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C’est donc dire que, d’ici le 15 juin, le projet de loi sera soit adopté, soit il mourra au feuilleton, expression parlementaire consacrée pour dire qu’il tombera caduc à la fin de la session.

Dans le premier cas, s’ouvrira alors une phase de transition complexe et sensible où beaucoup de choses seront en mouvement. L’intégration des Chambres à l’AMF, l’ouverture à la vente d’assurance par Internet, la notion d’exclusivité du conseil et des actes protégés des conseillers, le régime d’encadrement de Desjardins, le retour de l’assurance funéraire et j’en passe.

Dans le second cas, le prochain gouvernement, qu’il soit libéral, caquiste, péquiste ou solidaire, entreprendra la prochaine législature avec une ardoise toute neuve et ne sera tenu à rien face à cette pièce législative qui n’a pas été adoptée.

Notons toutefois que le gouvernement possède la capacité de « rappeler » un projet de loi et de lui faire reprendre le chemin là où il en était rendu. Personnellement, je ne parierais pas sur cette option considérant les critiques énoncées ces derniers mois et le débat acrimonieux ayant lieu. Un prochain gouvernement, quelle que soit sa couleur, préférerait probablement revoir la stratégie s’il souhaite s’attaquer à cet enjeu.

Mais bon, nous sommes ici en territoire de politique fiction et vos prédictions valent bien les miennes. Le gouvernement aura-t-il le temps de faire adopter son projet de loi dans les 10 prochains jours? Si oui, aura-t-il recours à la procédure dite du bâillon? Scindera-t-il son projet pour assurer l’adoption des mesures consensuelle pour laisser mourir les plus controversées? Ou manquera-t-il de temps tout simplement?

S’il est impossible de prédire l’avenir du projet de loi 141, nous pouvons toutefois en revoir le parcours et survoler ses principaux enjeux. S’il est adopté, ce sera bon pour la petite histoire. S’il ne l’est pas, cela pourra nous servir d’enseignement pour nos prochains débats sur l’encadrement du secteur financier.

Les « consultations »

Dès le départ, les « consultations » menées par le ministre créent deux clans : ceux qui en sont satisfaits et ceux qui ne le sont pas.

Il est difficile d’expliquer de manière précise pourquoi tant une multitude de facteurs entrent en jeu : consultations segmentées par enjeux ou secteurs, documents de consultations limités et peu appuyés par des faits concrets, documents de consultations orientés quant aux enjeux soulevés, etc.

Toujours est-il que certains y ont trouvé leur compte et d’autres, on remit en cause le caractère véritable de ces consultations. Notons également que le ministre a mené un certain nombre de consultations privées, sur invitations.

Le dépôt du projet de loi

Maintes fois promis avant d’être remis, on en était venu à se demander s’il serait un jour déposé! Derrière des portes closes, certains proposaient même de faire un « pool » sur la date de dépôt tant c’était devenu un « running gag ».

Puis ce fut la surprise. Alors que tous attendaient un projet de loi costaud, ce fut finalement un mammouth. Une énorme pièce législative de centaines d’articles dont les sujets étaient si variés qu’il fallait se rappeler qu’un fil conducteur motivait leur rassemblement dans un seul projet de loi : il était piloté par le ministre des Finances qui voulait tout régler d’un coup.

Chacun a donc sorti sa loupe pour scruter les sections du projet de loi qui avaient le potentiel de l’impacter. Chacun a donc choisi son camp en fonction de sa lecture et de sa loupe. La bataille pouvait commencer.

Les « consultations », prise 2

La Commission des finances publiques a tenu trois jours de consultation sur invitation où un certain nombre de groupes et d’organismes triés sur le volet et négociés entre le gouvernement et les oppositions ont pu faire entendre leur point de vue.

Il y eut donc les chanceux qui ont pu se faire entendre et les exclus qui ont été limités à tenter d’attirer l’attention sur des enjeux parfois oubliés en marge des travaux de la commission.

