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L’Empire Vie est entrée de plain-pied dans l’univers de la distribution et du courtage. Est-ce une menace ou une opportunité pour la distribution indépendante ? Et pour les assureurs qui n’ont toujours pas leur propre réseau de distribution, est-ce un coup de semonce ?

En mars, l’Empire Vie annonçait l’achat de six cabinets de services financiers et leur fusion dans une nouvelle filiale, la Financière TruStone. Cette filiale agira comme agent général associé auprès du BridgeForce Financial Group.

L’Empire Vie craint-elle que ses produits soient, un jour, tassés de l’espace tablette des agents généraux détenus par ses concurrents de l’assurance de personnes ?

Tel est le point de vue de Daniel Guillemette, président fondateur du cabinet multidisciplinaire et agent général associé Diversico Finances Humaines. « Si j’étais dans les souliers de l’Empire Vie, j’aurais effectivement développé cette ligne de pensée, assure-t-il. N’oublions pas que les assureurs sont, par définition, les champions mondiaux de la gestion de risque. Je suis convaincu que les actuaires et dirigeants de l’Empire Vie y ont mûrement réfléchi et que la Financière TruStone est la réponse à la possibilité que leurs produits soient éventuellement défavorisés par les réseaux de leurs concurrents. »

La directrice de l’agent général Groupe SFGT, Caroline Thibeault, prend le temps de bien choisir ses mots. « Pour l’instant, les agents généraux détenus par les assureurs ne semblent pas aller dans la voie de la diminution de l’espace tablette consacré aux produits de leurs concurrents. Et pour l’instant, la distribution reste indépendante. Mais le potentiel est là. Il y a des possibilités… », avance-t-elle.

Des conseillers moins indépendants ?

Le président de l’agent général Financière S_entiel, Dominic Demers, reste également très prudent dans ses propos : « Je crois qu’en s’installant dans l’univers du courtage, l’Empire Vie entend prioritairement diversifier ses sources de revenus. »

En revanche, Dominic Demers évoque la possibilité que des conseillers qui privilégient la vente des produits de l’Empire Vie soient potentiellement attirés par l’herbe plus verte de ce nouveau réseau de distribution. « Le réseau de l’Empire Vie pourra repérer les conseillers qui vendent ses produits. Est-ce que cela pourrait nous nuire ? Ça, on le verra dans le futur », dit-il.

Il faut rappeler que l’entrée des assureurs dans la distribution n’a pas fait que des heureux.

« Des conseillers de la London Life qui avaient des contrats avec divers agents généraux ont été fortement incités à placer toutes leurs affaires chez Horizons. Et cela nous a touchés », souligne le président de la Financière S_entiel.

« Achat d’une force de vente »

Christian Laroche, président de l’exploitation pour le Québec du Réseau d’assurance IDC Worldsource, évoque les bénéfices qu’ont les assureurs à être directement présents dans le secteur de la distribution. « Pour les assureurs, c’est une façon de mieux connaître le marché. Qu’est-ce qui se vend ? Comment mieux positionner ses propres produits face à la concurrence ? L’Empire Vie tentera de répondre à ce genre de questions par l’entremise de la Financière TruStone », estime-t-il.

L’entrée de l’assureur dans la distribution constitue aussi, à ses yeux, une façon d’accroître plus rapidement ses parts de marché. « L’Empire Vie a acheté une force de vente », juge Christian Laroche.

Mais y a-t-il un risque que les agences générales, propriétés d’assureurs, en viennent à favoriser indûment leurs propres produits aux dépens des autres ?

« En me basant sur l’expérience d’Aurrea, je ne le crois pas », soutient Christian Laroche, qui rappelle les liens de propriété qui liaient autrefois Aurrea Signature à Humania Assurance, avant son rachat par IDC en 2020.

Cependant, reconnaît-il, cette crainte existe bel et bien dans le milieu de la distribution et des conseillers indépendants. Une importante tâche attend ainsi l’Empire Vie:la gestion des relations avec les divers réseaux de distribution.

« Je crois les gens de l’Empire Vie quand ils disent vouloir ériger une muraille de Chine entre leurs produits et leur implication dans la Financière TruStone. Mais les autres agents généraux se sentiront-ils concurrencés par l’Empire Vie ? C’est là un enjeu majeur », croit-il.

La fin de l’AG indépendant ?

Finance et Investissement pose la question depuis quelques années : le modèle de l’agent général (AG) indépendant a-t-il encore de l’avenir ? Selon Yan Charbonneau, la décision de l’Empire Vie d’entrer dans la distribution répond à la question. Et le président du Groupe Synex est bien placé pour en débattre.

En octobre 2021, il s’était défait de son agence générale en assurance de personnes au profit d’IDC Worldsource. Il chapeaute aujourd’hui de fortes divisions en assurance générale et en assurance collective, qui sont à l’épicentre du mouvement de consolidation pancanadien qui touche la distribution de deux secteurs.

« Les assureurs de personnes ne veulent pas faire des affaires les uns avec les autres. Et ils veulent limiter le nombre d’intermédiaires au minimum, rapporte Yan Charbonneau. Je crois que le modèle des agents généraux indépendants était pertinent il y a plusieurs années. Ils étaient alors très actifs dans le recrutement des conseillers. Aujourd’hui, la force de vente est vieillissante et la relève a beaucoup de difficultés à faire sa place. »

Dans ce secteur, poursuit-il, le modèle de l’agent général indépendant pourra difficilement tenir la route en raison de ses faibles marges bénéficiaires.

« En assurance générale, les courtiers génèrent plus de volume d’affaires que les assureurs eux-mêmes. Cela fait qu’il est possible pour des firmes comme la mienne d’investir en conformité, en technologies, etc. En assurance de personnes, c’est impossible, car les marges bénéficiaires des agents généraux sont trop faibles. Les conseillers captent 87 % de la rémunération ! »invoque le président du Groupe Synex.

Résultat de ce partage, la capacité d’investissement des agents généraux indépendants est des plus limitée. « Et ils doivent se battre contre des assureurs et des banques aux moyens quasi illimités ! », affirme Yan Charbonneau.

L’option internet

Selon Christian Laroche, l’entrée de l’Empire Vie dans la distribution forcera les assureurs qui n’ont pas de réseau de distribution à réfléchir et à agir.

« Pour un assureur, l’alliance avec un agent général est presque devenue un incontournable. Cette acquisition va accélérer la consolidation du secteur de la distribution, que ce soit par l’achat de cabinets ou par celui d’agents généraux indépendants », dit le responsable des activités québécoises d’IDC Worldsource.

Selon Daniel Guillemette, les assureurs qui ne voudront pas ou ne pourront pas entrer dans la danse n’auront pas grand choix. « Il leur restera l’option de la vente directe ou de la vente sur Internet », prédit le président de Diversico.