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Ainsi, mercredi, Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la CSF, a envoyé aux parlementaires qui siègent à la Commission des finances publiques un avis juridique soulignant les carences du régime transitoire proposé par le projet de loi 141 sur l’amélioration de l’encadrement du secteur financier.

Ce régime est mal adapté et inapproprié et porte atteinte à la réputation de la CSF, de ses administrateurs, dirigeants et membres, selon l’interprétation de la CSF de cet avis juridique.

De plus, « ce régime peut permettre d’exproprier sans indemnité les membres de la Chambre de l’actif qu’ils ont droit de se faire remettre à la fin de la liquidation », lit-on dans le courriel de Marie Elaine Farley envoyé aux parlementaires.

Selon l’avis juridique, le projet de loi 141 prévoit que l’AMF pourra prendre possession de tous les biens de la Chambre et exercer les pouvoirs de ses administrateurs, dirigeants et membres.

« En dépit du fait que le texte du projet de loi ne soit aucunement spécifique et clair à cet égard, il est permis de penser que l’AMF compte s’approprier de manière définitive les biens de la Chambre lorsque le processus de liquidation sera complété », lit-on dans l’avis juridique écrit par les avocats Jean Martel et Raymond Doray, du cabinet Lavery avocats.

« Rien ne permet en conséquence de penser que l’on ait envisagé la redistribution des actifs de la CSF à ses membres comme le prescrit le Code civil du Québec », stipule l’avis juridique.

« Le régime législatif relatif à l’appropriation provisoire des biens de la Chambre par l’AMF ainsi que les dispositions législatives laconiques et imprécises applicables à la liquidation de la CSF paraissent indiquer une intention de déroger au droit commun […] et pourraient faire en sorte que l’on priverait la Chambre et ses membres de la libre jouissance de leurs biens et ce, en violation de l’article 6 de la Charte québécoise », écrivent les auteurs de l’avis.

« L’AMF en conflit d’intérêts »

De plus, d’après l’avis juridique, l’AMF serait en conflit d’intérêts au moment de la liquidation des biens de la CSF. Dès la sanction du projet de loi, l’AMF deviendrait l’administrateur provisoire de la CSF et « pourra, sans aucune intervention de la Cour supérieure du Québec, prendre possession de tous les biens de [la CSF], exercer ses pouvoirs et ceux de ses administrateurs et dirigeants, poursuivre en tout ou en partie les affaires de la Chambre ou prendre toute mesure conservatoire s’y rapportant, résilier ou résoudre tout contrat auquel est partie la [CSF], (…), faire cession, au nom de la Chambre, de tous ses biens au profit de ses créanciers et agir à titre de syndic », lit-on dans l’avis.

Or, comme la Cour supérieure n’est appelée à jouer aucun rôle dans le processus de liquidation « [l’AMF] se retrouve donc à jouer le rôle de juge et partie relativement à l’attribution des biens et actifs de la CSF, ce qui va notamment à l’encontre du principe énoncé aux articles 324 et 360 du Code civil du Québec voulant que le liquidateur, à titre d’administrateur du bien d’autrui, doive éviter de se placer dans une situation de conflit entre son intérêt personnel et ses obligations d’administrateur », peut-on lire dans l’avis juridique.

Selon ce document, le projet de loi 141 permettrait aussi que l’AMF fasse « un exercice arbitraire de pouvoirs administratifs » alors que l’organisme est en « situation manifeste de conflit d’intérêts ».

« C’est l’AMF, selon le texte de loi proposé, qui pourrait annuler des contrats conclus par la Chambre alors qu’elle se retrouve manifestement dans une situation de juge et partie, puisqu’elle serait appelée à assumer éventuellement les obligations de la Chambre, lit-on dans l’avis juridique. Cette façon de procéder est contraire aux usages législatifs et pose un sérieux problème d’équité, d’indépendance et de respect des principes juridiques qui veulent que l’arbitrage des droits soit fait par un organisme indépendant et, généralement, par les tribunaux. »

Processus d’intégration « vexatoire »

Par ailleurs, le mécanisme d’administration provisoire de la CSF par l’AMF, prévu dans le projet de loi 141, n’est pas commun lorsqu’un gouvernement fusionne deux organismes publics. Ce mécanisme « que l’on appelait jadis la “tutelle”, est utilisé dans nos lois lorsqu’une entreprise ou un organisme n’est pas en mesure d’assumer adéquatement ses responsabilités de protection du public ou encore, lorsqu’il y a malversation, mauvaise administration ou menace de sa part à la protection du public », d’après l’avis juridique.

Dans le contexte d’un simple transfert de pouvoirs et de fonctions de la CSF à l’AMF, ce mécanisme d’administration provisoire « a quelque chose de foncièrement vexatoire, tant pour la Chambre que pour ses administrateurs, ses dirigeants et ses membres », lit-on dans l’avis juridique.

Le message que le choix de ce mécanisme lance dans l’opinion publique est que la CSF n’assume pas adéquatement sa mission de protection du public et se comporte de façon répréhensible, ce qui justifie sa mise sous tutelle, d’après l’avis juridique.

« Le choix de ce mécanisme ne peut qu’engendrer de l’inquiétude chez les investisseurs et par voie de conséquence, de l’instabilité, au détriment du public en général et des professionnels qui oeuvrent dans cette industrie en particulier en laissant croire que les membres de la Chambre n’ont pas agi conformément à la loi ou ont abusé de leurs clients », apprend-on dans l’avis juridique.

Les auteurs de l’avis juridique opinent donc que le projet de loi 141 « pourrait être considéré par un tribunal comme portant atteinte en tant que telle à la réputation de la Chambre, de ses administrateurs et dirigeants ainsi que de ses membres ».

Pour toutes ces raisons et d’autres, évoquées dans l’avis juridique, ce régime transitoire pourrait « donner [ lieu] à de multiples litiges créant ainsi instabilité, incertitude et un climat auprès des parties prenantes susceptibles de faire perdre la confiance et l’estime du public », déplore Marie Elaine Farley. La CSF s’oppose à l’adoption du projet de loi 141.

Le cabinet du ministre reste de glace

En commission parlementaire, Carlos Leitao a demandé à ses juristes d’examiner l’avis juridique. « Nous n’allons pas laisser ça [cet avis juridique] passer comme lettre à la poste, mais je ne suis pas un expert légal. Je vais me fier à mes experts. Mon opinion d’économiste, toutefois, c’est qu’il me semble que c’est un peu exagéré, mais je vais laisser ça aux experts », a-t-il dit.

Richard Boivin, sous-ministre adjoint aux politiques relatives aux institutions financières et au droit corporatif, au ministère des Finances, et lui-même avocat n’est pas du même avis que les juristes ayant préparé l’avis juridique. « De notre côté, on ne partage pas cette opinion et on ne voit pas les mêmes problèmes. Ça ne nous inquiète pas du tout », a-t-il noté devant la Commission des finances publiques.

« Pourquoi l’administration provisoire? a-t-il ajouté. On a prévu l’administration provisoire parce que c’est une façon qui est déjà connue par l’AMF pour intégrer une nouvelle organisation. L’AMF est familière avec cette méthode et permet aux chambres de continuer ses opérations pendant la transition. »

(Avec Léonie Laflamme-Savoie)