Les organismes émetteurs de titres dispensés sont ceux qui sont dispensés de l’obligation de soumettre un prospectus. Ces organismes n’ont pas à répondre aux mêmes normes de divulgation que les sociétés publiques et les fonds communs de placement, et ne sont pas autorisés à vendre au grand public, leurs titres n’étant disponibles qu’aux « investisseurs qualifiés » (qui ont des seuils de revenu et d’actifs minimums) et aux investisseurs non qualifiés qui peuvent investir un montant donné dans un seul titre; ce montant varie d’une province à l’autre, mais peut aller jusqu’à 150 000 $.

Comme je l’ai fait remarquer dans un article précédent, l’argument des autorités en faveur des dispenses est que quelqu’un qui manipule de gros montants d’argent a un certain niveau de sophistication, la capacité de supporter des pertes financières, les ressources nécessaires pour obtenir des conseils d’experts et la motivation d’évaluer soigneusement l’investissement, compte tenu de sa taille. Le problème fondamental tel que je le vois et tel que je l’ai précédemment mentionné est que de nombreux titres dispensés sont vendus à des gens qui n’ont strictement aucune idée de ce qu’ils achètent et à qui l’on fournit des informations qu’ils ne comprennent pas.

C’est la raison pour laquelle je souscris entièrement au principe selon lequel tous les émetteurs devraient soumettre à SEDAR leurs documents de divulgation comme les notices d’offre, états financiers et toute autre documentation importante pour les détenteurs de titres et les investisseurs potentiels. Une large divulgation peut conduire à un examen plus minutieux. De plus, avec le mouvement visant à autoriser le sociofinancement, quiconque tente de réunir des fonds à investir de cette manière devra lui aussi passer par SEDAR.

Je suggérerais même que les autorités aillent plus loin en demandant aux émetteurs de titres dispensés de préparer un document sommaire de divulgation au point de vente expliquant les risques et les bénéfices possibles aux investisseurs potentiels, et en rendant obligatoire sa publication sur SEDAR et sa remise aux investisseurs. Les autorités exigent déjà que les fonds communs distribuent un mini-document de divulgation, appelé Aperçu du fonds, reconnaissant ainsi que la plupart des investisseurs ne lisent pas les prospectus. Que l’on applique les mêmes principes aux titres dispensés.

Cela serait particulièrement utile lorsque le courtier offrant ce type de titre n’est pas membre de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) ou l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM). Ces organisations ont des consignes strictes que leurs membres doivent suivre avant de recommander à leurs clients des titres dispensés, et cela comprend la connaissance du produit et du client.

Je sais parfaitement que les documents de souscription à un titre dispensé demandent généralement aux investisseurs de reconnaître qu’ils peuvent perdre le placement tout entier. De plus, je sais que la section consacrée aux facteurs de risque contenue dans la notice d’offre d’un titre dispensé peut avoir plus d’une douzaine de pages et qu’elle est rarement lue par les investisseurs qui semblent s’en remettre aux services de leurs conseillers.

Ce que je voudrais voir dans un document sommaire, ce sont les informations liées au risque que présente spécifiquement l’investissement concerné, exprimées en langage clair. De cette manière, l’investisseur peut en quelques pages mieux saisir la nature du placement qu’il envisage.

Par exemple, un investisseur devrait être informé sur la nature spécifique de l’entreprise émettrice. À mon avis, il ne suffit pas à une société de déclarer que son objectif est de distribuer des taux d’intérêt à deux chiffres à ses investisseurs. Il serait mieux qu’elle dévoile en langage simple que sa raison d’être est de prêter de l’argent à des emprunteurs que les banques avaient rejetés parce qu’ils représentaient un risque très élevé. Si elle a dans ses registres des prêts problématiques, il faut qu’elle le dévoile. Pour reprendre certains termes trouvés dans la documentation d’un émetteur, « le tiers environ de nos prêts n’est pas performant, et la moitié de ce total stagne depuis au moins cinq ans. » D’accord, cela n’a pas été exprimé de façon aussi crue, mais je parie que peu d’investisseurs qui ont participé à cette émission ont lu la notice d’offre et les états financiers d’un bout à l’autre.

