Dans l’intention d’aider les entreprises à prendre de l’expansion, à créer des emplois et à soutenir leurs collectivités, le ministre des Finances du Canada a présenté certaines propositions visant à éliminer des échappatoires et à accroître l’équité du régime fiscal canadien. Les mesures proposées changent radicalement les règles du jeu et auront des incidences significatives pour de nombreux contribuables. Une période de consultation de 75 jours, prenant fin le 2 octobre 2017, permettra aux Canadiens de présenter leurs commentaires sur ce qui fonctionne bien et ce qui pourrait être amélioré. Les mesures proposées portent sur trois grandes questions :

• la répartition du revenu par le recours aux sociétés privées;

• la détention d’un portefeuille de placements passifs dans une société privée; et

• la conversion du revenu régulier d’une société privée en gains en capital.

La répartition du revenu par le recours aux sociétés privées

La possibilité pour les professionnels et les entrepreneurs de réduire leur facture fiscale en fractionnant leurs revenus au moyen de dividendes ou de gains en capital avec les membres de leur famille qui sont assujettis à des taux d’imposition moins élevés, et parfois même nuls, était probablement le mécanisme de planification fiscale le plus critiqué. Les modifications proposées abordent deux grands axes : d’une part, l’élargissement des règles relatives à l’impôt sur le revenu fractionné et, d’autre part, la limite de la multiplication de la déduction pour gains en capital (« DGC »). Des mesures connexes sont également prévues afin d’améliorer l’intégrité du régime fiscal dans ce contexte.

De nombreuses sociétés privées comptaient parmi leurs actionnaires une fiducie familiale discrétionnaire ou des membres de la famille de l’entrepreneur afin de permettre la répartition des sommes nécessaires au coût de vie de la famille entre les mains de plusieurs contribuables adultes. Généralement, le dirigeant était rémunéré à l’aide d’un salaire, les autres s’imposaient sur un dividende et chacun supportait ses propres dépenses. Le total des impôts à payer par tous les membres de la famille était inférieur à l’impôt qui aurait été payé si l’entrepreneur s’était imposé seul sur la somme. La famille et la société étaient donc avantagées et bénéficiaient de plus de liquidités.

L’impôt sur le revenu fractionné s’applique actuellement au revenu fractionné d’un particulier déterminé pour une année d’imposition. Un particulier déterminé est un résident du Canada qui n’avait pas atteint l’âge de 17 ans avant le début de l’année et dont un parent réside au Canada. Les règles actuelles limitaient les possibilités de fractionnement de revenus avec les mineurs et on y référait généralement comme au kiddie tax ou à « l’impôt des enfants ». Le jargon devra être revu puisque les mesures proposées visent à faire en sorte que le revenu fractionné s’applique désormais également aux particuliers adultes qui ont un montant de revenu fractionné lorsque cette somme n’est pas raisonnable dans ces circonstances. Les nouvelles mesures élargissent également les circonstances dans lesquelles l’impôt sur le revenu fractionné est applicable ainsi que les types de revenus visés. Dorénavant, les revenus provenant de certains types de créances, les gains provenant de dispositions postérieures à 2017 de certains biens lorsque le revenu rattaché à ceux-ci est un revenu fractionné ainsi que le revenu composé tiré de biens qui sont le produit de revenus auxquels le revenu fractionné ou les règles d’attribution s’appliquaient seront également visés.

Les nouvelles mesures introduisent également le critère du caractère raisonnable pour les particuliers âgés de 18 ans ou plus puisque l’impôt sur le revenu fractionné s’appliquerait si le montant était déraisonnable selon certains facteurs déterminés. L’objectif est d’assurer l’inclusion des montants reçus relativement à une entreprise dont un membre de la famille est un dirigeant ou un actionnaire dans la mesure où les montants ne correspondent pas à ceux dont on pourrait s’attendre dans le cadre de mécanismes faisant intervenir des parties sans lien de dépendance. Un critère basé sur le caractère raisonnable dépend des faits applicables à chaque situation. Les apports en main-d’œuvre, les apports en capitaux et les rendements et rémunérations antérieurs seront pris en considération. Les exigences relatives aux adultes âgés de 18 à 24 ans seront plus élevées. D’abord, ils devront prendre une part active, de façon régulière, continue et importante aux activités de l’entreprise et non seulement avoir un apport de main-d’œuvre qui aurait pu par ailleurs être rémunéré en salaire et être jugé raisonnable comme ce sera le cas pour un adulte de 25 ans ou plus. Aussi, alors que le rendement permis sur les apports de capitaux pour les adultes de 25 ans ou plus sera soumis au critère du caractère raisonnable, il sera déterminé par règlement et ne pourra dépasser le taux prescrit pour les adultes âgés de 18 à 24 ans. Quant aux rendements et rémunérations antérieurs, tout montant antérieur payé ou à payer au particulier relativement à l’entreprise serait pris en compte. L’administration de telles règles pourrait être difficile en pratique et la preuve requise pour justifier les apports ou leur caractère raisonnable ne vient en rien simplifier la lourdeur administrative imposée aux propriétaires de petite et moyenne entreprise (PME).

