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Lors de l’élaboration d’une planification testamentaire, il est fréquent que les dernières volontés d’un testateur soient en faveur du conjoint. Lorsque survient le décès d’un des conjoints, une planification fiscale post mortem doit être mise en place afin d’optimiser les incidences fiscales au niveau du conjoint décédé, du conjoint survivant ainsi qu’au niveau de la succession.

Une planification fiscale post mortem permettra notamment de déterminer s’il est avantageux de maintenir ouverte la succession durant 36 mois dans la situation où le conjoint est l’unique liquidateur et l’unique héritier de la personne décédée.

Dans le but de dégager les avantages et les inconvénients de maintenir la succession ouverte durant 36 mois, dans le contexte d’un décès du premier conjoint, ce texte abordera en priorité les principales incidences fiscales au décès avec legs en faveur du conjoint. Ensuite, il sera possible de dégager quelques éléments de planification ainsi que de procéder au rappel des critères de maintien du statut de succession assujettie à l’imposition à taux progressifs (« SAITP »).

Principales incidences fiscales au décès du premier conjoint

La Loi de l’impôt sur le revenu (« L.I.R. ») prévoit une présomption selon laquelle une personne dispose de tous ses biens immédiatement avant son décès, et ce, à la juste valeur marchande (« JVM »).

Dans le contexte où l’hériter est le conjoint, la disposition présumée s’effectue par voie de roulement. Cependant, il est possible de faire un choix afin que le roulement soit non applicable et que la disposition réputée s’effectue à la JVM. Ce choix s’effectue bien par bien.

Pour que le roulement soit valide sur le plan fiscal, une des conditions est que le bien doit être dévolu irrévocablement à l’époux ou au conjoint de fait dans les 36 mois suivant le décès.

Dévolution irrévocable

Étant donné que le Code civil du Québec n’a pas d’équivalent au sens exact du terme vesting indefeasibly en common law, soit le concept de dévolution irrévocable en droit civil, et que la Loi de l’impôt sur le revenu ne définit pas le concept de dévolution irrévocable, il est possible de tirer des conclusions par la jurisprudence et les positions administratives de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») afin de déterminer à quel moment précis la dévolution irrévocable a lieu.

Lorsque le bien est visé par un legs particulier par le testateur, la dévolution irrévocable survient immédiatement après le décès pourvu que le conjoint survivant accepte ce legs particulier et effectue les démarches pour en obtenir la possession.

Concernant les autres legs, la dévolution irrévocable survient lorsque le conjoint survivant possède un droit exécutoire de recevoir le bien. Il faudra analyser les pouvoirs du liquidateur et tenir compte du moment où le conjoint survivant se verra attribuer le bien.

Incidences fiscales du roulement

Conséquemment, lorsque les conditions du roulement trouvent application, la personne décédée sera réputée avoir disposé de ses biens amortissables au moindre du coût ou de la fraction non amortie du coût en capital et de ses autres immobilisations à leur prix de base rajusté (« PBR »), et ce, immédiatement avant son décès. Le conjoint survivant est réputé avoir acquis le bien au moment du décès au même montant que le conjoint décédé en a disposé.

Enjeux de planification

À la suite du rappel des principales incidences fiscales au décès du premier conjoint, il est possible de constater que le roulement prévu dans la Loi de l’impôt sur le revenu, si toutes les conditions sont satisfaites, permet de reporter l’imposition au décès du premier conjoint en faveur du conjoint survivant.

Dans la situation où tous les biens sont légués en faveur du conjoint survivant, il est possible de se questionner sur l’utilité de maintenir la succession ouverte durant 36 mois. Voici cinq situations où le maintien de la succession durant 36 mois peut être à considérer.

  • Choix que la disposition présumée s’effectue à la JVM afin de profiter de la déduction pour gains en capital (« DGC »)

Lorsque le défunt détient à son décès des actions se qualifiant d’actions admissibles de petites entreprises (« AAPE ») et qu’un solde de DGC est disponible, il est judicieux de faire un choix afin que certaines actions soient disposées à la JVM immédiatement avant le décès. Ainsi, il sera possible de maximiser la DGC du défunt, sans que l’impôt minimum de remplacement s’applique, et permettra de minimiser l’impôt de la succession ou de l’héritier lors de la revente éventuelle des actions étant donné que le PBR de ces actions sera augmenté.

À cet égard, au décès, la Loi de l’impôt sur le revenu est moins exigeante concernant le critère d’AAPE selon lequel la société doit se qualifier de société exploitant une petite entreprise (« SEPE »), soit le test du 90 %. En effet, le critère doit être satisfait immédiatement avant le décès ou à n’importe quel moment au cours des 12 mois précédant le décès.