Voici en substance comment un fonds obligataire à risque élevé dont j’avais pris connaissance décrivait ses activités : « La seule activité commerciale de cet émetteur est de prêter des fonds qu’il aura réunis à une partie qui lui est liée. Les prêts accordés à cette dernière ne sont pas garantis. Le présent émetteur entend acquérir des titres de créances tels que des billets à ordre, obligations, débentures, hypothèques et autres instruments de créances comparables provenant d’émetteurs privés établis en Amérique du Nord, ou des titres de créances provenant d’émetteurs comme les promoteurs immobiliers, les sociétés d’affacturage ou de règlement d’assurance-viatique et d’assurance vie, et les sociétés de placements hypothécaires. » On est en droit d’espérer qu’un lecteur de ce texte reconnaisse que bien que cette déclaration soit exacte, elle ne fournit rien qui permette de prendre une décision de placement, si ce n’est celle de ne pas investir.

Dans le document au point de vente que je propose, cet émetteur pourrait déclarer : « La seule activité commerciale de cet émetteur est de consentir des prêts non garantis à une partie qui lui est liée. Le présent émetteur entend acquérir des titres de créances de sociétés privées, de promoteurs immobiliers, de sociétés d’affacturage ou de règlement d’assurance-viatique et d’assurance vie, et les sociétés de placements hypothécaires ». Par bonheur, le lecteur de cette description aura le bon sens de poser des questions ou de se préparer à en poser, sur les placements sous-jacents et leurs niveaux de risque, bien qu’en toute vraisemblance l’émetteur aurait mauvaise grâce à y répondre.

Il est important que les investisseurs comprennent les barèmes de frais d’une société émettrice. Toutes les commissions sur les ventes devraient être dévoilées, et toutes informations utiles apportées sur les frais de gestion dus à l’émetteur et aux sociétés qui y sont liées, ainsi que tous les frais éventuels payés à l’émetteur par les bénéficiaires de ces fonds.

Un document au point de vente pourrait aussi expliquer comment est déterminé le prix de vente et de rachat des parts. C’est extrêmement important, surtout quand la valeur des actifs est déterminée par la direction sans se fonder sur des valeurs cotées.

Je voudrais aussi que l’on explicite certains termes importants, car de nombreux investisseurs particuliers achetant des titres dispensés n’ont pas une connaissance des placements suffisante. Par exemple, les investisseurs dans des titres qui prêtent de l’argent pour acheter de l’immobilier verront souvent le terme « rapport prêt-valeur » accompagné d’un pourcentage. Un rapport prêt-valeur de 70 % signifierait qu’en moyenne, la valeur des emprunts ne dépasse pas 70 % de la valeur estimée de l’actif. C’est peut-être vrai, mais cela ne reflète pas nécessairement la valeur de la propriété ou des propriétés au moment de la publication de ce chiffre, mais peut refléter plutôt la valeur future de la propriété si certaines choses se produisent, comme un changement de zonage, l’achèvement du bâtiment et sa location intégrale.

J’ose espérer qu’un document de ce type fournisse des détails quant aux circonstances éventuelles qui permettront à un investisseur de racheter son placement. Dans certains cas, ce sera une simple déclaration, du genre : « à telle date, nous liquiderons le portefeuille et vous recevrez au prorata la part qui vous revient ». Dans d’autres, un investisseur pourrait découvrir qu’aucune échéance de rachat n’est prévue. Bien sûr, quand vous achetez des créances à risque élevé avec une date d’échéance, vous devriez réaliser que si vous voulez recouvrer votre argent, il faut que l’émetteur puisse trouver d’autres investisseurs. À mon avis, il faut le dire en toutes lettres si le titre en question est destiné à des investisseurs particuliers.