À l’avenir, les circonstances où le fractionnement des revenus sera possible seront beaucoup plus rares. Pour que la famille puisse maintenir le même coût de vie, l’entrepreneur devra retirer une somme significativement plus élevée de la société puisqu’il supportera une plus grande part des dépenses familiales et que la facture fiscale sera gonflée. De deux choses l’une, soit ces montants ne seront plus disponibles dans l’entreprise pour permettre son expansion, l’aider à créer des emplois et soutenir sa collectivité ou alors le budget familial devra être révisé à la baisse et les sommes injectées dans l’économie locale seront réduites.

La mise en place d’une fiducie familiale discrétionnaire permettait également à des membres de la famille de tout âge de bénéficier de la DGC au moment de la disposition d’actions admissibles de petite entreprise ou de biens agricoles ou de pêche admissibles même s’ils n’avaient ni investi dans l’entreprise ni contribué à la valeur de l’entreprise grâce à leur participation. Le ministère des Finances entend également faire échec à ces planifications à l’aide de trois mesures proposées qui s’appliqueraient aux dispositions postérieures à 2017.

D’abord, les particuliers ne seront pas admissibles à la DGC relativement aux gains qui sont réalisés, ou qui se sont accumulés, avant l’année d’imposition au cours de laquelle le particulier a atteint l’âge de 18 ans. De plus, la DGC ne serait généralement pas applicable dans la mesure où un gain en capital imposable provenant de la disposition d’un bien est inclus dans le revenu fractionné d’un particulier. Autrement dit, un critère de caractère raisonnable identique à celui utilisé pour l’impôt sur le revenu fractionné serait introduit pour les particuliers déterminés adultes. Finalement, de façon générale, les gains accumulés pendant que le bien était détenu par une fiducie autre qu’une fiducie au profit de l’époux ou du conjoint de fait ou une fiducie en faveur de soi-même ou de certaines fiducies d’actionnariat à l’égard d’employés ne donneraient plus droit à la DGC.

Un choix sera toutefois permis en vertu des règles transitoires à l’égard de biens qui appartiennent au particulier, sans interruption, de la fin de 2017 jusqu’à la date de disposition réputée. Un particulier pourrait faire le choix de réaliser, à une date comprise dans l’année 2018, un gain relatif à un bien admissible par l’effet d’une disposition réputée pour un produit de disposition ne pouvant dépasser la juste valeur marchande (« JVM ») du bien. Les conditions d’admissibilité à la DGC seraient celles qui s’appliquent actuellement à l’exception du fait que les exigences actuelles qui doivent être remplies dans les 24 mois précédant la disposition seront considérées comme respectées si elles étaient remplies dans les 12 mois qui précèdent la disposition réputée.

En pratique, d’ici la fin de 2017, il sera nécessaire de revoir toutes les structures où l’on retrouve une fiducie familiale ou des actionnaires qui n’ont ni investi dans la valeur de l’entreprise ni contribué par ailleurs à cette valeur et qui seraient susceptibles de se prévaloir un jour de la DGC. Puisque certaines sociétés devront être « purifiées » et qu’il sera nécessaire de procéder à l’évaluation de la JVM des actions, mieux vaut ne pas attendre 2018 pour élaborer la planification visant à cristalliser la valeur des actions. D’ailleurs, dans certains cas, notamment pour réduire l’impôt minimum de remplacement, il sera préférable de procéder à une cristallisation dès 2017 à l’aide des règles actuelles plutôt que d’attendre en 2018 pour se prévaloir du choix prévu dans les dispositions transitoires.

