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Malheureusement, comme dans tout budget, on parle beaucoup moins de ce qui ne s’y trouvait pas et de tout ce que ces mesures fantômes auraient pu régler comme enjeu.

De ce nombre, notons une demande de longue date du secteur financier : l’incorporation des représentants en épargne collective.

Mais attention! Contrairement à l’idée préconçue de plusieurs, le but de cette mesure n’est pas tant de différer de l’impôt que de répondre à deux impératifs criants : permettre l’essor de la relève en services financiers et rétablir l’équité fiscale des professionnels du domaine.

Définition

L’incorporation, dans le domaine des valeurs mobilières n’existe pas au niveau du professionnel exerçant l’une des disciplines de ce secteur.

En effet, l’incorporation se définit, pour un professionnel, à exercer ses activités professionnelles par l’entremise d’une société par action, communément appelée une compagnie. C’est donc cette dernière qui perçoit les revenus générés par les activités du professionnel, assume les dépenses et verse les salaires, dividendes ou autres émoluments au professionnel.

Rappel historique

La discipline de l’épargne collective a été, de 1998 à 2009, sous l’égide de la même loi qui encadre les secteurs de l’assurance et de la planification financière : la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF).

Une pratique déjà existante dans les années 90 s’est donc largement répandue : le partage de commission.

En effet, pour le professionnel détenant plus d’une certification, il était à la fois plus simple et plus efficace de percevoir l’ensemble des revenus de ses activités (assurance de personnes, planification financière et épargne collective) au sein d’une même personne morale : son cabinet.

Ce dernier pouvait alors se charger de l’ensemble des dépenses, rendant ainsi l’organisation du tout efficace et efficiente.

Le passage de la discipline de l’épargne collective vers la Loi sur les valeurs mobilières en 2009 est venu porter ombrage à cette possibilité puisque le partage n’était plus explicitement permis, ce qu’a confirmé l’Autorité des marchés financiers en janvier 2016 dans un avis du personnel qui avait fait grand bruit.

Au point que le ministre des Finances de l’époque, Carlos Leitao, a introduit dans son projet de Loi omnibus 141 une disposition rétablissant la possibilité de partager des commissions générées en épargne collective avec un cabinet inscrit sous la LDPSF.

Le grand oublié du partage de commissions : la relève

Si le partage permet, en théorie (lisez ce texte jusqu’à la fin), de retrouver cette simplicité et cette efficience dans l’organisation de la vie du professionnel et de son organisation, elle laisse de côté un enjeu qui gagne en importance depuis plusieurs années : la relève dans le secteur financier.

En effet, ce n’est un secret pour personne. Notre secteur est vieillissant, la relève est difficile à recruter et elle peinera, faute d’effectifs suffisants, à faire face au départ massif de nombreux conseillers d’expérience au cours de dix prochaines années.

Ajoutons à cela que l’achat d’un bloc de clientèle en épargne collective n’est pas une opération simple ou efficace, surtout d’un point de vue fiscal.

En effet l’acheteur, souvent un conseiller de la relève en démarrage et aux revenus plus modestes, doit, en plus de conclure la négociation pour la transaction d’achat, trouver du financement pour compléter celle-ci.

Ce financement s’obtient sur la base de ses revenus personnels : des revenus de commissions à titre de travailleur autonome. L’augmentation prévue des revenus grâce à la clientèle acquise est difficile ou impossible à faire reconnaître par la plupart des créanciers. Ceux-ci demeurent donc frileux ou acceptent de prêter à des taux et conditions moins avantageuses ce qui complique le tout pour le conseiller de la relève.

S’il obtient le financement désiré et que la transaction suit son cours, le conseiller de la relève devra effectuer le remboursement de son emprunt à même ses revenus nets personnels. Spécifions ici que le revenu net d’impôt d’un particulier et celui d’une entreprise ne sont pas équivalent. Le conseiller de la relève se retrouve donc avec un service de la dette qui occupe une proportion beaucoup plus lourde puisqu’une plus grande part de son revenu net y est affecté.

Tout cela pris en compte force un constat : plusieurs conseillers de la relève ne pourront acquérir les blocs de clientèle à vendre ou devront se contenter d’une fraction de ceux-ci.

Le risque d’un bris ou d’un écart de service aux clients est réel et, d’un point de vue de politique publique, cela aurait mérité l’attention du ministre dans son dernier budget. Toute mesure qui aidera la relève en retirant des obstacles artificiels est aussi nécessaire que bienvenue.

Le grand problème de la non-incorporation : l’iniquité

Assurance de personnes, assurance dommage, planification financière, médecins, avocats, notaires, comptables… la liste est longue et inclus à peu près tout ce que le Québec compte de professionnels, qu’ils soient régis par le Code des professions ou non.

L’épargne collective est l’oubliée. Presque l’idiote du village.

On donne l’incorporation à tous les autres mais pas à l’épargne collective. Sans bonne raison d’ailleurs. On l’a juste oubliée et on s’assure de ne pas penser à rétablir l’équité.

Au fond, dans notre société et notre système, que sont l’équité, la compétitivité, la chance d’avancer à armes égales et que les meilleurs triomphent grâce à leur talent et leur travail plutôt que grâce à leurs avantages?

J’attendrai la réponse du ministre pour en juger…

Le problème urgent : l’appétit de Revenu Québec

D’une situation frustrante et inéquitable, on en vient à une situation urgente et préjudiciable.

En effet Revenu Québec a, malgré la clarté de la Loi sur les valeurs mobilières et de son règlement permettant le partage des commissions et malgré son propre avis écrit dont elle fait aujourd’hui une interprétation pour le moins originale, entrepris de cotiser des représentants en épargne collective sur la base que des revenus partagés avec leurs cabinets auraient dû leur être imputés personnellement.

Des contestations sont en cours et ont leurs chances de succès. Mais dans l’intervalle…

On se demande encore où est le principe juridique qui veut que la Loi sur l’impôt soit accessoire aux lois d’application spécifiques.

On se demande encore, si l’interprétation de Revenu Québec est bonne, à quoi a servi la modification à la Loi sur les valeurs mobilières.

Finalement, on se demande encore, alors que des conseillers honnêtes ont voulu jouer selon les règles du jeu se font solidement cotiser pour de rondelettes sommes, ce qu’attend le ministre pour clarifier la situation, sonner la fin de la récréation de Revenu Québec et/ou permettre l’incorporation des représentants en épargne collective qui règlerait enfin, une fois pour toute, cet enjeu.

En conclusion, le budget fut une occasion ratée et l’année électorale qui s’annonce permettra peu d’avancées législatives. Restera donc à reprendre le bâton du pèlerin, la plume, le porte-voix ou tout autre moyen pour nous faire entendre du ministre et des bienfaits de régler cela une fois pour toute.