Une bulle de bande dessinée avec un visage pas content à l'intérieur.
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L’organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) serait-il incompris et une victime collatérale du ras-le-bol à l’égard des récentes réformes réglementaires ? Une analyse des résultats du Pointage des régulateurs le laisse croire, bien que d’autres facteurs expliquent la baisse des notes de l’OCRCVM en 2020. Explications.

La note moyenne de l’OCRCVM est passée de 7,5 à 6,7 (sur 10) de 2019 à 2020. Cette baisse de 0,8 point est la plus importante diminution de la note moyenne enregistrée par un régulateur de notre tableau (voir en page 14). De 2019 à 2020, la note moyenne des autres régulateurs a baissé de 0,2 à 0,7 point, selon le secteur.

À 6,7 sur 10, la note de l’OCRCVM reste supérieure à celle qu’il a obtenue en 2017 (6,4/10), au moment où les services de conformité implantaient la phase 2 du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2), avec son lot de difficultés technologiques.

L’OCRCVM obtient ses pires notes pour sa sensibilité aux préoccupations des petites firmes, le fardeau de sa réglementation pour les firmes et les représentants, ses frais imposés à l’industrie et sa considération de l’impact financier de ses politiques.

Fait nouveau en 2020, l’OCRCVM obtient sa pire note (5,9, par rapport à 7,4 en 2019) pour sa capacité à intervenir de façon proactive en cas de comportements déviants. Difficile de cibler un événement qui explique cette baisse.

«Ça m’étonne, car en général, les conseillers ou les firmes vont reprocher aux organismes de réglementation de traiter rapidement ces comportements et avec une perspective négative : à la moindre incartade, on se fait traiter sévèrement», dit Richard Legault, chef de Gestion de patrimoine TelosTouch.

Selon lui, on devrait plutôt traiter durement les fautifs récidivistes, mais considérer d’emblée les firmes et les conseillers comme bien intentionnés.

La longueur du processus d’enquête de l’OCRCVM afin de s’assurer qu’il y a réellement eu comportement déviant pourrait expliquer l’exaspération de répondants qui ont peut-être été témoins de tels comportements, d’après Richard Legault. «Une suspension, ça devient public. On ne peut pas se permettre de passer à l’action rapidement sans être bien certain, car ça peut causer beaucoup de tort si la personne n’est pas coupable.»

Colette Arcidiacono, qui a travaillé une quinzaine d’années à l’OCRCVM, notamment dans le service de mise en application, ne comprend pas la note sévère pour ce critère. «On essaie vraiment d’éliminer de l’industrie les représentants qui ont des comportements déviants. Mais il faut en faire la preuve, et ce n’est pas toujours évident», dit la présidente de la firme de formation Conformité 101.

Selon elle, c’est extrêmement difficile de déceler une tendance chez un individu malveillant qui travaille dans une firme de courtage où il y a des milliers de comptes et de représentants. «Il y a toutes sortes de moyens de passer sous le radar», dit Colette Arcidiacono.

Quoi qu’il en soit, quelques facteurs expliqueraient la baisse de la note moyenne de l’OCRCVM en 2020 par rapport à l’an dernier, selon nos commentateurs.

Sans écarter l’hypothèse de l’effet de la marge d’erreur statistique, Richard Legault convient qu’une perception négative de l’Autorité des marchés financiers (AMF) en raison de ses récentes réformes pourrait avoir déteint sur l’OCRCVM.

«Les notes ont baissé parce qu’il y a eu beaucoup de changements réglementaires importants. Ça amène énormément de pression sur l’industrie», indique Colette Arcidiacono. Elle relève toutefois que l’OCRCVM s’en tire mieux que ses pairs quant à sa préoccupation de l’impact financier de ses politiques et de sa sensibilité aux petites firmes.

Richard Legault juge que l’OCRCVM se soucie réellement de ne pas défavoriser les petites firmes, «mais peut-être que ça ne transparaît pas toujours publiquement».

En 2019, la révision du processus disciplinaire de l’OCRCVM a-t-elle été mal comprise ? Rappelons qu’elle propose une démarche accélérée pour régler des contraventions mineures qui n’ont causé aucun préjudice aux investisseurs.

