Un homme d'affaire dessiné il a l'air inquiet. Une bulle de BD au dessus de sa tête où il y a un gribouillage.
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Près de 16 mois après sa création, l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI), fruit de la fusion entre l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) et l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM), a franchi plusieurs étapes importantes. Cependant, certaines zones d’ombre persistent, notamment quant au cadre réglementaire qui sera en vigueur dans cette nouvelle entité et aux conditions dans lesquelles elle l’exercera, comme en témoignent les résultats du ­Pointage des régulateurs 2024.

La plupart des responsables de la conformité qui ont répondu au sondage saluent le travail accompli par l’OCRI au cours des derniers mois. Plus de la moitié (54,5 %) d’entre eux se déclarent satisfaits des premières actions du régulateur et de leurs interactions avec cet organisme d’autoréglementation (OAR). Seuls 15,1 % des répondants s’en sont dit insatisfaits. Les personnes neutres et sans opinion représentent 30 % des voix, ce qui suggère qu’elles attendent la fin de la période de transition pour se prononcer.

Un groupe de répondants apprécient l’ouverture au dialogue, la transparence des communications ainsi que l’écoute et la disponibilité des dirigeants de l’OCRI. Un sondé aime le fait qu’ils soient « en mode solution ». « Nous avons travaillé en étroite collaboration avec l’OCRI sur notre demande d’enregistrement de double licence cette année et nous avons été vraiment impressionnés par le niveau de collaboration », témoigne un participant.

Cependant, des répondants expriment des insatisfactions à l’égard de la période de mise en place du régulateur. L’un d’eux juge que l’OCRI n’était pas suffisamment préparé à la fusion, ce que réfute l’OCRI. « C’est un chantier très exigeant qui a été préparé depuis un certain temps, mais ce n’est pas la faute de l’OCRI », juge ­Martin ­Boulianne, directeur de suc­cursale à ­Patrimoine ­Richardson, à Montréal. Un autre répondant trouve la réglementation difficile à comprendre pendant la transition.

Bâtir un avion en plein vol

Invité à commenter les résultats du sondage, ­François Bruneau, ­vice-président administration au Groupe Cloutier, souligne la transparence et l’accessibilité des dirigeants de l’OCRI. Or, il exprime son désir d’en savoir plus, étant donné le peu de résultats concrets jusqu’à présent de son point de vue. « ­Il n’y a pas ­grand-chose de livré pour le moment à part un logo et un plan d’action », dit-il. L’OCRI n’est pas d’accord, comme elle le signale dans le texte « Craintes liées à la croissance de l’OCRI ».

Maxime ­Gauthier, ­directeur général à ­Mérici Services financiers, estime que la transition s’est effectuée dans l’urgence, mais que l’OCRI a bien travaillé jusqu’à présent, démontrant une volonté de remplir sa mission de protection du public. « ­Ils construisent un avion en plein vol et savent seulement le jour où ils vont atterrir », illustre-t-il.

Divers éléments préoccupent les responsables de la conformité par rapport à l’implantation de l’OCRI. Un sondé soulève les risques d’incohérences et de chevauchements qui pourraient exister entre les pouvoirs de l’OCRI, de la ­Chambre de la sécurité financière (CSF) et de l’Autorité des marchés financiers (AMF). « Nous espérons une uniformité dans l’ensemble de l’industrie afin de rehausser le niveau de professionnalisme des intervenants », ­dit-il. « ­Nous collaborons activement avec la ­CSF et l’AMF pour assurer une harmonisation entre nos organismes, répond l’OCRI dans un courriel. Notre collaboration continue permettra de gérer toute incohérence potentielle. »

Des répondants craignent également qu’une nouvelle couche de procédures administratives les amène à passer plus de temps à faire de la conformité plutôt que du service-conseil. « À chaque fois qu’on revoit des systèmes, il y a un risque d’avoir des tâches administratives supplémentaires », confirme ­Carl Thibeault, ­vice-président principal, ­Services financiers (distribution) d’IG ­Gestion de patrimoine.

« J’espère que ce ne sera pas le cas, car le but de la démarche qui a mené à la création de l’OCRI était de simplifier les processus pour rendre la charge réglementaire moins lourde à administrer pour les firmes en vue de créer plus de valeur. » ­Il estime que l’alourdissement de la charge réglementaire, qui est déjà plus importante pour les acteurs de l’industrie du courtage en valeurs mobilières au ­Québec que dans les autres provinces, pourrait accentuer l’enjeu de compétitivité des firmes qui ont des activités au ­Québec.