La bataille, en public et en coulisses

C’est alors que s’intensifie la bataille. Dans les médias, sur les médias sociaux, au sein des associations et surtout en coulisses, les partisans et les opposants s’activent afin de pousser le gouvernement à adopter, modifier ou abandonner son projet de loi.

Règle générale, les assureurs et institutions financières appuient le gouvernement alors que les indépendants et les associations de consommateurs appellent à l’abandon du projet de loi ou à sa scission.

Les enjeux de notre industrie

La vente d’assurance par Internet

Hérésie pour certains, inéluctable évolution pour d’autres, le projet de loi propose la légalisation de la vente d’assurance par Internet. La pratique, encore marginale et balbutiante, promet de prendre de l’ampleur et le débat fait rage sur l’importance qu’un conseiller certifié intervienne dans le processus pour conseiller le client.

L’exclusivité du conseil

Certaines dispositions du projet de loi laissent croire que la notion de conseil ne serait plus exclusive aux détenteurs d’une certification, mais qu’il pourrait être dispensé par n’importe qui, n’importe comment. Incompréhension du projet de loi pour certains, brèche importante dans les actes réservés et la protection du public pour les autres. Sans précision sur ce point, les tribunaux pourraient avoir à trancher sur l’interprétation à donner aux dispositions législatives.

La capitalisation et l’encadrement du Mouvement Desjardins

Voilà des mesures qui font plus rapidement consensus et qui servent également d’argument pour une adoption rapide du projet de loi. La révision permet d’ajuster le corpus législatif encadrant Desjardins aux normes internationales et d’assurer la pérennité du Mouvement Desjardins.

L’abolition des Chambres

L’une des mesures qui a fait couler le plus d’encre, l’abolition des Chambres et leur intégration à l’AMF, emportant les principes d’autoréglementation, d’autodiscipline, d’indépendance professionnelle et de liberté d’association. Les partisans de l’intégration plaident l’harmonisation et les bienfaits d’un guichet unique. Les opposants craignent la perte de liberté professionnelle et l’éloignement de l’encadrement du champ de pratique.

Le partage de commissions

La mesure consensuelle entre toutes : mettre fin au cloisonnement du partage de commissions entre les disciplines sous la LDPSF et les valeurs mobilières. Une mesure simple, pleine de bon sens, qui vient remettre en place ce qui avait été retiré en 2009 et qui compliquait la vie de bien des courtiers et des cabinets. Dans une industrie intégrée et multidisciplinaire, les sources de rémunérations ne doivent pas être cloisonnées.

La conclusion prochaine

L’auteur de ces lignes a, plusieurs fois et sur plusieurs tribunes, fait connaître ses positions et celles de son organisation concernant le projet de loi 141. La tentation était grande d’utiliser cette tribune pour le faire à nouveau, mais l’imminence de l’échéance appelait à une revue plus neutre et factuelle des forces et arguments en présence.

Nous saurons dans quelques jours ce qu’il adviendra de cette saga. Les enjeux sont énormes et viendront potentiellement modifier profondément le visage des services financiers au Québec pour de nombreuses années si le projet de loi est adopté.

Et une fois que nous serons fixés, il sera temps de replonger dans le débat des commissions intégrées et des réformes ciblées en valeurs mobilières et de traitement équitable des clients en assurance.

Vous pensiez vraiment pouvoir reprendre votre souffle? Gardez votre belle naïveté, c’est une denrée rare en cette ère de cynisme!

*** AJOUT ***

Le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitao, aurait affirmé mardi le 5 juin en commission parlementaire sur le projet de loi 141 qu’il renonçait à l’abolition des Chambres et à leur intégration à l’Autorité des marchés financiers. Au moment d’écrire ces lignes, les résumés et enregistrements des travaux de la commission n’étaient pas encore disponibles. Il n’a donc pas été possible de le confirmer.