«Les mesures alternatives ont été présentées de manière incomplète, de sorte qu’aux yeux du public et des conseillers, toutes les infractions seraient traitées avec une petite tape sur les doigts, observe Colette Arcidiacono. Dans les faits, les mesures alternatives sont pour les petites infractions, mais les grosses infractions sont toujours traitées sur le plan de l’enforcement.»

Pour expliquer la baisse de la note moyenne, Colette Arcidiacono émet l’hypothèse que certains répondants craignent le coût supplémentaire lié aux nouvelles technologies réglementaires (reg tech).

De plus, changer leur manuel de procédures et l’adapter en langage clair sera une tâche très lourde, d’après Colette Arcidiacono. «À mon avis, l’année prochaine, cet élément fera baisser la note de l’OCRCVM pour le critère sur la clarté de ses règles.»

Toutefois, Colette Arcidiacono ne comprend pas pourquoi certains critères ont obtenu des notes plus faibles, dont l’efficacité du processus de consultation : «Le processus est toujours le même. Est-ce que les résultats n’ont pas été appréciés ? Possible.»

Elle ignore également la raison de la baisse de la note de l’OCRCVM pour son soutien lorsqu’il propose des changements au sein d’une firme. «Les chefs des équipes de supervision sont très disponibles pour donner un coup de main lorsqu’il y a des changements. Dans l’équipe du Québec, ils sont assez proactifs et travaillent très fort avec les firmes.»

Cependant, Colette Arcidiacono convient que la conformité reste «assez lourde pour les représentants et les firmes».

Selon Richard Legault, les ajustements aux règles de l’OCRCVM sont peut-être la goutte d’eau qui fait déborder le vase, car les services de conformité sont déjà très sollicités par la réglementation des autres régulateurs.

Les formulaires d’ouverture de comptes illustrent l’effet cumulatif des différents cadres réglementaires. «On arrive avec des formulaires qui se déplient comme des cartes. Peut-être que les firmes en font trop, mettent tout dans le même panier et se déchargent du fardeau sur le représentant. Il faut absolument simplifier cela», estime Colette Arcidiacono.

Richard Legault cible un autre problème découlant de la documentation à faire remplir par le client. «Il reste peu de temps pour avoir une vraie discussion avec le client et s’assurer que l’on comprend ses besoins, ses objectifs et ses contraintes. Ça va à l’encontre de l’objectif ultime de bien servir les clients», dit-il.

«C’est dangereux que tout se fasse dans une seule rencontre. Comment voulez-vous bien connaître votre client et élaborer une stratégie ? On devrait prévoir deux ou trois rencontres avant de faire une seule transaction», répond Colette Arcidiacono.

Richard Legault n’est pas surpris que les meilleures notes de l’OCRCVM portent sur ses communications avec l’industrie. «Au Québec, l’OCRCVM est proactif et est à l’écoute des firmes et des conseillers. Il a une influence favorable sur les changements qu’on voudrait voir, notamment alléger le fardeau réglementaire.»

Toutefois, les processus menant à des changements réglementaires sont souvent lourds, ajoute-t-il, sachant que l’OCRCVM doit obtenir un consensus pancanadien au sein de ses rangs, puis au sein des Autorités canadiennes en valeurs mobilières.

La communication franche entre l’OCRCVM et l’industrie ainsi que les grands efforts des services de conformité au fil des ans donnent des résultats, d’après Colette Arcidiacono. «Le nombre de plaintes, d’enquêtes et de poursuites est bien faible par rapport au nombre de comptes, de représentants et de firmes de courtage. Et il y en a beaucoup moins qu’il y a 10 ans», dit-elle.

«L’industrie fait un travail formidable dans la supervision de ses représentants. Le travail en partenariat avec l’OCRCVM a changé le visage de l’industrie.»

Éléments où les répondants étaient majoritairement positifs

– Le processus d’inspection est efficace et se passe bien, notamment en raison d’inspecteurs respectueux. Ses résultats sont utiles. Or, un répondant déplore qu’il soit long, alors qu’un autre dit qu’on se concentre sur des éléments plus ou moins importants.