Nébuleuse question des frais

Plusieurs commentaires visent l’opacité planant sur les frais éventuels qui seront facturés par l’OCRI à ses membres. Qui paiera quoi et combien ? C’est la question qui turlupine les répondants au pointage. Actuellement, les frais des courtiers en épargne collective (CEC) se répartissent entre ceux de l’AMF, de la ­CSF, de la ­Base de données nationale d’inscription et du ­Fonds d’indemnisation des services financiers, soit environ un millier de dollars par an et par représentant, calcule Maxime Gauthier.

Étant donné que l’OCRI s’occupera, à terme, de l’inspection et de l’inscription, l’AMF ne ­devrait-elle pas baisser ses frais en conséquence ? ­Si les tarifs augmentent, les courtiers pourraient être tentés de refiler une partie de la facture aux clients et d’augmenter les frais de conseil ou d’administration. Cette solution pourrait désavantager les investisseurs du ­Québec par rapport à ceux des autres provinces, estime le dirigeant.

François ­Bruneau partage cette crainte. Il ne voit pas pourquoi il devrait payer pour les services de l’OCRI et de la ­CSF si leurs compétences se recoupent. À ­IG, on se prépare à faire face aux différentes éventualités en matière de hausse des frais. À cet égard, ­Carl ­Thibeault croit que l’implantation de l’OCRI se fera « à coût nul ». Ce sera plutôt l’inflation qui engendrera une augmentation des frais de gestion, selon lui. L’OCRI souhaite maintenir les frais d’exploitation des courtiers à un niveau gérable : « Nous nous assurerons que la structure des cotisations est raisonnable et qu’elle témoigne de la valeur offerte par l’OCRI. »

L’intégration des nouvelles règles de l’OCRI pour les ­CEC du ­Québec pourrait faire que les représentants en épargne collective ne pourraient plus partager leurs commissions avec un cabinet d’assurance qui leur appartient, s’inquiète un répondant. L’OCRI vient de terminer une consultation sur la rémunération des représentants et entend se pencher sur la question. (Lire le portrait de ­Claudyne Bienvenu)

Un autre sondé estime que le manuel de règlements de l’OCRCVM semble être « fortement priorisé » dans le processus d’harmonisation des règles entre les secteurs de l’épargne collective et du plein exercice. « ­Ceci nécessitera des efforts d’adaptation importants pour les courtiers en épargne collective alors que peu ou pas d’ajustements seront nécessaires pour les anciens inscrits de l’OCRCVM », ­signale-t-il.

Cette situation pourrait nuire aux acteurs de plus petite taille, estime ­François ­Bruneau, dont la firme relevait de l’ACFM avant la création de l’OCRI. Il redoute les effets d’une « prise de contrôle » de l’­ex-OCRCVM sur le nouvel ­OAR et l’imposition de règlements plus prescriptifs que ceux de ­l’ACFM. « ­Si le livre de règlements unifié de l’OCRI est 100 % celui de l’OCRCVM, on va devoir complètement réécrire nos politiques et procédures pour s’adapter à ces changements. Pendant qu’on fait ça, on ne fait pas avancer la qualité du conseil », rapporte le dirigeant. Cela signifierait entre autres pour la firme de former ses dirigeants, ses représentants et l’ensemble de son personnel, le tout dans un temps restreint, ce qui représenterait des coûts importants, ­précise-t-il.

Progrès substantiels

L’OCRI répond qu’il a réalisé des « progrès substantiels » en moins de 16 mois. « Nous reconnaissons qu’une grande partie de notre travail s’est déroulée en coulisses et nous commençons maintenant à en récolter les fruits », indique l’OAR dans un courriel. Au chapitre des réalisations, il nomme la publication de deux des cinq phases du livre de règles (la troisième est pour bientôt), la création d’un Bureau de l’investisseur et d’un comité de liaison au Québec, et la publication des priorités pour l’an 1. L’intégration des divisions et des systèmes informatiques des deux anciens régulateurs a toutefois été un défi majeur, souligne l’organisme.

Depuis le 1er avril, le calendrier des contrôles de conformité des courtiers en fonds communs de placement et des courtiers en valeurs mobilières est aligné sur l’exercice fiscal de l’OCRI, fait savoir le régulateur. Il en ira de même pour les rapports de contrôle. Les rapports d’inspection seront quant à eux adaptés afin de repérer les domaines nécessitant une attention im­médiate. L’OCRI prévoit par ailleurs effectuer son premier examen des entreprises au ­Québec cet automne.

De plus, l’OCRI ne croit pas qu’il y ait un risque d’arbitrage réglementaire pendant la période transitoire, comme s’inquiète un sondé, car le règlement ­31-103 s’applique aux ­CEC. « ­Nous travaillons à la mise en œuvre de la délégation de pouvoirs afin de dissiper les préoccupations et de faciliter la transition », répond l’OCRI.

Pointage des régulateurs 2024

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