Une pissenlit dont les graines sont emportés par le vent.
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Vous avez beau tout faire, il en pousse toujours. Surtout que vos voisins, ne partageant pas le fardeau de votre quête épique, permettent à l’espèce de proliférer et de semer à tout vent les semences de votre cauchemar.

Pourtant, le pissenlit qu’on aime détester, a son utilité : il offre, tôt en saison, une nourriture recherchée aux pollinisateurs, il permet aussi de briser la monoculture que représente votre gazon parfait et il est même, en certaines parties et à certains moments, comestible à ce que l’on dit.

J’ai parfois l’impression que nous avons, nous aussi en finance, notre pissenlit que nous aimons détester mais qui peut avoir sa place dans un écosystème, sous réserve d’être contrôlé.

De quessé? Le levier.

De plus en plus de courtiers refusent de permettre à leurs conseillers de recommander à leurs clients de recourir à cette stratégie qui comporte son lot de risques sous prétexte que, justement, il s’agit d’un plan risqué.

C’est un réflexe qui se comprend aisément. Il est rare que nous recherchions, en tant qu’entreprise, à augmenter notre exposition aux risques, a fortiori à des risques que nous ne contrôlons pas assez bien à notre goût.

Cependant, ce réflexe engendre deux inconvénients pour le client que nous ne devrions pas négliger en tant qu’industrie :

  • Le client pourrait perdre une occasion de profiter d’une stratégie qui comporte aussi des avantages si toutes les conditions gagnantes sont réunies;
  • Le client pourrait se tourner vers un professionnel ou un courtier moins compétent, moins scrupuleux ou moins méticuleux pour avoir accès à cette stratégie;

Car rappelons-le : même s’il représente un risque, le levier peut, lorsque les conditions relatives à sa convenance, à la tolérance aux risques du client, à la situation financière et fiscale du client, aux conditions de marchés et à la sélection de produits d’investissement sont remplies, apporter des bénéfices non négligeables.

Pensons au prêt REER qui, oui, est une forme de levier. Les avantages fiscaux et parfois même budgétaires qu’il peut apporter dans certaines situations en font un outil de choix pour un certain nombre de clients remplissant les conditions.

Un prêt investissement classique peut, lorsque fait pour le bon client, bien conçu, effectué au bon moment et dans une proportion raisonnable, accélérer de manière importante la réalisation d’un plan financier.

Le levier est donc un peu comme le pissenlit : on aime le détester mais il peut avoir son utilité. Par contre, un parterre qui ne contient que cela n’a rien d’attrayant, au contraire.

Personnellement, je peux compter sur mes doigts (et il m’en reste de libres) le nombre de fois où mes clients ont eu recours à l’effet de levier. Ce n’était jamais à ma suggestion mais plutôt à leur demande, car le fardeau de proposer un tel outil est grand si le client n’y connait rien.

Avant de donner mon accord et d’accompagner le client dans cette stratégie, je me suis fixé un certain nombre de règles qui, si elles ne sont pas toutes respectées, entraînent mon désaccord immédiat. Peut-être ces règles pourront-elles vous être utiles alors que de plus en plus de clients songent à effectuer un levier en ces temps de marchés volatils.

  • Prêt avec remboursement de capital et intérêts en tout temps : y aller avec un paiement d’intérêt seulement augmente la pression sur la solvabilité de l’actif face à l’emprunt et a la fâcheuse tendance de rendre l’opération trop facile, d’un point de vue budgétaire, aux yeux du client, ce qui peut engendrer une certaine désinvolture ou un trop grand appétit du risque chez ce dernier;
  • Tous les ratios de l’AMF doivent être respectés et non pas ceux du prêteur : pas plus de 30% de la valeur nette du client et pas plus de 50% de sa valeur liquide nette;
  • Le client doit avoir des connaissances suffisantes en matière d’investissement : il s’agit d’une stratégie comportant son lot de risques alors vous avez besoin que le client soit en mesure de les comprendre et non pas qu’il s’en remette à vous les yeux fermés;
  • Le client doit avoir une situation budgétaire saine et solide : si le client n’a pas la capacité budgétaire de faire les mensualités lui-même, il ne devrait pas avoir recours à l’effet de levier. Effectuer des retraits en capital n’est pas une solution viable et bénéfique pour le client;
  • Le client doit avoir une situation fiscale faisant en sorte que le levier est avantageux : grâce à la déductibilité sur le revenu (prêt REER) ou la déductibilité des intérêts (prêt investissement) le client peut augmenter la « rentabilité » de la stratégie. Si le taux d’imposition est trop faible, cet avantage n’existe pas ou peu;
  • Un horizon de placement long : il faut parfois être patient avec cette stratégie;
  • La capacité de savoir se retirer au bon moment : si votre client a du mal à suivre vos conseils ou a besoin d’une éternité pour prendre une décision, le levier n’est pas pour lui. Il faut parfois savoir se retirer vite comme il faut savoir quand quitter la table de jeu du casino lorsque l’on est gagnant. Tous n’ont pas cette capacité et en veulent toujours et encore plus;
  • Les marchés doivent être dans un creux : j’ai trop entendu d’histoire de levier souscrit en 2007 qui ont mal tourné. Quand les marchés sont à l’euphorie, ce n’est pas le moment. Quand il y a eu une bonne correction ou une crise, une partie du risque a été évacué et rend donc l’opération plus intéressante pour le client.

Vous me direz que si tous ces critères doivent être cumulatifs, on ne fera jamais de levier. Je vous répondrai que vous êtes pessimistes mais qu’il est vrai qu’on n’en fera ni beaucoup, ni souvent.

Et c’est ainsi que ça devrait être parce que ce n’est ni pour tout le monde, ni en tout temps. Mais ça ne devrait pas être interdit pour autant, à condition d’être bien encadré.

Personnellement, je tolère parfois sur mon gazon quelques pissenlits, ici et là. Quand j’en ai assez, je sors ma tondeuse. Si je suis en quête de perfection, je vais jouer au golf.

Parce qu’au fond, c’est la dose qui fait le poison, non?