Commentaires portant sur l’OCRCVM

Éléments où ils étaient divisés

– Un répondant juge que l’OCRCVM a une bonne capacité d’intervenir de façon proactive en cas de comportements déviants, mais note que cela relève avant tout de l’efficacité de la firme. Un autre estime que ce régulateur n’est pas proactif. Il juge que les pénalités imposées ailleurs au Canada sont nettement plus importantes et que les règles y sont appliquées plus sévèrement qu’au Québec.

Éléments où ils étaient majoritairement négatifs

– L’OCRCVM devrait être plus sensible aux préoccupations des petites firmes afin d’«éviter à tout prix un contrôle ultime par les grandes banques».

– Ses frais imposés aux firmes sont trop élevés.

– Le fardeau de la réglementation est lourd pour la firme de courtage.

– Les interventions de l’OCRCVM en réponse aux changements technologiques arrivent tardivement, notamment par rapport aux médias sociaux, à la publicité et au marketing.

Avis de nos commentateurs

Sur les frais facturés. «Je suis surpris que ce soit dans les pires notes. Les frais varient en fonction de la taille de la firme et de ses données financières. L’OCRCVM essaie que la charge soit répartie équitablement.» – Richard Legault

«Peut-être n’y a-t-il pas assez de petites firmes dans les comités de représentation pour donner leur avis sur le sujet.» – Colette Arcidiacono

Sur le processus d’inspection. «Les firmes trouvent que c’est long et que ça revient souvent. Mais il y a une amélioration dans la formation des inspecteurs. On se modernise tranquillement, notamment pour la sélection des échantillons. De plus, si on veut valider une préoccupation en particulier, il y a une discussion avec l’équipe de conformité : « Comment je peux réussir à valider tel élément chez vous ? », au lieu d’appliquer un test plus ou moins pertinent. Enfin, l’approche basée sur le risque est favorable.» – Richard Legault

«L’OCRCVM a embauché beaucoup de monde en 2019. En règle générale, les inspections se passent assez bien. L’industrie comprend leur but. Les inspecteurs sont bien formés et ont une très bonne relation avec les membres au Québec. On évite de demander des choses inutiles. Les équipes essaient de ne pas trop prendre de temps sur place pour ne pas gêner la poursuite des affaires. C’est une machine bien rodée. Au bout du compte, ça aide les firmes à effectuer une meilleure supervision. C’est dommage que la note ait baissé.» – Colette Arcidiacono

Sur la réponse aux changements technos. «Certains se demandent si on applique aux robots-conseillers le même niveau de règles qu’aux firmes qui offrent un conseil complet. Par exemple, dans une firme totalement numérique, l’ouverture de compte se fait en quelques instants, alors qu’on a l’impression que le processus est compliqué quand c’est un conseiller. Les organismes de réglementation revoient ces éléments pour s’assurer qu’on a une couverture réglementaire uniforme, que les risques sont couverts partout.

«Par rapport aux médias sociaux, l’OCRCVM n’est pas à blâmer, mais je comprends qu’il y ait des frustrations. L’exigence réglementaire veut que les relations entre les conseillers et les clients soient supervisées. Il y a des outils pour mener cette supervision, mais qui sont assez coûteux, de sorte que les plus petites firmes peuvent se sentir moins favorisées.» – Richard Legault

«Le régulateur, par définition, est davantage réactif. C’est peut-être quelque chose à changer. Quelques fois, il y a un peu de lenteur. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on peut prendre une décision qui va changer une pratique d’affaires et qui va toucher des centaines de milliers de personnes. Il faut leur laisser du temps et analyser les impacts.» – Colette Arcidiacono

Sur la sévérité de l’OCRCVM qui serait moindre au Québec. «Les pénalités ne sont pas moins fortes au Québec qu’au Canada. Les pénalités sont proposées par l’OCRCVM, mais c’est la formation d’instruction qui confirme, infirme et change la pénalité finale. Et la formation d’instruction est composée de trois personnes, dont deux de l’industrie. De plus, ayant travaillé pendant 10 ans dans la mise en application à l’OCRCVM, je peux dire que l’Organisme n’est pas plus gentil avec les grosses firmes qu’avec les petites firmes. Il y a une volonté d’être juste. Les avocats sont impartiaux.» – Colette Arcidiacono