Une femme d'affaires qui souffle de soulagement.
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L’ensemble des organismes de réglementation ayant des activités au ­Québec semble faire les frais des nombreux changements en matière de conformité qui ont eu lieu dans les dernières années ainsi que de l’incertitude découlant de la mise sur pied de l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI).

En effet, les responsables de la conformité sondés à l’occasion du ­Pointage des régulateurs leur accordent des notes plus faibles cette année par rapport à 2023, et ce, pour la ­quasi-totalité des critères d’évaluation. Les écarts de notes entre 2023 et 2024 varient d’un critère évalué à l’autre, mais sont souvent d’un à deux points sur dix, d’où les notes moyennes plus faibles.

« L’industrie est essoufflée de toutes les réformes réglementaires et des nouvelles lois. Il y en a eu beaucoup au cours des dernières années », estime Élisabeth Chamberland, chef de la conformité chez Services en placements ­PEAK et ­Valeurs mobilières PEAK. Et cet essoufflement déteint sur les notes des régulateurs.

Elle fait référence aux nouvelles règles de la ­Charte de la langue française et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. ­Celles-ci ont sollicité de manière intense les firmes du secteur et continuent de le faire actuellement avec la dernière phase de la loi sur le droit à la portabilité des renseignements personnels, dont l’entrée en vigueur est prévue pour septembre 2024.

Élisabeth ­Chamberland convient que ces derniers changements ne proviennent pas des régulateurs du secteur financier. Or, elles s’ajoutent à la fois à l’incertitude liée à la création de l’OCRI et aux nombreux effets des ­Réformes axées sur le client que « l’industrie trouve encore très challengeantes. […] Ça fait beaucoup à absorber », commente-t-elle.

Bon nombre de régulateurs affichent une faible note au critère portant sur le rythme des changements réglementaires, observe ­Jean-Paul ­Bureaud, directeur général de ­FAIR ­Canada : « ­Il n’est pas surprenant que cette année, les scores soient généralement plus bas pour l’Autorité des marchés financiers (AMF), la ­Chambre de la sécurité financière (CSF) et l’OCRI. Cela est probablement dû au rythme rapide de l’innovation et aux nombreux changements qui se produisent dans ces secteurs réglementés. »

À cela s’ajoute l’appréhension qu’avaient des sondés à l’égard du règlement sur le traitement des plaintes, qui a été dévoilé immédiatement après la fin de notre sondage. En janvier, certains jugeaient que le règlement n’était pas un enjeu majeur de protection du public.

Or, le 15 février, ce règlement était rendu public, décevant ainsi certains membres de l’industrie, car il compliquera leur travail. En effet, les firmes ayant des activités partout au ­Canada devront suivre un processus pour les clients québécois et un autre pour le reste du ­Canada.

« C’est dommage qu’on n’ait pas réussi — l’industrie des valeurs mobilières et l’AMF — à éviter qu’il y ait deux régimes, deux façons de faire », indique Élisabeth Chamberland. Ses propos rejoignent ceux de ­Julie Gallagher, ­vice-présidente principale et chef de la conformité chez iA ­Gestion privée de patrimoine (Voir le texte : « ­Idées d’allègements pour l’industrie »).

Par ailleurs, ­Julie ­Gallagher reste surprise par l’ampleur de la baisse des notes entre 2023 et 2024. Surtout que, pour l’OCRI, une telle baisse n’est pas méritée, selon elle. Les communications de l’organisme d’autoréglementation (OAR) de ses priorités et avec les membres de l’industrie s’améliorent.

« ­Ils continuent de rester proches de l’industrie pour savoir ce qui est nécessaire pour l’accessibilité au conseil pour les investisseurs canadiens, et j’aime beaucoup ça », indique ­Julie Gallagher.

Or, elle convient que la fusion des ­OAR « perturbe un peu les firmes », notamment en raison des courts délais de consultation de l’OCRI afin d’obtenir l’avis de l’industrie sur chacune des propositions de changement au manuel de règles (rulebook). « ­Le rulebook sort par phases et très vite. Ça chamboule un peu la vie des gens », dit ­Julie Gallagher.

Notons que cette année, des répondants du secteur de l’épargne collective ont noté l’OCRI pour la première fois, alors que l’OCRI était seulement évalué par ceux du secteur du plein exercice en 2023.

De son côté, ­Adrien ­Legault, ­vice-président, directeur général pour le ­Québec du ­Réseau d’Assurance IDC Worldsource est étonné de l’ampleur des baisses des notes accordées à l’AMF et à la CSF. « ­Je suis surpris parce que je n’ai pas l’impression qu’il y a eu une tonne de changements réglementaires, ­dit-il. Ils sont égaux à ­eux-mêmes. »

Selon lui, les relations entre les régulateurs et l’industrie se sont même améliorées, surtout sur le plan des communications institutionnelles, qui « n’ont jamais été aussi bonnes tant pour l’AMF que pour la CSF ».

Il salue d’ailleurs la qualité de l’écoute de l’AMF à l’égard de l’adoption des nouvelles technologies par le secteur de l’assurance afin d’accroître son efficacité. L’AMF affiche également une certaine sensibilité à l’égard d’une pluralité dans l’industrie, selon ­Adrien ­Legault : « ­Historiquement, l’AMF a tenté de ne pas étouffer les plus petits modèles d’affaires ».

