3 et de 7,1 respectivement.

Les notes moyennes de la CSF en 2020 restent parmi les plus fortes enregistrées dans le groupe de régulateurs, comme le montre le tableau de la page 14.

La CSF récolte ses pires notes pour son aptitude à considérer l’impact financier de ses politiques sur l’industrie, sa capacité à maintenir le fardeau de la réglementation à un niveau acceptable pour le représentant, et l’efficacité de son processus d’audience disciplinaire.

Ce régulateur obtient ses meilleures notes pour la clarté de ses communications, sa rapidité à répondre aux questions soulevées par l’industrie et son habileté à communiquer ses priorités.

D’abord, difficile d’isoler un facteur qui explique la baisse des notes de 2019 à 2020.

«C’est peut-être un problème de communication entre les gens de conformité et la CSF», dit James McMahon, président, région du Québec, du Groupe Financier Horizons.

Il ajoute que son organisation a de bonnes relations avec la CSF : «Peut-être que les changements sont rapides, ce qui fait que les gens comprennent plus ou moins ce qui s’en vient et son effet sur nos pratiques.»

La déception qu’ont entraînée les changements annoncés en 2019 par l’Autorité des marchés financiers (AMF) assombrirait possiblement la perception à l’égard de tous les régulateurs, selon Maxime Gauthier, chef de la conformité de Mérici Services Financiers : «Si l’on est en colère contre l’AMF, ça se peut que la note de la CSF passe à la trappe.»

Selon lui, la CSF doit encore aborder des enjeux soulevés lors des discussions entourant le projet de loi 141 et dans le dernier rapport d’inspection de la CSF par l’AMF, notamment par rapport à la formation continue. Résultat, certains seraient restés sur leur faim, estime Maxime Gauthier : «La CSF a peu livré de concret dans la dernière année. Des comités travaillent, mais ils n’ont encore accouché de rien. La PDG et son équipe ont fait une tournée régionale, mais ça n’a pas livré de résultats concrets. On perçoit un changement de ton bienvenu de la part du nouveau syndic, mais il n’y a pas encore de résultat concret. Y aurait-il un changement d’approche, ou la continuité ? Je ne sais pas.»

Il n’est pas surprenant que la CSF, dont la priorité est la protection du public, ait sa pire note quant à sa considération de l’impact financier de ses politiques sur l’industrie, à l’instar des autres régulateurs, selon Guy Duhaime, président du Groupe Financier Multi Courtage : «On sent qu’ils s’en sacrent comme de l’an 40 !»

La lourdeur du fardeau réglementaire fait que beaucoup de cabinets et courtiers se sentent surchargés. Pour s’assurer que les règles les plus importantes pour la protection du public sont connues de tous, Guy Duhaime suggère que l’AMF et la CSF se coordonnent afin d’accorder des unités de formation continue à la lecture des communications et documents essentiels : «Comme ça, vous réglez un problème de l’industrie et vous serez sûrs que cette communication sera vue par 50 à 60 % de votre monde.»

Guy Duhaime n’est pas étonné de la note attribuée à la CSF quant à sa capacité à maintenir le fardeau de la réglementation à un niveau acceptable pour le représentant : «Les régulateurs n’y arrivent pas, car il y a beaucoup de réglementation. Du côté de la CSF ou de l’assurance, la réglementation est toutefois plus simple que celle des fonds communs.»

Frustrations récurrentes

L’efficacité du processus disciplinaire reste une faiblesse relative qui est récurrente d’année en année pour la CSF, selon les répondants au sondage. Ceux du domaine de l’assurance accordent 6,9 sur 10 à ce critère et ceux du secteur de l’épargne collective, de 6,3.

Le fait que le courtier ou l’agent général ne soit pas informé des motifs d’enquête touchant un représentant continue de les déranger. «Je n’ai aucune donnée pour savoir si je resserre un peu ou beaucoup mes mesures de surveillance du représentant. La CSF, en vertu du principe de confidentialité d’un dossier d’enquête et de la présomption d’innocence, refuse de confirmer ou d’infirmer quoi que ce soit. Et c’est normal», illustre Maxime Gauthier.

«Il va falloir qu’on trouve une façon d’arrimer tout cela, poursuit-il, mais je comprends que ce n’est pas simple pour eux.»

Selon des répondants, les délais d’enquête et les délais du processus d’audience disciplinaire sont trop longs. «Ça pourrait être amélioré, mais c’est loin d’être évident. Quand il y a une plainte, les délais sont longs et les décisions mettent beaucoup de temps à être annoncées. Si on regarde le palais de justice, ce n’est pas mieux. Quand on se compare, on se console», dit James McMahon, qui se demande si la CSF pourrait déployer plus de ressources pour s’améliorer.

Il reste toutefois sensible au conseiller visé par une enquête ou une démarche disciplinaire qui traîne. «Ce n’est pas très sécurisant pour le conseiller. Que ce soit la CSF ou l’AMF, ils placent une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Il peut être suspendu ou perdre son travail», poursuit-il.

Ce représentant devient alors moins productif, ce qui nuit à son agent général ou son courtier, note Guy Duhaime. Cela a aussi un coût pour l’industrie lorsque la CSF fouille à fond des dossiers sans faute grave et sans client lésé et qui devraient être fermés plus rapidement, à son avis : «Si j’ai un Tonton Macoute qui passe trois mois dans un dossier plutôt que trois heures, c’est nous tous qui payons. Il faut trouver une façon de s’occuper des dossiers importants et dangereux.»

