Une main donnant un dollar à une autre main.
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Peu à peu, la rémunération à honoraires prend place dans l’univers des fonds communs de placement. Le monde si particulier des fonds distincts entrera-t-il dans la danse ?

Président pour le Québec du Groupe Financier Horizons, James McMahon résume bien l’état des lieux : «Les séries de fonds distincts à honoraires sont peu nombreuses. Il n’y a pas beaucoup d’offres de la part des assureurs.»

«La rémunération à honoraires en fonds distincts, ce n’est pas pour demain !» lance pour sa part Yan Charbonneau, PDG d’AFL Groupe financier.

Selon lui, la formule des honoraires ne correspond pas aux besoins d’une grande partie de la clientèle de ces fonds d’investissement.

«Les clients de fonds distincts sont typiquement différents des clients de fonds communs de placement. Ils ont généralement moins d’actifs et ils préfèrent que les commissions soient imbriquées. Je pense que le type de client détermine s’il y a, ou non, rémunération à honoraires», explique le PDG d’AFL.

Selon Robert Lachance, vice-président des ventes, investissements et retraite du Groupe Cloutier, la fiscalité expliquerait beaucoup la rareté de l’offre de séries à honoraires dans le domaine des fonds distincts.

«Il n’est pas possible de déduire, à des fins fiscales, les frais d’honoraires de son revenu si les placements sont faits à l’intérieur des comptes enregistrés REER, FERR, CELI, REEE et REEI. Or, les fonds distincts sont rarement achetés à l’extérieur des comptes enregistrés», dit-il.

De plus, les autorités fiscales ont semblé, jusqu’ici, considérer les fonds distincts comme des contrats d’assurance et non comme des valeurs mobilières. Il peut alors devenir impossible de déduire des honoraires de conseil, même dans des comptes enregistrés.

Robert Lachance ajoute que les fonds distincts échappent au mouvement actuel de remise en cause des commissions intégrées. «Les clients ne demandent pas la fin des commissions intégrées. Et surtout, il n’y a pas de pression réglementaire à cet effet», dit-il.

Mécanique à part

Un autre facteur explique la rareté des séries de fonds distincts à honoraires : des agents généraux n’ont pas la capacité technologique d’en faire la gestion.

«En fonds communs de placement, les honoraires sont perçus par les courtiers, qui les reversent ensuite aux représentants. Cela repose sur un système informatique d’arrière-boutique, dit de back office, en mesure de facturer ces honoraires, de les recueillir et de les reverser aux représentants. Or, la plupart des agents généraux n’ont pas cette capacité technologique», souligne Bruno Michaud, qui a été responsable des ventes chez iA Groupe financier jusqu’à son départ à la retraite, en 2017.

Clients plus aisés

Qu’arrive-t-il avec les clients plus fortunés que la moyenne qui achètent des fonds distincts afin de faciliter leur planification successorale ? Par quoi, dans leur cas, est-il possible de remplacer les séries à honoraires ?

«Les clients plus fortunés ne veulent pas s’embarrasser de l’idée d’avoir à payer des frais d’entrée ou de sortie», affirme Guy Duhaime, président-fondateur du Groupe Financier Multi Courtage.

Certains conseillers privilégient alors les séries dites de rétrofacturation ou de reprise de commission (chargeback). Ainsi, lorsque le client liquide ses fonds moins d’un an après leur achat, l’assureur reprendra la commission de première année. La reprise de commission s’effectue à l’intérieur d’un délai de trois à cinq ans après l’achat, selon la série de fonds distincts de l’assureur. De cette façon, les clients ne paient pas de frais de sortie.

Selon James McMahon, les séries de fonds distincts comportant une commission réduite sur trois ans – sans frais d’entrée ni de sortie – et avec reprise de commission à la charge du conseiller constituent «l’une des grandes tendances de l’heure dans l’industrie».

Manuvie tente du neuf

Chef, tarification et produits de placement garantis à la Financière Manuvie, Marie Gauthier est une experte en fonds distincts. Elle a déjà été responsable de ce secteur chez Standard Life de 2009 à 2015. «Nous pensons que la rémunération à honoraires a de l’avenir», affirme-t-elle.

La responsable des fonds distincts chez Manuvie appuie cette évaluation sur deux facteurs : premièrement, l’environnement réglementaire actuel qui favorise la transparence et le dévoilement des frais ; deuxièmement, la demande potentielle de conseillers ayant des clients aux actifs plus élevés.

Toutefois, à l’heure actuelle, «les séries F en fonds distincts ne se vendent pas beaucoup», reconnaît-elle.

Le problème, explique Marie Gauthier, réside dans la capacité de distribution des agents généraux. «Contrairement aux firmes de courtage qui distribuent des séries F par l’entremise de fonds communs de placement, les agents généraux n’ont généralement pas développé, avec les fonds distincts, de structures permettant la gestion de rémunération à honoraires», dit-elle.

Afin de contourner cette difficulté, la Financière Manuvie a mis sur pied, en début d’année 2019, un projet pilote permettant la gestion des honoraires à l’interne.

Appelée «option avec frais pour services professionnels», cette nouvelle série de fonds distincts donne aux conseillers affiliés à Manuvie la possibilité de négocier leurs honoraires avec leurs clients.

Quelques autres assureurs ont aussi choisi de gérer, à l’interne, des séries de fonds distincts à honoraires, signale Marie Gauthier.

La limite des portefeuilles

Cette gestion de séries à honoraires par les assureurs eux-mêmes pourrait se heurter à une importante limite : la construction des portefeuilles de fonds par les conseillers en sécurité financière indépendants.

«De façon générale, les conseillers en sécurité financière bâtissent des portefeuilles de fonds distincts en choisissant les meilleurs fonds à l’intérieur d’un certain nombre de catégories. Or, les meilleurs fonds sont rarement issus du même manufacturier», explique Bruno Michaud.

Par exemple, un conseiller pourrait bâtir un portefeuille en choisissant un fonds d’actions canadiennes de Manuvie, un fonds d’obligations de Mackenzie, un fonds d’actions mondiales de Fidelity, et ainsi de suite.

En conséquence, si ce conseiller choisissait un fonds de Manuvie dans une série à honoraires pour la catégorie de fonds d’actions canadiennes, aurait-il la même liberté avec les autres manufacturiers ? «Rien n’est moins certain», constate Bruno Michaud.

Ce dernier soulève ainsi la possibilité que des conseillers indépendants en sécurité financière rémunérés par honoraires ne puissent pas être en mesure de construire les portefeuilles de leur choix, étant donné la faiblesse de l’offre en la matière.