Des mesures de soutien visant à améliorer l’administration des règles qui font échec à la répartition du revenu sont également prévues. Pour les années d’imposition 2018 et suivantes, les obligations de déclaration, notamment au moyen d’un numéro d’entreprise ou des Feuillets T5 pour les intérêts, seront augmentées pour les fiducies et les sociétés de personnes.

La détention d’un portefeuille de placements passif dans une société privée

C’est la possibilité d’accumuler plus facilement des sommes compte tenu du fait que le taux d’imposition des sociétés est généralement plus faible et l’avantage financier qui en découle est jugé injuste pour les propriétaires de sociétés privées par rapport aux autres investisseurs. Selon le gouvernement, les placements passifs qui sont détenus dans des sociétés privées devraient avoir un traitement qui les rend équivalents à ceux qui sont détenus à l’extérieur de telles sociétés puisque le taux d’imposition des sociétés plus faible ne devrait pas servir à faire accroître l’épargne personnelle. Plusieurs approches ayant pour objectifs d’accroître l’équité et la neutralité du régime fiscal sont à l’étude. L’approche retenue devrait permettre de préserver le but et l’effet des taux d’imposition des sociétés avantageux sur le revenu d’entreprise exploité activement par une société, tout en éliminant les avantages d’investir dans une société privée et en évitant d’introduire de nouvelles possibilités d’évitement. À ce jour, seules des questions générales ont été soumises aux fins des consultations.

La conversion du revenu régulier d’une société privée en gains en capital

Les dernières mesures proposées visent à faire échec aux planifications dites de dépouillement de surplus qui permettent de convertir les surplus d’une société qui devraient être imposables au titre de dividendes ou de salaires en gains en capital qui sont imposés à un taux inférieur.

Dans ce contexte, l’article 84.1 L.I.R. est l’une des mesures qui feraient l’objet de modifications. Selon les règles actuelles, l’article 84.1 L.I.R. convertit le gain en capital en dividende seulement dans la mesure où le coût des actions du particulier représente des gains en capital exonérés d’impôt pour un vendeur ayant un lien de dépendance, soit grâce à l’utilisation de la DGC, soit grâce à un surplus antérieur à 1972. Or, certaines planifications fiscales permettaient actuellement à un particulier de contrecarrer l’application de l’article 84.1 L.I.R. Par exemple, le particulier réalisait d’abord un gain en capital lors de la vente, à la JVM, d’actions de sa société en faveur d’une autre société avec laquelle il a un lien de dépendance, en échange d’actions de cette société, et sans réclamer la DGC. Le particulier transférait par la suite ses actions à une autre société avec qui il a un lien de dépendance en échange cette fois d’une contrepartie non composée d’actions. Les changements proposés visent à empêcher l’augmentation du prix de base rajusté (« PBR ») des actions de façon à éviter l’application de l’article 84.1 L.I.R. lors d’une transaction ultérieure. Cet objectif sera atteint en élargissant les règles actuellement prévues au paragraphe 84.1(2) L.I.R. qui donnent lieu à un PBR dit « faible » ou « mou » pour qu’elles s’appliquent également aux cas où le PBR est majoré dans le cadre d’une opération « imposable » qui fait intervenir une personne ayant un lien de dépendance. Puisque cette transaction pourrait avoir eu lieu il y a plusieurs années, cette mesure a un effet rétroactif.

