Un cadrillage où on voit des flèches noires pointant vers la droite sur chaque carré. Il manque un carré en haut à gauche. Il est un peu en retraite avec une flèche rouge pointant dans l'autre direction
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Dans les derniers mois, les banques TD et RBC ont provoqué deux ondes de choc, car elles « rationalisent » leur offre de produits d’investissement dans leurs succursales, limitant leurs représentants aux produits maison. C’est tout le contraire à la Banque Nationale du Canada (BN) qui, elle, étend l’éventail de produits offerts en succursale.

La BN prépare depuis 2017 le lancement d’une plateforme qui lui permettra d’offrir un maximum de produits d’investissement provenant d’à peu près tous les manufacturiers canadiens. « Nous nous ouvrons aux fonds de tiers, alors que nos concurrents s’y ferment, lance Nancy Paquet, première vice-présidente, stratégie, épargne et investissement, particuliers à la BN. Nous sommes en train de terminer notre processus et de former nos gens pour offrir notre nouvelle plateforme dès cet automne. En ce moment, nous la testons en projet pilote. »

S’agira-t-il de rendre disponible aux clients de la BN la totalité des quelque 5 000 produits de base proposés au Canada (excluant les milliers de dérivés de diverses séries: A, B, D, F, etc.)? « Nous allons commencer avec une vingtaine de manufacturiers, ce quivapeut-être couvrir 98% des produits disponibles », répond la gestionnaire.

Pour expliquer leur décision de rationalisation, certaines banques se réclament des exigences réglementaires trop lourdes de la Réforme du Règlement 31-103 en cours relativement à la connaissance des produits. Ce changement découlant des réformes axées sur le client ne désarçonne pas la BN. « Le KYP [Know your product] est complexe, et ça représente plus de travail, reconnaît Nancy Paquet. Ce n’est pas pour rien que nous allons faire des tests pilotes cet automne. Nous allons apprendre à marcher avant de courir. Par contre, il y a beaucoup d’informations disponibles et nous entendons former nos gens de façon à ce qu’ils puissent évaluer les produits. »

Timing béni

La BN se défend d’avoir mis au point son offre de façon à se doter d’un avantage concurrentiel. « En 2017, quand nous avons commencé, personne ne savait encore que 31-103 s’en venait. Si ça nous donne un avantage concurrentiel, tant mieux, mais ce n’est pas ce que nous visions. Si on veut donner du vrai conseil aux clients, il faut le faire sur ce qu’ils détiennent. » Il reste, comme elle le reconnaît volontiers, que « le timing tombe du ciel! »

Un facteur a favorisé la BN : elle ne possède pas, comme beaucoup d’autres banques, une filiale de gestion de portefeuille. « Nous avons vendu Natcan il y a près de 10 ans, rappelle Nancy Paquet. Nous n’avons pas ce biais de mettre de l’avant un gestionnaire maison. »

L’essentiel du projet tient à deux composantes. En premier lieu, la mise en place d’une plateforme technologique permettant d’intégrer et d’offrir des produits de tiers. « C’est un contrat technologique conclu avec un fournisseur externe, qui permet de convertir tous nos produits sur une seule plateforme, ajoute-t-elle. C’est tout un travail, qui fait qu’on peut mettre tous ces grands registres de fonds sur une même plateforme et qui permet au client d’y détenir tous ses actifs d’épargne collective. »

Ensuite, il faut former les troupes. La BN a d’abord assuré la mise à niveau des quelque 300 planificateurs financiers qu’elle compte dans son réseau de succursales et passera progressivement à ses 130 directeurs investissement et retraite.

Par ailleurs, les concurrents québécois de la BN semblent être déjà là où la TD et la RBC vont, a-t-on appris d’échanges de courriels avec des porte-paroles de ces institutions. Chez Desjardins, le modèle en place demeure: d’un côté, dans l’ensemble du réseau des caisses, on n’offre que des produits maison, tandis que « les membres qui sont servis par les Services Signature Desjardins (SSD) ont également accès à des produits complémentaires de tiers », indique Richard Laçasse, porte-parole média chez Desjardins. Il existe 16 SSD présents dans toutes les régions du Québec, dont 1 en Ontario.

Selon une source, auparavant, un client qui détenait déjà des fonds de tiers, par exemple un fonds de Fidelity, pouvait les transférer chez Desjardins Cabinets de services financiers. Voici ce que nous en dit aujourd’hui Radek Loudin, chef de la conformité au Mouvement Desjardins: « Un tel client serait dirigé, en fonction de ses besoins et objectifs en placement, vers le réseau Desjardins offrant des solutions et conseils qui répondent le mieux à ses besoins. En l’occurrence, si le client veut conserver ses fonds Fidelity, 11 pourrait être dirigé, par exemple, vers la succursale conseil de Valeurs mobilières Desjardins, ou un autre réseau. »

Est-ce que cela change la donne au chapitre des obligations de connaissance des produits? « Elles ne changent pas, répond Radek Loudin. En effet, les représentants inscrits doivent toujours se conformer aux exigences réglementaires et prendre des mesures raisonnables pour évaluer et comprendre les titres qui leur sont transférés de l’externe. »

À la Banque Laurentienne, « nos conseillers offrent uniquement des fonds de la gamme Banque Laurentienne, gérée par Placements Mackenzie […] un des plus importants gestionnaires de fonds au pays », explique Merick Seguin, conseiller principal, relations avec les médias.

Avis de l’A MF

Du côté de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Sylvain Théberge, directeur des relations médias, reconnaît volontiers que les développements chez TD, à la Banque Royale et d’autres constituent des conséquences involontaires découlant des réformes axées sur le client. De plus, l’AMF entend poursuivre des échanges avec l’industrie pour faire que ces conséquences involontaires « ne se concrétisent pas ».

Pourtant, lors des consultations liées à ces réformes, bon nombre d’entreprises anticipaient cette rationalisation, avertissant au passage les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) de ce risque. Dans son mémoire, Mérici Services Financiers avait prévenu l’AMF, de même que l’Institut des fonds d’investissement du Canada, Groupe Cloutier Investissements et MICA Capital. « Comment la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO), qui est membre des ACVM, pouvait-elle se surprendre de voir se concrétiser ce que de nombreux intervenants avaient annoncé? » écrit Maxime Gauthier, directeur général de Mérici, dans un billet paru sur le site de Finance et Investissement.

L’AMF entend-elle imiter la CVMO qui a entrepris une action réglementaire pour contrer la rationalisation annoncée? Le régulateur québécois ne se prononce pas, mais Sylvain Théberge marque bien que le statu quo n’enchante pas LAME « L’intention des réformes axées sur le client, écrit-il, est de donner aux investisseurs l’accès aux produits qui répondent le mieux à leurs besoins – et non de provoquer un retrait des produits de manufacturiers externes pour les clients. »