Une femme devant un ordinateur. En transparence on voit pleins d'applications technologiques, comme un logiciel de reconnaissance d'empreinte, etc.
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Lise Estelle Brault, directrice principale, fintech, innovation et encadrement des dérivés, a été nommée à la tête d’une nouvelle direction créée récemment par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Sa mission consiste à poursuivre le développement et le déploiement de la stratégie fintech de l’organisme d’encadrement réglementaire. Finance et Investissement s’est entretenu avec elle en février dernier.

Finance et Investissement (FI) : Pouvez-vous expliquer davantage votre mandat auprès des acteurs de l’écosystème fintech ?

Lise Estelle Brault (LEB) : Au début de 2018, le comité de direction de l’Autorité a approuvé une stratégie en matière de fintechs. Cette stratégie se décline en trois volets.

1) Le premier volet est la proximité. Donc, la volonté de pouvoir intervenir auprès de l’écosystème fintech. À Montréal, oui, mais également à Québec, car il y a là aussi bien des projets intéressants.

2) Le deuxième volet touche l’agilité. Pour être agile, il faut savoir de quoi on parle, et ici, on parle beaucoup de formations internes, de mises à niveau des différentes équipes de l’Autorité et de vigie des nouvelles tendances.

3) Le dernier axe, c’est un axe de proactivité, où nos efforts sont principalement concentrés sur les comités internationaux qui se penchent sur les standards et les principes qui vont être établis, ou l’adaptation de principes existants à de nouveaux produits et services financiers.

On peut évoquer, par exemple, une initiative comme le Global Financial Innovation Network (GFIN), qui est un réseau international d’organismes de réglementation du secteur financier engagés à travailler ensemble afin de soutenir l’innovation financière profitable aux consommateurs, dans leurs marchés respectifs. Le but ultime de telles initiatives est de faciliter la mobilité des entreprises en démarrage, qu’elles soient d’ici ou d’ailleurs. Localement, nous prévoyons, par exemple, participer aux activités de la Station FinTech Montréal de Finance Montréal, qui est un de nos partenaires.

FI : L’évolution de l’écosystème fintech vous a-t-elle amenée à revoir votre rôle à titre de régulateur et vos interactions avec ces acteurs ?

(LEB) : On a constaté, il y a déjà plusieurs années, la nécessité non seulement de s’y intéresser, mais de revoir en continu le cadre réglementaire qui s’applique pour voir s’il est toujours pertinent et adéquat. Et aussi la nécessité d’être très présent auprès de ces nouveaux joueurs pour les informer le plus tôt possible.

Par exemple, un entrepreneur désireux de lancer une nouvelle fintech, une nouvelle entreprise, doit savoir dès le départ s’il y a des obligations réglementaires qui s’appliquent à lui, parce que ça change la donne. Le volet proximité est très important pour nous.

FI : Est-ce que des interventions dans certains secteurs d’activité sont jugées plus pressantes ?

(LEB) : Le premier qui me vient en tête, c’est évidemment le secteur des cryptoactifs. C’est vrai pour l’Autorité, mais aussi à l’échelle nationale. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) travaillent à établir clairement le périmètre par rapport aux activités de ce secteur. Plusieurs avis ont été publiés jusqu’ici pour clarifier avec les intervenants du marché à quel moment les lois sur les valeurs mobilières ou les lois sur les instruments dérivés s’appliquent. C’est un point central de nos travaux et de notre intérêt.

Un autre dossier qui est relativement bien avancé, c’est celui qui concerne la vente d’assurance par Internet. Les projets de loi et le règlement sur les modes alternatifs de distribution sont d’ailleurs déjà en vigueur.

FI : Lorsqu’on parle de fintechs, on pense immédiatement à des start-up, mais beaucoup de grandes firmes, par exemple les assureurs, doivent aussi adopter des technologies et, parfois même, adapter leur modèle d’entreprise. L’AMF est-elle également présente auprès de ces entreprises ?

