Un homme d'affaire donnant un bâton de relais à un autre homme d'affaire.
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Environ un conseiller sur deux a mis en place un plan de succession documenté pour ses activités, révèlent les sondages auprès des représentants menés pour le Pointage des courtiers québécois et le Pointage des courtiers multidisciplinaires de 2021.

La proportion moyenne de plans documentés est de 48 % chez les conseillers en placement du premier pointage et de 53 % chez les représentants liés à un courtier multidisciplinaire. Sans surprise, l’âge moyen de ceux qui ont élaboré un tel plan est plus élevé que celui des professionnels qui ne l’ont pas fait. Plus un conseiller est âgé, plus il est susceptible d’avoir ciblé sa relève.

Les répondants de certains courtiers étaient en moyenne plus enclins à avoir un plan documenté, notamment ceux de CIBC Wood Gundy, Valeurs mobilières Desjardins, Gestion de patrimoine Assante CI, Groupe financier PEAK, Investia et Mérici Services Financiers.

Or, on trouve quelques conseillers de plus de 60 ans sans un tel plan – et même de rares septuagénaires – tant parmi les conseillers en placement que parmi les conseillers liés à un courtier multidisciplinaire. Ainsi, le quart des premiers avaient 53 ans ou plus, et le quart des seconds, 55 ans ou plus.

Y aurait-il procrastination chez ces connaisseurs… de la planification de la retraite ?

« La succession des conseillers est l’un des principaux enjeux de l’heure parmi les firmes de gestion de patrimoine. Paradoxalement, les conseillers ne sont pas très bons là-dedans. C’est un peu l’histoire du cordonnier mal chaussé ! », dit Éric Lauzon, vice-président, développement des affaires chez Gestion de patrimoine Assante CI.

À en juger par les commentaires recueillis dans ce sondage, les conseillers n’en perdent pas le sommeil pour autant. Loin de là.

« J’ai 12 ans de carrière, je suis trop jeune pour y penser », affirme un conseiller anonyme.

Un autre déclare que sa « retraite n’est pas avant 10 ans, je n’y pense pas ». Et il n’est pas le seul à réagir ainsi. Plusieurs signalent ne pas s’en faire à 9, 10 ou 12 ans de la retraite.

Ont-ils raison ? Les conseillers sont des entrepreneurs ou des travailleurs autonomes, comme l’indiquent les dirigeants de réseaux interviewés. À ce titre, ils sont maîtres de leur destinée.

« On ne peut pas forcer qui que ce soit à avoir un plan de succession », convient Charles Martel, directeur général et chef régional, région du Québec de Gestion privée de patrimoine CIBC.

Même son de cloche de Denis Gauthier, premier vice-président, directeur national à la Financière Banque Nationale Gestion de patrimoine (FBNGP) : « On ne peut pas imposer de date limite à la préparation d’un plan de succession. L’âge élevé n’est pas nécessairement un facteur négatif, car en gestion de patrimoine, l’expérience a de la valeur. »

« Ce n’est pas facile de répondre à cette question, convient Maxime Gauthier, directeur général et chef de la conformité de Mérici Services Financiers. Chacun a sa propre entreprise et la gère selon ses convictions. Cependant, plusieurs conseillers ont intérêt à faire un plan de relève. »

Quand devrait-on commencer à réfléchir à un plan de succession?

« Lorsqu’on est à 10 ans de la retraite, il faudrait au moins commencer à regarder autour de soi, afin de trouver quelqu’un qui partage nos valeurs. Les transitions rapides bousculent les clients. Il est possible de faire une transition en 5 ans, mais il faut être certain de son coup », signale Maxime Gauthier.

Denis Gauthier est plus catégorique : « On devrait y penser dès le début de sa carrière, car un plan de succession se bâtit sur plus de 10 ans. À la Financière Banque Nationale, on veut que nos équipes de conseillers soient multigénérationnelles. La juste représentation des générations est un souci constant. »

Chez Assante, « être à 10 ans de la retraite constitue un signal d’alarme, dit Éric Lauzon. Les clients ont besoin de savoir que plus d’un conseiller vieillissant s’occupe de leur patrimoine. C’est un réconfort nécessaire ! N’oublions pas qu’on peut avoir entamé un processus de succession depuis 5 ou 6 ans et réaliser, tout à coup, que ça ne marche pas. Il faut alors recommencer. Je ne conseille absolument pas de faire des plans de succession 1 ou 2 ans avant la retraite, car ce processus doit être graduel et évolutif. »

Pour sa part, Charles Martel en appelle à la prudence : « Les meilleures transitions s’effectuent lorsqu’on s’y prend tôt. Trouver la bonne personne peut prendre du temps. »

Coup de pouce des courtiers

Puisqu’on ne peut forcer personne à planifier sa succession, les firmes de gestion de patrimoine utilisent la stratégie du utilisent la stratégie du coup de pouce.

« Nous diffusons des histoires de réussite qui illustrent les avantages de s’y prendre longtemps d’avance. Nous proposons aussi des ateliers spécialisés, en personne et sur le web », signale Charles Martel. Gestion privée de patrimoine CIBC encourage d’ailleurs ses conseillers à avoir un plan de relève documenté. « La majorité des conseillers de 65 ans et plus en ont déjà un. Nous sommes actuellement en train d’encourager les 60 ans et plus à faire de même », confie-t-il.

À la FBNGP, « on tient à avoir des conversations avec nos conseillers plusieurs années avant leur retraite », précise Denis Gauthier. Le courtier met également de l’avant les mérites de la vente progressive de la clientèle. « La vente graduelle ou par pourcentage facilite la transition. Elle peut prolonger la carrière des principaux intéressés », ajoute-t-il.

La stratégie du coup de pouce est également utilisée par les cabinets d’épargne collective aux prises avec un pénible phénomène : au lieu de vendre leur bloc d’affaires (book), certains conseillers vieillissants touchent leurs commissions de renouvellement le plus longtemps possible. « Ils font plus d’argent comme ça qu’en vendant leur book. Ils s’assoient sur leurs lauriers et c’est plus compliqué pour la relève », déplorait un conseiller dans le cadre du sondage.

Éric Lauzon se dit conscient du problème : « C’est un autre grand défi pour l’industrie. Mon équipe est à l’affût. Nous nous arrangeons pour identifier ces conseillers, car nous ne voulons pas que cela se produise. »

Maxime Gauthier juge que « plusieurs conseillers ont surestimé la valeur de leur book. Quand ils s’en rendent compte, ils se disent qu’il est préférable de toucher leurs commissions de renouvellement. Les réformes axées sur le client vont améliorer cet état de choses, sans nécessairement le régler en totalité. »

Évaluation des blocs d’affaires

Les firmes de plein exercice affirment collaborer à l’évaluation des blocs d’affaires et faciliter le financement de leur rachat par de jeunes repreneurs.

« On soutient les vendeurs et les acquéreurs, à la fois pour l’évaluation et pour le financement », confirme Denis Gauthier.

« Les jeunes acquéreurs peuvent avoir des défis de liquidités. On peut alors intervenir en offrant des prêts de quatre à huit ans », précise Charles Martel.

N’étant pas liés à des institutions financières, les cabinets multidisciplinaires ont-ils la capacité de faire la même chose ?

« Nous avons une entente avec une grande banque canadienne, ce qui facilite ces transactions », dit Éric Lauzon, de Gestion de patrimoine Assante.

« Nos capacités de financement ne sont pas les mêmes, admet Maxime Gauthier. On peut toutefois référer nos conseillers à des institutions prêteuses. Et on les aide à mieux structurer ces transactions.