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À leur embauche, en avril 2003, les conditions du contrat sont favorables à l’équipe Dalpé Milette de VMD. Les commissions incluant les bonis allaient jusqu’à 70 %, ce qui se situe au-dessus de la norme dans le secteur. S’ajoute à ces conditions un bonus d’embauche de 1,3 M$ chacun. « Cette rémunération s’explique, selon Dalpé, par le fait qu’ils prennent en charge toutes leurs dépenses et qu’ils sont très rentables compte tenu de l’importance de leurs actifs sous gestion qui sont alors de 250 M$. De ces derniers, 140 M$ va les suivre chez VMD. »

Les bonus à la signature qui totalisent 2,6 M$ représentent donc 1,85 % de l’actif qui va les suivre chez VMD.

On apprend dans le jugement que Jean-Marc Milette a approché des employés du Centre financiers aux entreprises Desjardins, avec la permission de leurs patrons Yves Néron et Bruno Desmarais.

« Milette témoigne qu’il développe certaines stratégies afin de récompenser les planificateurs des caisses qui leur réfèrent des clients, en leur remettant, par exemple, des voyages. Ou encore, ils acceptent de coter des clients comme référés par une caisse alors qu’ils ne le sont pas. Par le biais de ces stratégies, Dalpé et Milette intègrent progressivement les caisses et attirent une large clientèle. »

Cette stratégie a du succès. En 2011, l’équipe Dalpé Milette a 945 M$ en actif sous gestion, 2500 clients dans 75 caisses. « De cette clientèle, 53 % est cotée référée, ce qui a un impact important sur la rémunération des différents partenaires au détriment de VMD », lit-on dans la décision du juge Benoît Moore.

Si le système établi fonctionne si bien, c’est parce qu’il met à profit une entente conclue entre VMD et le réseau des caisses, selon laquelle VMD verse aux caisses un pourcentage des revenus issus des clients référés par celles-ci. « Ainsi, les revenus provenant de clients référés sont répartis 60 % pour Dalpé et Milette, 30 % pour la caisse et 10 % pour VMD alors que ceux des clients non référés sont partagés 70 % pour Dalpé et Milette et 30 % pour VMD. En cotant des clients référés, ils favorisent donc les caisses, ce qui les incite à leur référer de plus en plus de clients et à travailler avec eux », lit-on dans le jugement.

En août 2011, Yves Néron rencontre Jean-Marc Milette afin de renégocier leur contrat de travail afin d’améliorer la profitabilité de VMD.

Après que Jean-Marc Milette eu rencontré le patron d’Yves Néron, soit Denis Berthiaume, alors premier vice-président et directeur général, Gestion du patrimoine et Assurance de personnes du Mouvement Desjardins, Yves Néron souhaite que la situation se règle vite.

« Néron communique à Milette des chiffres démontrant non seulement la faible profitabilité pour VMD de la structure d’affaires de Dalpé et Milette, mais, surtout, de la régression de celle-ci. Néron explique au Tribunal qu’il souhaite à ce moment trouver une solution négociée, tout en sachant toutefois qu’il peut imposer ses conditions ou mettre fin unilatéralement au contrat », lit-on dans le jugement.

Le 26 octobre 2011 se déroule une nouvelle rencontre entre Marc Dalpé, Jean-Marc Milette, Yves Néron et Bruno Desmarais, le numéro 2 de VMD, qui se conclut dans une impasse, selon le jugement : « Dalpé dit essentiellement ne pas vouloir négocier, à tout le moins, si les modifications ne visent que leur groupe. On propose de se voir la semaine suivante. Cette rencontre n’aura jamais lieu… »

Jean-Marc Milette et Marc Dalpé ainsi que sept autres conseillers sont congédiés le 3 novembre 2011 pour ne pas avoir divulgué des comptes offshore de quelques clients.

Autres révélations

Le jugement donne des détails sur des effets du congédiement de Jean-Marc Milette et Marc Dalpé.

Sur le plan financier, ceux-ci ont connu une baisse de revenu importante. Du 1er janvier au 3 novembre 2011, Marc Dalpé a touché un revenu de 2,49 M$ et Jean-Marc Milette, de 2,49 M$. En annualisant ces revenus, ceux-ci auraient touché en 2011 chacun 3 M$ environ. En 2012, leurs revenus annuels sont respectivement de 842 833 $ et 840 423 $.

Ils ont toutefois touché chacun un bonus d’embauche chez Richardson GMP de 2,45 M$. Le Tribunal ne croit qu’une partie de ce bonus doit être considérée comme un revenu.

Entre octobre 2011 et novembre 2017, l’actif sous gestion de l’équipe Dalpé et Milette est passé de 945 M$ à 562 M$. « Cette diminution de l’actif sous gestion irradie donc au-delà de l’année suivant le congédiement, soit la durée du délai-congé [NDLR : Le délai-congé correspond à l’indemnité que VMD aurait théoriquement dû leur verser, n’eût été l’entente de transaction et quittance signée. Le Tribunal estime qu’un an est la période d’indemnisation raisonnable.] S’il est donc raisonnable d’ajouter une partie bonus aux revenus touchés en 2012, il importe d’en réserver une autre part pour pallier le capital perdu au-delà de cette période », lit-on dans le jugement.

Par ailleurs, on apprend dans le jugement l’effet de la médiatisation de leur cas. « Bien que congédiés avec d’autres, c’est eux dont les médias parlent, ce sont leurs photos qui apparaissent dans les journaux. (…) La médiatisation a pu causer un tort aux demandeurs à l’égard de leur clientèle de même que provoquer un sentiment d’humiliation. »

En entrevue à Finance et Investissement, il déclarait, en décembre 2011, que la médiatisation de son congédiement a été une épreuve pour Marc Dalpé et ses proches. « Ma mère, elle pleurait à tous les soirs », relatait-il, visiblement ému.

« Tout cela ne peut toutefois être reproché à VMD. Le congédiement des demandeurs constitue une nouvelle d’intérêt public et a été traité comme tel. Rien des propos tenus par VMD et son représentant, André Chapleau, a pu ajouter au congédiement lui-même. Au contraire, Chapleau précise immédiatement qu’il n’est pas question de fraude ou de malversation, mais du respect de règles de conformité, ce qui est tout à fait exact. Il ajoute que ni les clients ni le Mouvement Desjardins n’en subissent un préjudice, ce qui est également vrai. Enfin, VMD tente, sans succès, de conserver secrète l’identité des membres congédiés. Sur ce plan, non plus, il n’y a pas d’abus », lit-on dans le jugement.