Un conseiller explique à un couple un plan financier.
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Lorsqu’un client songe à se lancer en affaires et, ainsi, quitter un emploi bien rémunéré, ça peut être anxiogène pour sa tendre moitié. Pour la rassurer, un planificateur financier devrait dresser un bilan des avoirs du couple et établir un plan financier réaliste qui tient compte du coût de vie de sa famille.

C’est l’un des messages du congrès de l’Institut québécois de planification financière, qui s’est déroulé à ­La ­Malbaie en septembre. À cette occasion, les formateurs ont présenté le cas fictif de Frédéric et d’Éloïse.

Éloïse ­Chétin, 36 ans, travaille comme ingénieure mécanique dans une grande société. Malgré un salaire brut annuel de 140 000 $ en plus d’un régime d’avantages sociaux, elle envisage depuis quelques années de lancer une entreprise avec trois collègues qu’elle a connues pendant ses études universitaires afin de commercialiser un produit révolutionnaire.

Le conjoint d’Éloïse, ­Frédéric, 35 ans, enseigne dans une école primaire. Il adore son travail et compte le poursuivre jusqu’à sa retraite. Frédéric gagne un salaire brut annuel en 2023 de 60 000 $ auquel s’ajoutent ses propres avantages sociaux. Il participe aussi au ­Régime de retraite du personnel employé du gouvernement et des organismes publics (RREGOP). « ­Frédéric s’inquiète de l’incidence du projet d’Éloïse sur les finances de la famille », ­lit-on dans l’étude de cas. Le couple, qui vit en union de fait, a deux enfants, ­Olivia, 4 ans, et ­James, 2 ans, lesquels fréquentent un service de garde non subventionné. ­Celui-ci coûte annuellement 18 000 $. Le coût de vie familial actuel est de 110 000 $, soit 43 000 $ assumé par ­Frédéric et 67 000 $ par Éloïse.

Éloïse utilise annuellement la totalité de ses droits ­REER et ­CELI et dispose d’importantes sommes accumulées pour sa retraite, soit 75 000 $ dans un ­CELI et 150 000 $ dans son ­REER. Le couple possède une résidence valant 575 000 $, mais avec un solde hypothécaire de 200 000 $. Les membres du couple jugent que leur versement hypothécaire mensuel de 1 052,04 $ pèse lourd dans leur budget.

Avant le lancement de l’entreprise, le couple peut faire certains choix. D’abord, les protections pour les soins médicaux, les médicaments, les soins dentaires et les soins à l’étranger peuvent être obtenus de l’employeur de Frédéric dans une option famille, ce qui couvre ainsi Éloïse.

Même si Éloïse pourra se prévaloir du droit de transformation de sa police d’assurance vie souscrite auprès de son employeur dans son régime collectif, elle ne pourra pas en faire autant avec sa police d’assurance invalidité, qu’elle devra remplacer.

Choix difficiles

Le financement du coût de vie d’Éloïse et de sa famille a de quoi donner le vertige à ­Frédéric, a indiqué l’un des formateurs, le planificateur financier ­Charles Rioux Rousseau. Il a soulevé différents choix à prendre en considération par le couple, incluant mettre l’épargne pour la retraite sur pause durant les premières années qui suivent le démarrage de l’entreprise, compresser le budget familial, décaisser les épargnes actuelles et même emprunter en réhypothéquant la résidence.

La première option, soit celle de mettre sur pause l’épargne-retraite, aura certes des conséquences futures sur le financement des beaux jours du couple, a indiqué Charles ­Rioux ­Rousseau, qui est aussi conseiller, développement et qualité de la pratique à l’IQPF.

