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En ce sens, l’industrie des services financiers ne fait pas exception. Il y a les tenants de la rigueur budgétaire à tout prix, les partisans de l’assurance et de la couverture de risques, les adeptes de l’investissement spéculatifs, les apôtres de la réduction des frais et j’en passe. Et chacun de ces types de personne ont leurs opposants, parfois aussi farouches sinon plus.

Mais parmi les sujets les plus clivants, il y a sans doute le recours à la stratégie du prêt levier dans l’élaboration d’une stratégie pour un client.

Il y a fort à parier qu’à la seule lecture du paragraphe précédent, vous vous êtes déjà positionné pour ou contre. En faveur d’une stratégie qui a le potentiel d’accélérer l’accroissement des actifs du client ou contre une stratégie risquée qui n’apporte pas autant qu’elle peut couter.

Mais la réalité est, comme dans bien des cas, beaucoup plus complexe. C’est souvent la dose qui fait le poison ou encore la manière ou la personne qui en fait l’usage.

Ce qu’est un levier?

Commençons tout de suite par définir ce qu’est un prêt levier afin de positionner la discussion sur une base commune.

Un levier est une stratégie d’investissement où les actifs investis ont été souscrits grâce à des sommes empruntées, en tout ou en partie. Peu importe le montant emprunté, peu importe le montant investi. Un levier peut être d’un ou de plusieurs millions de dollars. Il peut aussi bien concerner un investissement REER, CELI ou non-enregistré.

La croyance voulant qu’un prêt-REER ou un levier inférieur à un certain montant ne soit pas considéré à ce titre est erronée. Dès le premier dollar emprunté, nous sommes en présence d’un levier. Il en est de même que l’argent provienne d’un prêt en bonne et due forme d’une institution financière, d’une marge de crédit déjà possédée par le client ou d’un prêt du beau-frère.

Les risques liés au levier

Il en existe plusieurs (et certains aimeraient leur en inventer d’autres!) mais limitons-nous ici aux principaux :

  • La capacité de remboursement

« Qui dit crédit dit créance » comme le chantait si bien Stromae. Si votre client a recours au levier, il doit être conscient que, peu importe le succès de sa stratégie d’investissement, il devra rembourser l’emprunt. C’est pour cette raison qu’un client qui a recours au levier devrait avoir la capacité de rembourser à même ses revenus propres le prêt contracté sans égard aux revenus générés par le prêt lui-même. Autrement, il pourrait se retrouver dans une situation d’insolvabilité.

  • Les risques de marché

Au jour un, l’actif et le passif sont d’égale valeur. La stratégie repose sur l’hypothèse que l’actif croitra alors que le passif diminuera avec le temps. Ajouté à la déductibilité des intérêts, il y a là un discours séducteur aux yeux du client pressé d’accroître son patrimoine.

Mais voilà, même si certains déconseillent de dire à vos clients que vous n’avez pas de boule de cristal, il s’agit là d’une réalité implacable. Personne ne peut prédire avec certitude le comportement des marchés et, donc, des actifs souscrits par le client. Il existe donc un risque bien réel que l’actif diminue de manière importante et mettre à mal la solvabilité du client.

  • Le risque de taux

Une hausse de taux entrainera inévitablement une hausse des coûts d’emprunts. Même si les intérêts sont déductibles, le client doit malgré tout avoir la capacité d’effectuer les paiements, ce qui ne sera peut-être pas aussi évident pour tous.

Les utilisations toxiques du levier

Dans certains cas, le recours au levier peut être acceptable ou bénéfique pour certains types de clients ou dans certaines situations.

Par exemple, un client disposant d’une bonne tolérance aux risques et d’une capacité budgétaire suffisante pourrait accélérer l’accroissement de son patrimoine en recourant au levier.

Un jeune couple pourrait également en bénéficier si, eut égard à leur situation fiscale, ils empruntent un montant raisonnable pour faire une cotisation REER leur donnant droit à un retour d’impôt important et abaissant au passage les frais de garde de leurs enfants en CPE.

Mais il existe aussi des situations où l’utilisation du levier ou la façon d’y recourir sont littéralement toxiques.

Nous avons tous entendu parler de courtiers ou de représentants qui font une promotion active du levier et en font le cœur de leur pratique, recommandant à tout un chacun d’y recourir sans égard aux besoins ou à la situation du client.

Ces gens, que je refuse d’appeler professionnels, poussent les clients à emprunter des sommes trop élevées pour leur capacité ou leurs besoins, allant parfois jusqu’à falsifier le bilan des clients pour faciliter leur qualification auprès des prêteurs.

Ils recommandent d’investir les sommes dans une structure en frais d’acquisition reportés pour encaisser une juteuse commission et laissant le client seul avec son prêt ET les frais de sortie, limitant ainsi sa capacité à mettre un terme à la stratégie de levier sans encourir des pertes importantes.

Finalement, sans égard à la capacité réelle du client de rembourser le prêt, ils vendent du rêve en faisant croire au client qu’il n’a pas besoin de rembourser, que cela se fera tout seul grâce aux retraits de capital effectués à même les actifs investis. Le tout, sans trop toucher mot du gain en capital qui se creuse ainsi en diminuant la valeur comptable des actifs.

Comme je l’écrivais plus tôt, c’est le poison qui fait la dose ou encore son utilisation. Le prêt levier n’est donc pas à proscrire en toute situation mais l’utilisation qu’en font certains joueurs de notre industrie est un réel problème qui porte atteinte à de vraies personnes et fait mal paraitre l’ensemble des professionnels compétents et dévoués à leurs clients.

Ce sont ces joueurs attirés par l’appât du gain d’une commission rapide et facile et qui agissent avec complaisance que nous devons dénoncer pour le bien de tous et pour la protection du public.