Le juge Robert Legris enjoint à VMD de remettre à Carol Jean et à Benoît Leclerc respectivement 822 600 $ et 242 800 $. Ces sommes représentent des manques à gagner de revenus respectifs de 12 et 14 mois, selon le jugement. Les conseillers avaient été embauchés à la succursale de Rivière-du-Loup de VMD en novembre 2004.

D’après ce document, VMD a congédié les conseillers «sans motifs suffisants». Rappelons que le courtier leur reprochait d’«avoir eu un compte de courtage ailleurs que chez VMD sans le déclarer ; d’avoir conseillé un client à l’insu de VMD ; et d’avoir perçu des commissions à l’insu de VMD».

Le magistrat a souligné que les activités offshore de Carol Jean et de Benoît Leclerc n’avaient rien d’illégal. Il a ajouté que le client qu’ils ont conseillé, un certain Bouffard originaire de Matane, en Gaspésie, n’a commis aucun crime fiscal, du temps de sa relation avec les représentants. Bien que ce client conserve une adresse postale chez sa mère et son permis de conduire québécois, il réside aux Îles Turquoises, «ce qui le dispenserait de faire des rapports d’impôt canadiens», selon le jugement.

Carol Jean et Benoît Leclerc l’ont conseillé jusqu’en juin en 2009, soit deux ans et demi avant leur congédiement.

Dans le jugement, on apprend que «jamais [Carol Jean et Benoît Leclerc] ne déclarent à VMD leur compte à la National Bank International des Bahamas dans lequel ils ont touché des commissions». Chacun percevra 7 500 $ en commissions de ce compte de 2005 à 2009. «Les quelques services que Leclerc rendra à Bouffard après 2009 au sujet de ce compte le seront « pour accommoder le client »», lit-on dans le jugement.

De plus, selon le juge, VMD a placé ses conseillers «dans une position à risque tant par les choix de ses dirigeants, [que]par ses règlements, son mutisme et sa politique de l’autruche». Le jugement révèle que des cadres et des gestionnaires de VMD étaient au courant des comptes offshore, mais que le sujet était tabou et qu’on n’en parlait pas.

Selon le jugement, Jean-Pierre De Montigny présidait VMD au moment de l’embauche de Carol Jean et de Benoît Leclerc : «Il affirme que le compte offshore est une vieille pratique de l’industrie dont il ne faisait pas la promotion, mais qui ne dérangeait pas parce que la majorité des comptes étaient inactifs et leurs activités, marginales en volume. […] Bref, les comptes offshore ne sont une priorité ni pour lui ni pour le vérificateur interne.»

Jean-Pierre De Montigny est remplacé par Germain Carrière en 2005. Selon le jugement, Germain Carrière, qui avait présidé le Club du président de la Financière Banque Nationale (FBN) aux Bahamas, en 1999, connaissait «deux façons d’ouvrir et de maintenir un compte offshore en vue de protéger l’anonymat du client, selon qu’il y avait partage de commission avec la firme ou non».

«Il affirme qu’en arrivant à VMD en 2005, il en parle au chef de la conformité et ils conviennent d’empêcher l’ouverture de nouveaux comptes et de s’assurer que les [conseillers] ne seront pas très actifs avec les banques offshore. Comme service accessoire, tant la firme que le courtier a intérêt à les garder», lit-on dans le document.

D’après le jugement, jusqu’en 1998, Desjardins avait des intérêts dans la Laurentian Bank and Trust, qui avait une place d’affaires aux Bahamas et une «procédure d’ouverture de compte écrite et publiée par le vice-président au détail». Cette banque a été vendue en 1998 à BNP Paribas, et le compte de VMD a été fermé en 2003, l’année même où BNP Paribas a cédé un portefeuille de comptes à la National Bank International (NBI). En novembre 2007, la NBI passera aux mains de Crédit agricole suisse des Bahamas.

«En 2003, lorsque VMD ferme son propre compte offshore, elle en avise ses courtiers, mais ne leur donne aucune indication ni instruction relativement aux placements offshore de leurs clients. Bref, pour employer une expression entendue à l’audience « Ils nous laissaient faire », sachant pertinemment l’existence de telles situations», écrit le juge Robert Legris.

Le magistrat souligne que ceux qui ont décidé du congédiement de Carol Jean et de Benoît Leclerc l’ont fait de manière «dogmatique, sans connaître l’histoire et sur la seule vue des contraventions».

«Plutôt que de tenter de régler le problème à l’interne, VMD s’en est débarrassé et ce sont les demandeurs qui en ont payé les frais», écrit le juge.

Simple mise en garde

Le jugement cite la conclusion de l’enquête de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) sur le cas de Carol Jean et de Benoît Leclerc. Selon celle-ci, les conseillers n’auraient «pas exécuté adéquatement les obligations» réglementaires et n’auraient pas «observé des normes élevées d’éthique et conduite professionnelle». Malgré tout, le personnel de l’OCRCVM ne leur a émis qu’une mise en garde.

Le Tribunal indique cependant qu’ils sont des conseillers «sans antécédent et de haute qualité». De plus, le jugement souligne que des sept autres conseillers en placement congédiés simultanément avec Carol Jean et Benoît Leclerc, «tous en sont venus à une transaction entérinée par l’OCRCVM, sauf un qui a aussi été l’objet d’une mise en garde. Les demandeurs n’ont donc pas été traités mieux que les autres par l’OCRCVM».

Parmi les conseillers qui ont conclu une entente de règlement avec l’OCRCVM, notons que Guylaine Raby, Marc Dalpé et Jean-Marc Millette ont écopé d’amendes de 15 000 $ à 20 000 $ de l’organisme d’autoréglementation pour avoir omis de déclarer ou d’inscrire leurs activités extérieures. Ceux-ci ont dû remettre l’avantage réalisé en raison des infractions commises, lequel varie entre 14 000 et 75 000 $.

Par ailleurs, le jugement revient sur le stress subi par Carol Jean et Benoît Leclerc à la suite de la diffusion médiatique de leur congédiement.

«Après quelques jours, Benoît Leclerc abdique, devient absent, perd 30 livres, ne mange plus au restaurant le midi et vit des disputes de ménage à cause de son indolence. Les deux [conseillers] consultent un psychiatre et consomment des antidépresseurs pendant plusieurs mois, Benoît Leclerc, jusqu’en 2014», lit-on dans le jugement.

Les deux conseillers sont passés à la FBN après leur départ de VMD, FBN ayant été leur employeur avant qu’ils soient embauchés par VMD, en 2004. Ils n’ont reçu aucune «prime de fidélisation», soit un montant d’argent forfaitaire que les conseillers qui changent de firme de courtage perçoivent généralement. De plus, ils ont trouvé «très difficile» de récupérer leur clientèle qu’ils avaient chez VMD à cause de la mauvaise publicité entourant leur limogeage. Des 220 M$ qu’ils géraient avant leur congédiement, ils n’ont rapatrié que 90 M$ en actif.

En outre, VMD a mentionné qu’elle en appelera de la décision du juge. «Je ne peux donc pas commenter davantage à ce stade», a indiqué Valérie Lamarre, qui travaille aux relations avec les médias au Mouvement Desjardins, dans un courriel.