En outre, comme le choix de ne pas procéder par roulement se fait bien par bien, soit action par action, le solde des actions, dont la DGC n’a pu être réclamée, peut tirer avantage du roulement automatique au conjoint survivant.

Aussi, en fonction des droits prévus au capital-actions de la société, il sera possible de verser un dividende sur les actions détenues par la succession afin de profiter des taux progressifs durant 36 mois.

Finalement, selon les modalités du testament et, s’il y a lieu, de la convention entre actionnaires (« CEA »), il sera primordial de s’assurer, pour les actions qui profiteront du roulement, que la dévolution irrévocable en faveur du conjoint survivant survienne dans les 36 mois suivant le décès afin de remplir les conditions du roulement.

En effet, dans la situation où la société est détenue par des actionnaires survivants et où une CEA est en vigueur, il faudra s’assurer que la rédaction de cette CEA et du testament s’arrime parfaitement afin que le conjoint survivant puisse profiter du roulement et que la DGC soit utilisée à la disposition présumée des AAPE de l’actionnaire décédé et de son conjoint survivant. Dans la plupart des cas, le conjoint survivant a comme objectif de monnayer la valeur des actions et de se retirer comme actionnaire de la société. Les actionnaires survivants veulent, pour leur part, rompre tous les liens avec le conjoint survivant puisqu’il s’agit d’un actionnaire qu’ils n’ont pas choisi.

La clause de double option dans la CEA jumelée à un testament qui prévoit que les actions de la société sont un legs particulier en faveur du conjoint, et que ce legs est conditionnel à ce que le conjoint survivant prenne part à la CEA, permettra d’atteindre les objectifs du conjoint survivant et des actionnaires survivants.

  • Choix que la disposition présumée s’effectue à la JVM afin de profiter de certains attributs fiscaux

Dans la situation où le testateur décède en ayant des attributs fiscaux, il sera possible de faire le choix afin que la disposition présumée de certains biens s’effectue à la JVM afin de maximiser l’utilisation des attributs fiscaux.

La maximisation des attributs fiscaux peut également se faire en effectuant le choix de rouler de façon partielle le régime enregistré d’épargne-retraite (« REÉR »), qui se qualifie de « remboursement de prime », ou le fonds enregistré de revenu de retraite (« FERR »), qui se qualifie de « prestation désignée ».

Voici une liste non exhaustive des attributs fiscaux qui peuvent être maximisés avec cette planification :

  • récupérer les déductions ou les crédits inutilisés comme des dons, des frais médicaux ou des déductions inutilisées au titre des REÉR;
  • récupérer de l’impôt minimum de remplacement;
  • récupérer les pertes en capital nettes sous réserve d’un ajustement si la DGC a été réclamée;
  • créer des pertes finales ou des pertes en capital en disposant d’un bien ayant une JVM au décès moindre que son coût (sous réserve des règles de limitation de pertes).

Aussi, si le conjoint survivant n’a pas l’intention de conserver un bien qui génère du revenu, il peut s’avérer intéressant que le choix de la disposition présumée à la JVM soit effectué. Ainsi, c’est la succession qui s’imposera sur les revenus et qui procédera à la vente du bien, et non le conjoint survivant. Il sera donc possible de profiter des taux progressifs de la SAITP et le conjoint survivant peut du même coup maximiser ses programmes sociaux, s’il y a lieu.

Bref, faire le choix de la disposition présumée à la JVM permettra, en plus d’optimiser les attributs fiscaux au décès et de majorer le coût du bien, de profiter des taux progressifs au niveau de la succession. En effet, comme le liquidateur fait le choix de ne pas profiter du roulement en faveur du conjoint survivant, le bien va pouvoir générer du revenu dans la succession pour une période de 36 mois et, si les modalités du testament le permettent, être vendu ou échangé afin de générer davantage de revenus pour la succession et ainsi, profiter des taux progressifs.

  • Roulement automatique en faveur du conjoint survivant et maximisation des taux progressifs au niveau de la succession

Lorsque le défunt détient à son décès des actions d’une société privée qui ne se qualifient pas à la DGC ou que le solde de DGC du défunt a été entièrement utilisé du vivant, le roulement au conjoint survivant de la totalité des actions de la société peut s’avérer la meilleure option.

Cependant, en fonction des modalités du testament et du moment où la dévolution irrévocable a lieu, la société pourrait déclarer et verser un dividende lorsque les actions sont sous la saisine de l’exécuteur testamentaire de la succession. Le dividende serait alors imposé dans la succession.