«On dirait qu’ils veulent prouver qu’on a vraiment besoin d’eux autres pour ne pas disparaître…», ajoute-t-il.

Guy Duhaime estime que la CSF et ses enquêteurs devraient avoir plus d’ouverture envers les divers services de conformité des firmes pour qu’ils puissent les aider : «On pourrait contribuer à réduire des coûts.»

Même si on ne comprend pas la longueur de certaines étapes du processus disciplinaire, on doit garder en tête les avantages du système, selon Yan Charbonneau, président directeur général d’AFL Groupe financier : «Le processus est long, mais la discipline par les pairs est beaucoup plus juste et reste moins coûteuse que la discipline devant les tribunaux comme dans les autres provinces, où c’est un débat de textes de loi, et où on veut trouver la faille de la faille dans la faille. Par contre, on peut reprocher à la CSF qu’on ne soit pas tenu au courant.»

Pour s’améliorer, la CSF devrait mener certaines enquêtes plus rondement et cesser de judiciariser certains dossiers, estime Maxime Gauthier. Elle pourrait s’inspirer de la réforme du processus disciplinaire de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), qui prévoit notamment une démarche accélérée pour régler des contraventions mineures n’ayant causé aucun préjudice aux investisseurs.

«Si avoir un processus allégé pour des infractions qui ne sont pas majeures, ça permet de consacrer plus de temps et de ressources à ramasser les cas lourds, c’est gagnant, dit Maxime Gauthier. Plus on est capable de sanctionner ou d’intervenir rapidement, plus on réduit le risque de récidive.»

Guy Duhaime, qui a vu des plaintes qu’il juge non fondées traverser un processus complet, abonde dans le même sens : «Si tu as un dossier majeur, tu prends un processus complet, mais autrement tu prends le processus le plus allégé possible.»

Points forts

Par ailleurs, nos intervenants sont d’accord avec les sondés qui accordent de bonnes notes à la CSF sur le plan de ses communications.

«Les bulletins d’informations de la CSF sont plus clairs qu’autrefois. Ils se sont améliorés sur le plan de la communication avec les gens», estime Yan Charbonneau.

«Pour la CSF, la rapidité à répondre et les communications, ça va bien. Même pour la publicité de la Chambre qu’elle a faite en 2019, je trouve qu’on positionne assez bien le conseiller face aux consommateurs», dit James McMahon.

La CSF s’est améliorée quant à la rapidité de ses réponses, observe Maxime Gauthier : «On a eu un dossier où on se demandait s’il y avait un conflit d’intérêts pour un conseiller. On a sollicité la CSF et on a eu une réponse claire, dans un délai raisonnable. C’est très apprécié.»

Il ajoute que l’Info-déonto est bien faite. «Je n’ai eu que de bons commentaires de ceux qui ont suivi le cours obligatoire en conformité, que j’ai moi-même apprécié.»

Pour sa part, Guy Duhaime estime que les réponses à ses questions ne viennent pas assez rapidement. Selon lui, la CSF gagnerait aussi à connaître le fonctionnement quotidien d’un courtier ou d’un cabinet.

Si j’ai un Tonton Macoute qui passe trois mois dans un dossier plutôt que trois heures, c’est nous tous qui payons.

– Guy Duhaime

Commentaires portant sur la CSF

Éléments où les répondants étaient majoritairement positifs

– La CSF a un bon site web avec de nombreuses informations.

Éléments où ils étaient majoritairement négatifs

– La CSF se ficherait de l’impact financier de ses politiques sur l’industrie, car seule la protection du public lui importe, selon un répondant.

– Le fait que la CSF ne veuille pas transmettre d’information concernant un représentant qui fait l’objet d’une enquête aux services de conformité frustre ces derniers.

– Un répondant perçoit que la CSF essaie de piéger les représentants durant son enquête et son processus d’audience disciplinaire.

Avis de nos commentateurs

Sur le fait que la CSF piégerait les représentants. «Des fois, une plainte passe par l’AMF et ça s’en va à la CSF. L’AMF dit que tout est beau, que le courtier n’est coupable de rien. Mais la CSF revient dans le dossier, décèle autre chose qui pourrait être un problème et tombe sur le représentant. On a eu un dossier du genre qui a duré presque deux ans et ça a presque mis la carrière du représentant à terre. Un représentant au sujet duquel l’AMF a dit qu’il n’y avait pas de cause. Je ne comprends pas la façon qu’a la CSF de sauter sur un représentant et de ne pas lâcher un dossier.» – Guy Duhaime

«Je ne suis pas convaincu qu’on souhaite les piéger. Il y a beaucoup d’incompréhension de part et d’autre. Les enquêteurs de la CSF ne comprennent pas toujours très bien le travail quotidien du conseiller et celui-ci ne comprend pas très bien le processus disciplinaire. Il manque probablement de communication entre les deux. Les enquêteurs, des fois, ils s’enfargent dans les virgules.» – James McMahon

«Je ne pense pas que la CSF essaie de piéger les représentants. En fait, c’est davantage les conseillers entre eux qui vont se piéger : un conseiller frustré par un autre et qui va le dénoncer à la CSF pour rien. Faire une plainte en déontologie, si [ton concurrent] a oublié une ligne dans le préavis de remplacement, c’est exagéré.» – Yan Charbonneau