Un homme d'affaire levant une main en signe d'indifférence.
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La vente en ligne de produits d’assurance de personnes vient d’être encadrée par l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui a publié le 15 mai son Règlement sur les modes alternatifs de distribution. Or, le sondage réalisé dans le cadre du Top 10 des cabinets multidisciplinaires de Finance et Investissement révèle qu’une majorité de conseillers sont indifférents à l’autorisation de la distribution d’assurance de personnes par Internet sans l’intervention d’un représentant, indifférence que certains observateurs jugent mal avisée.

Le nouveau règlement de l’AMF précise de nombreux détails techniques visant le traitement des demandes des clients en ligne et l’interaction avec eux. Par contre, il laisse en suspens certaines inquiétudes des gens de l’industrie.

Comment les conseillers évaluent-ils leur cabinet ? : Consultez le tableau du Top 10 des cabinets multidisciplinaires

Ainsi, tout cabinet qui offre un produit et un service en ligne par la voie d’un «espace numérique» doit divulguer sans délai à l’AMF différents renseignements relatifs au site : nom du produit et catégorie à laquelle il est associé, nature des services financiers offerts sur l’espace numérique, liens hypertextes, etc. De plus, chaque année, le cabinet doit informer l’AMF de divers contrôles statistiques : nombre d e sinistres réglés, de polices émises, etc.

Les informations doivent être présentées sur le site «dans une forme claire, lisible, précise et non trompeuse» et certaines informations essentielles concernant le cabinet doivent être facilement accessibles : nom et coordonnées, disciplines pratiquées, etc.

De plus, «le cabinet doit rendre visible en tout temps le moyen d’interagir avec un représentant du cabinet». Quelle forme cette interaction doit-elle prendre ? Le règlement ne le précise pas. Sur le site transactionnel d’Emma Services financiers qui, en septembre 2018, a été le premier à distribuer de l’assurance vie en ligne au Canada, «95 % des échanges se font par clavardage», dit Gino Savard, cofondateur d’Emma et président de MICA Cabinets de services financiers.

Le règlement de l’AMF se penche aussi sur la mécanique d’interaction avec un client. Plus particulièrement, le site doit repérer toute irrégularité dans la transmission de renseignements et, au besoin, suspendre ou interrompre une action dès qu’une irrégularité se produit.

Jusqu’où s’étend la responsabilité d’un conseiller s’il répond à une question d’un client qui, par ailleurs, a effectué seul le reste d’une transaction en ligne ? Le règlement n’en dit rien. De même, les questions de pénalités et dédommagements relativement à des polices insuffisantes ou inadéquates demeurent en suspens. Dans le cas de clients mal assurés, prévoit Gino Savard, «ce sera les consommateurs qu’on rendra responsables de s’informer. Les assureurs vont essayer de se déresponsabiliser.»

«Ça ne change rien»

Le sondage révèle une grande indifférence des conseillers à l’égard de l’autorisation de la vente en ligne de produits d’assurance de personnes. Les commentaires les plus fréquents prennent des formes comme : «Ça ne change rien.» «Ça ne m’affecte pas.» «Ça ne changera pas ma pratique.» «Je ne vais rien changer ; on vient me voir pour la valeur du conseil.»

Des commentaires du type «On va adapter notre modèle» ou «Il faut embarquer dans cette vague-là» sont l’exception.

Cette insouciance laisse Gino Savard pantois. «Ça me renverse de lire de telles réponses à des sondages et de constater à quel point les conseillers sont insouciants. Seulement une minorité comprend les enjeux. Le conseil est un milieu de cowboys solitaires, submergés par leur quotidien et pas très conscients du contexte. Mais peu importe le marché dans lequel tu travailles, tu vas te faire dépasser par ceux qui recourent à la technologie.»

Il ne voit pas la technologie comme un processus pour évincer l’humain, mais pour intensifier la relation conseiller-client, «pour accroître l’échange d’information et multiplier les contacts», dit-il.

«On ne peut pas arrêter cela ; tout va sur Internet», reconnaît Ted Sliz, consultant auprès de Services financiers Whitemont, qui juge toutefois qu’un cabinet comme le sien, tourné davantage vers une clientèle plus fortunée, «ne sera pas affecté pour encore 10 à 15 ans». La vente en ligne «va attirer des gens qui, de toute façon, ne contracteraient probablement pas leur assurance auprès de nous». «Tout le monde devra s’adapter et fournir une certaine offre sur Internet», ajoute-t-il.

Gino Savard convient que les cabinets qui visent un marché plus exclusif seront épargnés pour quelque temps. Toutefois, «les conseillers actifs dans le marché familial et de masse vont être touchés plus rapidement. Aucun doute !»

Un produit vendu, pas acheté

Heather Clarke, vice-présidente de Services d’assurance I.G., n’est pas troublée par la réaction des conseillers. «Un vieil adage dit que l’assurance est un produit vendu, pas acheté. Très peu de gens cherchent de l’assurance ; c’est plutôt l’assurance qui vient à eux. C’est ce qui explique probablement que les conseillers soient peu inquiets : ils sentent peut-être que si personne ne conseille les gens et ne leur montre leurs besoins, les gens n’iront probablement pas d’eux-mêmes chercher de l’assurance en ligne.»

Heather Clarke met également en avant des recherches qui montrent que, si des consommateurs, surtout chez les milléniaux, réclament la possibilité de tout trouver en ligne, «quand vient le temps d’acheter, ils veulent pouvoir s’asseoir avec un conseiller. Après tout, un produit d’assurance typique est une créature passablement complexe», reconnaît-elle.

L’achat en ligne n’est une menace pour personne, juge Heather Clarke, mais plutôt un moyen supplémentaire de rejoindre les consommateurs canadiens, qui sont sous-assurés. «Les gens sont peu couverts, beaucoup moins qu’il y a 20 ans. De nombreuses personnes qui ont besoin d’assurance n’en ont pas, et ne rencontreront jamais un conseiller», affirme-t-elle.