Homme d'affaire dessinée, il a l'air perplexe, ce qui est confirmé avec une bulle de BD au-dessus de sa tête où l'on voit un point d'interrogation
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Une succession d’études récentes s’interrogent sur l’impact de la gestion passive sur la stabilité du système financier, tout particulièrement sur l’impact des fonds négociés en Bourse (FNB).

Entre autres études, celle publiée en août 2018 par la Réserve fédérale (Fed) de Boston établit un bilan partagé de la gestion passive, jugeant qu’elle accroît certains risques systémiques et en réduit d’autres.

De plus, la forte croissance de la gestion passive (GP), surtout avec les FNB, suscite beaucoup d’interrogations de la part des autorités financières. «Les régulateurs ne comprennent pas clairement le fonctionnement des FNB», avance Robert Pouliot, chargé de cours à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM).

C’est probablement la raison pour laquelle la Banque du Canada a consacré une étude à l’impact des FNB sur l’édifice financier en 2014. Celle-ci a été suivie de trois études récentes publiées coup sur coup : celle de la Fed de Boston, une du European Systemic Risk Board (ESRB), en juin 2019, et une autre de la Financial Conduct Authority (FCA), l’autorité de réglementation britannique, en août dernier. C’est sans compter une multitude d’études universitaires consacrées à différents volets des risques liés à la gestion passive.

La croissance fulgurante de la GP est étonnante. Sa part de l’actif sous gestion dans le monde est passée de 3 % en 1995 à plus de la moitié en novembre dernier, selon Morningstar, pour un actif de 4,37 T$ US (billions), comparativement à 4,27 T$ US pour la gestion active.

Bilan partagé

La plupart des études établissent un bilan partagé de la gestion passive : elles saluent certains avantages systémiques, et appréhendent certains risques systémiques. L’analyse de la Fed de Boston porte sur quatre aspects de la gestion passive : liquidité, stratégies volatiles, concentration, ainsi que stabilité et comouvements des prix.

Sur l’aspect de la liquidité, elle juge que la GP contribue à réduire les risques systémiques, faisant mieux à ce chapitre que la gestion active. Cet avantage tient surtout au fait que les FNB sont négociés en titres et non au comptant, contrairement aux fonds communs de placement.

L’étude de la FCA a renforcé cette observation, établissant qu’au cours de trois récents épisodes de stress dans les marchés (novembre 2016, février et décembre 2018), les grands participants autorisés du marché, surtout des banques d’affaires, sont intervenus pour accroître la liquidité.

Cependant, les grands participants pourraient-ils toujours venir à la rescousse ? La Banque du Canada émet un doute : «Les participants autorisés peuvent aussi transmettre des chocs de liquidité du FNB aux actifs sous-jacents, et vice versa, écrit-elle. Compte tenu de l’interconnexion croissante entre les FNB et le marché sous-jacent, un choc de liquidité de faible ampleur émanant soit du FNB ou des titres sous-jacents pourrait être amplifié, par effet de rétroaction, par l’entremise des participants autorisés.»

Au chapitre de la volatilité, les études s’entendent sur le fait que certaines stratégies de levier et de recours aux dérivés financiers (options, swaps, contrats à terme) contribuent à accroître les risques d’instabilité financière.

Troisième facteur étudié par la Fed de Boston : la concentration des acteurs dans l’industrie de la gestion passive (Vanguard, BlackRock, State Street, etc.). Celle-ci représenterait des risques d’instabilité, tout particulièrement si un incident de piratage informatique chez un de ces acteurs provoquait une ruée de panique chez les investisseurs.

Enfin, les conclusions relativement au quatrième facteur de la stabilité des prix et des comouvements sont partagées. Plusieurs observateurs se sont inquiétés du fait que l’inclusion d’un titre dans l’indice de base d’un FNB tend à influer sur son prix, à en accroître la volatilité, à en réduire la liquidité et à faire fluctuer son rendement et sa liquidité en parallèle avec les autres titres de l’indice.

Pour sa part, l’étude de la Fed de Boston ne trouve aucune preuve d’un effet d’inclusion sur les prix. Par contre, les signaux pour les trois autres aspects de la GP sont partagés et nécessitent d’approfondir la recherche.

Autres notes dissonantes

À noter que l’étude du ESRB prend le contrepied de celle de la Fed de Boston au chapitre des comouvements. En effet, ses auteurs jugent que les titres «tendent à cobouger davantage avec leurs indices respectifs une fois qu’ils ont été inclus dans un FNB».

L’ESRB considère que les FNB accroissent la volatilité, parce qu’ils permettent aux investisseurs de prendre des positions massives sur des paniers entiers de titres. Enfin, abordant le thème de l’arbitrage, il avertit que «les prix des FNB peuvent dévier considérablement de ceux de leurs titres constitutifs, surtout en périodes de stress financier».

Robert Pouliot juge que le problème le plus dangereux tient au fait que les FNB font leurs profits essentiellement grâce au prêt de leurs titres. Or, le crédit est régulé par la Réserve fédérale américaine (Fed), mais les fonds le sont par la Securities and Exchange Commission. «On ne connaît pas l’ampleur des crédits octroyés par ces fonds», note l’universitaire, qui craint qu’un défaut d’une partie de ce marché puisse entraîner des effets systémiques.

Dans un article de Bloomberg, Michael Burry (héros du film The Big Short) dénonce la pyramide inversée d’investissement que représentent les FNB. Il donne l’exemple de 1 049 titres de l’indice Russell 2000 dont le volume quotidien de transactions ne totalise que 5 M$ US, alors que des centaines de milliards de dollars américains sont liés à ces titres par l’entremise de l’investissement indiciel.

«Le théâtre est rempli à craquer, mais la porte de sortie n’a pas changé», dit-il, prévoyant une débandade aussi dévastatrice qu’en 2008.

Vise-t-on les FNB par erreur ?

Outre Robert Pouliot, trois autres spécialistes à qui Finance et Investissement a parlé ne s’inquiètent guère d’une possible instabilité entraînée spécifiquement par la GP et les FNB.

Selon Richard Guay, professeur de finance à l’ESG UQAM, la plupart des reproches que l’on fait aux FNB ne sont pas propres à ceux-ci. «Oui, il y a plusieurs sujets d’inquiétude, mais ils ne tiennent pas aux FNB spécifiquement», dit-il.

Par exemple, le recours au levier et aux dérivés tout comme le prêt de titres sont courants dans la gestion active, et la concentration est un problème de monopoles, pas de FNB, souligne Richard Guay.

Même son de cloche de la part de Chris Brightman, chef des investissements chez Research Affiliates. Il considère les FNB comme une immense amélioration sur les fonds communs, notamment parce que, contrairement à ceux-ci, ils donnent accès d’un coup à des paniers entiers de titres avec une liquidité immédiate.

«Ce n’est pas que des préoccupations à l’endroit de certaines structures de FNB ne sont pas légitimes, mais la structure d’ensemble est bien meilleure», affirme Chris Brightman.

Raymond Kerzhéro, directeur de la recherche chez PWL Capital, est d’accord avec les observations de l’étude de la Fed de Boston, mais est insensible aux appréhensions d’un Michael Burry. D’une certaine façon, il rejoint Richard Guay en disant que les problèmes dont on s’inquiète ne sont pas spécifiques à la GP.

«N’oublions pas qu’en 1929, la chute totale des marchés a été de 80 %. Est-ce que les fonds indiciels pourraient amplifier des baisses de marché ? Considérons que nous avons connu des chutes massives sans eux…», souligne Raymond Kerzhéro.