Afin de sécuriser ­Frédéric, on peut lui rappeler qu’il participe au ­RREGOP, un régime à prestations déterminées qui lui fournir un revenu viager, et que tant qu’il continue de travailler, il maintient ses cotisations au régime. « ­On [n’arrête pas] toutes les épargnes pour la retraite du couple. Frédéric continue d’accumuler des droits dans un régime. On a encore un mécanisme d’épargne. On peut faire des projections à long terme pour voir l’impact, mais ça peut être une manière de venir rassurer. Parce que si Éloïse fait le grand saut et que ça va bien, il n’y aura pas de problème », a souligné ­Mélanie Beauvais, actuaire et planificatrice financière chez Bachand Lafleur, groupe conseil.

Le couple peut également limiter certaines dépenses afin de réduire son coût de vie, par exemple celles liées aux activités des enfants. Or, cette option « peut amener (le couple) à faire des choix difficiles », a admis ­Charles Rioux Rousseau.

Durant les premiers mois, voire les premières années qui suivront le démarrage de l’entreprise, les revenus d’Éloïse pourraient être faibles ou même nuls, ce qui peut la forcer à décaisser des épargnes actuellement disponibles, comme celles du ­CELI ou du ­REER, a ajouté le formateur. Durant cette période délicate, elle pourrait également songer à emprunter pour financer son coût de vie, comme en réhypothéquant la résidence familiale. Le taux d’intérêt et la période d’amortissement feront notamment partie des paramètres analysés.

« ­Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, ça dépend de l’évolution de la situation », a nuancé ­Charles Rioux Rousseau.

Considérer le ­TEMI

Advenant une période prolongée de faibles revenus pour Éloïse, la baisse des revenus familiaux sera compensée en partie par la hausse d’autres mesures ­socio-fiscales, comme l’Allocation canadienne pour enfants et l’Allocation famille. Le taux effectif marginal d’imposition implicite (TEMI), qui mesure la variation de la charge fiscale nette suivant une hausse ou une baisse de revenus en tenant compte des taux d’impôt, des crédits d’impôt et autres prestations fiscales offertes, sera ainsi un facteur favorable et pourrait contribuer à rassurer ­Frédéric.

Dans le cas où l’entreprise génère assez de revenus pour verser un salaire ou un dividende à Éloïse, il importe de considérer le TEMI dans ses calculs. Si on l’ignore, on devrait verser un salaire de 96 581 $ à Éloïse, ou encore un dividende de 81 331 $, pour obtenir un revenu disponible de 67 000 $. Par contre, en considérant le TEMI, entre autres l’effet favorable de l’Allocation famille, l’Allocation canadienne pour enfants et du crédit d’impôt pour frais de garde d’enfants, pour lequel un salaire est nécessaire, on peut verser un salaire annuel à Éloïse de seulement 54 000 $ afin que le couple ait le revenu disponible désiré.

Pour arriver à ce salaire, ­Charles ­Rioux ­Rousseau a, dans tous les scénarios, gardé fixe la contribution au coût de vie familial de ­Frédéric (43 000 $) afin d’« isoler » le revenu disponible pour Éloïse. L’effet combiné de la hausse des allocations familiales et de la baisse de l’impôt sur le revenu explique qu’un salaire de 54 000 $ suffise. On peut utiliser le calculateur ­Revenu disponible du ministère des Finances du ­Québec pour tester des scénarios.

« ­Il faut considérer les mesures ­socio-fiscales au moment de déterminer la rémunération de l’actionnaire dirigeant, puisque ces mesures peuvent représenter des sommes importantes », a noté Charles ­Rioux ­Rousseau en marge du congrès de l’IQPF.

­Au-delà de l’effet du ­TEMI, le choix de verser un salaire ou un dividende à un actionnaire qui travaille activement dans une entreprise est complexe. Il doit tenir compte de bon nombre de facteurs, entre autres l’âge du client, son profil d’investisseur, le fait qu’il attend ou non un enfant afin de profiter du ­Régime québécois d’assurance parentale, la nécessité de créer ou non de l’espace ­REER pour profiter du ­Régime d’accession à la propriété, son historique de contribution au ­Régime de rentes du ­Québec, la fiscalité d’entreprise, etc.