Par exemple, l’AMF et ses homologues provinciaux ont été à l’écoute lorsque l’industrie s’est opposée à l’abolition des séries de fonds distincts à rétrofacturation au conseiller. Le secteur de l’assurance attend avec impatience d’ailleurs la position finale des régulateurs.

Par contre, ­Adrien ­Legault comprend que certains déplorent que le centre d’information de l’AMF refuse de se prononcer sur des méthodes de travail précises. « Combien de fois on se fait répondre : “On n’est pas là pour donner une opinion juridique.” ­On n’en demande pas une. On veut savoir si on a le droit ou non de faire ça », ­illustre-t-il. Selon lui, l’AMF devrait créer un mécanisme qui vise à valider certaines pratiques, à l’instar de ce que font les autorités fiscales.

Angoissante cybersécurité

La cybersécurité reste une angoisse majeure des répondants et l’industrie souhaite davantage de soutien en la matière, d’après le sondage. « ­La ligne directrice sur les technologies de l’information et des communications est hyper granulaire et un véhicule peu adapté aux changements en continu », juge un répondant. « ­Le soutien des régulateurs est très mince. Les politiques ou énoncés généraux n’ont aucune application pratique. Nous sommes laissés à ­nous-mêmes », dit un autre.

« ­Les orientations des régulateurs sont utiles, mais l’application intégrale de la législation dans un réseau de conseillers indépendants pose des problèmes », dit un troisième.

« ­Il est intéressant de constater que les trois régulateurs devraient améliorer leur niveau de “soutien en cybersécurité”, selon les répondants à l’enquête. Cela montre que les gens ont besoin de plus d’aide et de conseils pour se protéger, ainsi que pour [protéger] leurs clients », estime ­Jean-Paul ­Bureaud.

Adrien ­Legault reconnaît qu’il y a là un besoin, d’autant que l’on souhaite que l’information circule plus facilement entre les systèmes, de manière sécuritaire. Or, selon lui, l’industrie devrait se prendre en main. « ­Si l’AMF sortait des lignes directrices très claires, les gens diraient que ça coûte bien trop cher et le lui reprocheraient. Comme industrie, c’est à nous de nous prendre en charge aussi », estime-t-il.

Les régulateurs peuvent aider en matière de cybersécurité, comme l’a fait l’OCRI qui a organisé en 2023 deux exercices de simulation de cybersécurité pour ses courtiers membres de petite et moyenne taille, selon ­Julie ­Gallagher.

« ­Les participants ont adoré, selon ce qu’on m’en a dit », rapporte-t-elle. Le seul point négatif est que l’OCRI ne l’ait pas encore fait au ­Québec ni en français, ­ajoute-t-elle.

Défis des régulateurs

Les régulateurs doivent continuer d’écouter l’industrie et de répondre à ses préoccupations, montre le pointage. Or, il peut parfois être difficile de le faire, notam­ment parce que leurs pouvoirs sont restreints, en raison de ce que leur a délégué le gouvernement du ­Québec. Par exemple, l’AMF n’a pas les mêmes pouvoirs sur le secteur de l’assurance de personnes que sur celui des valeurs mobilières, souligne ­Adrien ­Legault. Ceci explique en partie l’écart entre les notes de l’AMF en provenance des répondants en épargne collective et en assurance.

Selon lui, la faible note de la ­CSF par rapport à son processus d’audience disciplinaire n’est pas méritée, considérant la réduction des délais d’enquêtes qu’elle a faite ces dernières années. Or, la ­CSF devrait mieux éduquer les conseillers sur l’importance de défendre leur indépendance professionnelle.

« ­Souvent, dans des dossiers d’enquête, [un représentant] va dire : “C’est ça que ma boîte m’a dit de ­faire­” », relate Adrien ­Legault. Ce à quoi la ­CSF répond qu’un conseiller est professionnel et ne peut jeter le blâme sur son employeur, d’où l’importance de former les représentants en ce sens, d’après lui.

Par ailleurs, l’OCRI doit moderniser ses règles, par exemple en retirant l’obligation de superviser toutes les communications des conseillers dans les médias sociaux ou en permettant aux courtiers d’utiliser des algorithmes afin d’approuver certaines ouvertures de comptes.

« ­En créant un même livre de règles pour tous, il n’y a pas beaucoup de modernisation. On manque un peu cette opportunité [de moderniser certaines règles] », soutient Julie Gallagher.

Pointage des régulateurs 2024

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Comment nous avons procédé

Le ­Pointage des régulateurs 2024 a été réalisé à partir de sondages web. En tout, 39 personnes ont été sondées du 9 janvier au 13 février 2023. Tous les répondants assumaient des responsabilités en conformité dans un ou plusieurs des secteurs d’activité suivants : assurance de personnes, courtage en épargne collective, courtage de plein exercice, courtage en marché dispensé. Ainsi, des membres de la direction, des directeurs de succursale, des agents et responsables de la conformité au sein des courtiers et des cabinets ont été interrogés. Ils ont été sélectionnés dans notre liste d’abonnés et dans des listes fournies par des entreprises du secteur. Nous avons également demandé la collaboration de divers acteurs de l’industrie. Nous remercions d’ailleurs tous ceux qui ont permis la réalisation de cette enquête.

Lors des sondages, nous avons insisté auprès des répondants sur le caractère confidentiel de leurs réponses, et ce, afin de garantir un maximum de transparence. Guillaume ­Poulin-Goyer, rédacteur en chef adjoint, a compilé les données obtenues. Les sondages n’ont aucune prétention scientifique et visent à améliorer les relations entre l’industrie et ses régulateurs.

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