En effet, dans un jugement rendu par la Cour suprême du Canada, soit l’arrêt Hall c. SMRQ, [1998] 1 R.C.S. 220, il est possible de constater que le bien peut être irrévocablement dévolu au conjoint survivant du point de vue fiscal et être encore sous la saisine du liquidateur au sens civil. La Cour suprême du Canada a mentionné que même si le véritable propriétaire est le légataire universel, la saisine du liquidateur a préséance sur la saisine de l’héritier. Le conjoint survivant ne peut donc pas exercer ses droits tant que la saisine du liquidateur n’est pas terminée, c’est-à-dire tant que l’administration de la succession n’est pas finie. Les revenus générés après le décès sont donc compris dans la saisine du liquidateur, puisque les actions sont considérées comme un bien meuble. En conséquence, sur le plan fiscal, ce montant n’est pas « payable », il doit donc être inclus dans le calcul du revenu de la succession.

La succession pourra alors réitérer la déclaration et le paiement de dividendes à trois reprises, soit en déterminant trois années d’imposition à l’intérieur des 36 mois où la succession se qualifie de SAITP. Cette planification permettrait de profiter du roulement au décès ainsi que des taux progressifs dans la succession.

Toutefois, lors de la Table ronde sur les produits financiers du Congrès 2005 de l’APFF, l’ARC n’a pas pu confirmer si les actions bénéficieraient du roulement au conjoint dans la situation où, selon les modalités du testament, la société doit verser un dividende à même son compte de dividendes en capital (« CDC »), alors que le liquidateur possède la saisine légale des biens de la succession, avant que le liquidateur remette les actions de la société au conjoint survivant ou à la fiducie exclusive en faveur du conjoint.

Il est donc possible de se questionner, par analogie au dividende à même le CDC, si le versement d’un dividende imposable en faveur de la succession, lorsque les actions sont sous la saisine de l’exécuteur testamentaire, pourrait compromettre le roulement des actions au conjoint.

  • Exploitation d’une entreprise individuelle

Dans le cas où le défunt exploitait une entreprise individuelle immédiatement avant son décès, il pourrait être envisagé d’exploiter l’entreprise par l’entremise de la succession afin de profiter des taux progressifs à condition que l’entreprise individuelle n’ait pas de plus-value au moment du décès.

  • Le conjoint n’est pas le seul héritier

Si le testament prévoit d’autres héritiers que le conjoint, il pourrait être envisagé de maintenir la succession ouverte durant 36 mois pour les biens qui ne sont pas légués au conjoint survivant et ainsi, profiter des taux progressifs.

Rappel des conditions pour être une SAITP

Comme mentionné à plusieurs reprises dans la section précédente, les planifications suggérées seront optimales seulement si la succession se qualifie de SAITP durant la période de 36 mois.

Premièrement, la succession doit être une fiducie testamentaire et elle doit s’assurer de conserver ce statut. Pour ce faire, elle ne doit pas contracter une dette ou une autre obligation dont le créancier est un bénéficiaire ou une personne avec laquelle le bénéficiaire a un lien de dépendance (« partie déterminée »), sauf si la dette ou l’autre obligation est :

  • en raison de son droit à une partie quelconque du revenu, du gain en capital ou du capital de la succession;
  • due à la partie déterminée en raison de services rendus;
  • un paiement effectué par la partie déterminée pour la succession (par exemple, paiement des frais funéraires), pourvu que cette dette soit remboursée à la partie déterminée dans les 12 mois suivant le paiement.

Deuxièmement, le numéro d’assurance sociale du défunt doit être indiqué dans la déclaration de revenus de la succession.

Troisièmement, la succession doit être désignée comme SAITP.

Finalement, aucune autre succession ne doit être désignée comme une SAITP du défunt.

Avantages et inconvénients

L’avantage de maintenir la succession durant 36 mois est inévitablement de profiter des taux progressifs que procure la SAITP. Il arrive également que la succession soit maintenue durant 36 mois puisque, par ailleurs, la planification post mortem a permis d’optimiser des attributs fiscaux. Le maintien de la succession durant 36 mois et l’optimisation des taux progressifs sont uniquement des avantages supplémentaires dans les circonstances.

Cependant, dans l’optique où le conjoint survivant est le seul héritier, le maintien de la succession durant 36 mois peut s’avérer coûteux si les sommes en jeu ne sont pas considérables ou si les attributs fiscaux à monnayer sont négligeables.

Conclusion

En somme, le maintien d’une succession ouverte durant 36 mois dépend de plusieurs facteurs. Ce texte n’est qu’une analyse sommaire et dépendamment des biens détenus au décès ainsi que des attributs fiscaux, les impacts potentiels doivent être analysés avec parcimonie afin de déceler les avantages et les inconvénients de maintenir une succession ouverte durant 36 mois.

Ce texte a paru initialement dans le magazine Stratège de l’APFF, (Printemps 2022), vol. 27, no 1.

Par Marilyn Plante, CPA, M. Fisc., Directrice en fiscalité, Groupe RDL Drummondville s.e.n.c.r.l., MPlante@grouperdl.ca