(LEB) : Oui, nos initiatives fintechs ne soutiennent pas uniquement les entreprises en démarrage. Comme je le dis souvent, on aime tout le monde et on aime tout le monde de façon égale : les entreprises en démarrage comme les institutions financières bien établies !

L’idée, c’est vraiment d’accompagner les entreprises dans la mise en oeuvre de nouveaux modèles d’affaires ou de nouveaux produits et services financiers. Donc, que l’entreprise qui est derrière soit une start-up ou une entreprise établie, ce n’est pas important. L’important, c’est le caractère innovant du modèle d’affaires, du produit ou du service proposé.

FI : Le volet de la protection des renseignements personnels tombe sous la responsabilité de votre direction. Est-ce un sujet sur lequel vous êtes actifs ?

(LEB) : On s’y intéresse, c’est clair. Il n’y a pas de lois qui soient administrées par l’Autorité. Donc, s’il y a du développement législatif ou réglementaire, ce n’est pas l’Autorité qui va l’amorcer. Par contre, la détention et le traitement des renseignements personnels par les clientèles qu’on encadre, c’est sûr qu’il s’agit d’un aspect qui nous préoccupe et sur lequel on fait des suivis.

En matière de protection des renseignements personnels, l’un des volets des activités de ma nouvelle direction principale va porter sur les données qui sont détenues par l’Autorité. Ainsi, on va également regarder notre propre traitement des renseignements personnels, ceux que l’on détient dans le cadre de nos activités.

Personnellement, je suis très intéressée par tous les volets éthiques qui touchent l’utilisation des données, celles de l’intelligence artificielle (IA) dans l’industrie financière, que ce soit chez les assureurs ou les institutions de dépôt. Tout ce volet n’est pas un chantier réglementaire en soi, donc ne vous attendez pas à un règlement de l’Autorité là-dessus. Mais il faut y réfléchir. Est-ce qu’on sait vraiment ce qui est fait de nos données ? Est-ce qu’on comprend toutes les ramifications susceptibles de découler du fait de cliquer sur I agree pour avoir une nouvelle application ?

Dans le domaine de la finance, je pense qu’il y a des questions à se poser sur le profilage, sur les décisions qui seraient prises automatiquement par des robots, alors qu’auparavant, on avait la possibilité de parler à un être humain. Il y a beaucoup de bonnes choses qui ressortent de ces pratiques, mais il y a peut-être certains angles auxquels il faudrait s’intéresser davantage.

Est-ce que tout cela fera l’objet d’obligations réglementaires dans le futur ? Peut-être, mais on n’en est pas là. On commence à regarder ça. Mais il y a certainement à court et moyen terme un volet d’éducation à la littératie numérique, comme certains l’appellent, pour les consommateurs de produits et services financiers qui, je pense, est déjà très importante.

FI : Comment percevez-vous la dynamique de notre écosystème fintech ?

(LEB) : Chaque région géographique a ses particularités qui vont faciliter ou compliquer la vie des entreprises en démarrage, des entrepreneurs, des gens qui ont de nouvelles idées. Je pense qu’au Québec, considérant la taille de notre marché, on a quelques entreprises [fintechs] qui ont de très bonnes idées et qui font leur bout de chemin pour percer.

C’est sûr qu’on en revient pourtant à la taille de notre marché. À cet égard, l’Autorité a probablement un rôle à jouer pour faciliter l’expansion des actifs et de ces entreprises dans d’autres juridictions. C’est pour ça qu’on a conclu des ententes de coopération avec des régulateurs d’autres juridictions. Par ces ententes de partage d’informations, il nous est possible de faciliter les choses auprès du régulateur local pour une fintech d’ici qui voudrait aller s’établir ailleurs, en partageant par exemple l’information qu’on a déjà sur l’entreprise en question.

FI : En guise de conclusion ?

(LEB) : On invite les gens qui ont des questions, qui démarrent des entreprises, à nous écrire pour avoir un premier son de cloche par rapport au cadre réglementaire qui pourrait s’appliquer à leurs activités. Notre site web offre de l’information, mais on peut nous écrire à l’adresse courriel fintech@lautorite.qc.ca