En pratique, la technique du pipeline utilisée en planification post mortem est concernée directement par cette mesure et ne pourra plus être utilisée puisqu’elle reposait sur l’utilisation d’un plein PBR. Cette technique permettait généralement de régler la double imposition qui peut survenir au moment du décès d’un actionnaire d’une société privée. En règle générale, l’actionnaire décédé doit payer un impôt sur un gain en capital et sa succession est imposée sur les dividendes versés ultérieurement lors du rachat des actions par la société privée. Il y a double imposition, car l’impôt sur les dividendes versés à la succession provient d’un montant qui a déjà été imposé par le gain en capital du défunt. Cette situation survient lorsque la succession n’est pas en mesure de vendre les actions à un tiers, dans le cas d’une société de placement, par exemple. Des deux techniques de planification post mortem permettant d’éviter la double imposition, celle prévue au paragraphe 164(6) L.I.R. prévient le gain en capital alors que celle du pipeline élimine le dividende réputé. La mesure vise donc à forcer l’imposition des surplus de la société sous forme de dividendes et non de gain en capital. D’une manière générale, le paragraphe 164(6) L.I.R. permet d’amender la déclaration fiscale pour l’année du décès lorsque, dans l’année suivant ce décès, la succession vend un bien à perte. Le représentant légal doit produire une déclaration de revenus modifiée au nom du contribuable décédé au plus tard à la plus éloignée des deux dates suivantes : celle où la déclaration de la personne décédée devrait être produite ou encore celle où la déclaration de la première année d’imposition de la succession devrait être produite. Ces échéances sont brèves et souvent très difficiles à respecter en pratique. La technique du pipeline avait de plus l’avantage de permettre la majoration du coût de certains des actifs de la société, ce qui permettait également de considérer la problématique créée par l’impôt latent sur les actifs de la société.

En guise de consolation, notons tout de même que le gouvernement s’intéresse à la façon dont il pourrait modifier l’article 84.1 L.I.R. afin d’améliorer les transferts d’entreprises entre les générations tout en continuant à bloquer les dépouillements de surplus. Aucune annonce précise n’a toutefois été effectuée à cet égard.

Le nouvel article 246.1 L.I.R. est l’autre mesure proposée visant à empêcher la conversion du revenu régulier d’une société privée en gains en capital et faisant en sorte qu’une partie du montant reçu ou à recevoir par un particulier sera réputé être un dividende imposable et non plus un dividende provenant du compte de dividendes en capital (« CDC »). Les circonstances d’application sont prévues au nouveau paragraphe 246.1(2) L.I.R., qui vise la partie d’un montant reçu ou à recevoir, directement ou indirectement par un particulier au cours d’une année d’imposition, dans le cadre d’une opération, d’un événement ou d’une série d’opérations ou d’événements si le particulier réside au Canada dans l’année d’imposition, que le montant provient d’une personne avec laquelle le particulier avait un lien de dépendance et que l’opération, l’événement ou la série comprend soit une disposition d’un bien, soit une augmentation ou une réduction du capital versé du capital-actions d’une société et qu’il est raisonnable de considérer que l’un des objets consiste à réduire ou à éliminer de façon sensible les actifs d’une société privée à un moment donné de façon à éviter un montant d’impôt payable par ailleurs par le particulier lors d’une distribution de biens d’une société.

Cette nouvelle mesure s’applique relativement aux montants reçus ou à recevoir après le 17 juillet 2017. Ainsi, les praticiens devront s’interroger avant de déclarer et verser tout dividende en capital, même s’il résulte d’une transaction antérieure aux annonces, ce qui leur donne un effet rétroactif. Par exemple, une disposition d’achalandage réalisée en 2016 avant l’élimination du régime des biens en immobilisations admissibles pourrait causer des maux de tête en pratique si le dividende en capital n’avait pas été déclaré et payé avant les annonces.

Compte tenu du fait que des pertes en capital subséquentes viendraient réduire le solde du CDC, les bonnes pratiques fiscales prévoient le versement d’un dividende en capital dès que le solde du CDC devient positif. L’ajout de montants au compte de CDC peut survenir annuellement, lors de la revue de la composition du portefeuille de la société par le gestionnaire des placements, par exemple, pour des considérations purement financières et non fiscales. En pratique, lorsque ces montants sont significatifs, ils réduisent la rémunération nécessaire par ailleurs pour l’actionnaire dirigeant, mais sans que cela en ait été l’objectif principal. La prudence sera de mise dès que le solde du CDC provient de la vente d’un bien ou d’une modification du capital versé et que l’on pourrait croire que l’un des objets du dividende en capital était de distribuer des actifs de la société en faveur d’un particulier, et ce, à un coût inférieur à celui d’un dividende imposable. Un test d’objets aussi large réduira la prévisibilité du régime fiscal.

La communauté fiscale aura certainement plusieurs commentaires à présenter au sujet des mesures proposées. Force est de conclure que les nouvelles mesures introduisent des tests d’objets et de raisonnabilité qui seront problématiques lors de leur application. Leur incidence rétroactive, dans certains cas, n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce qui ne fonctionne pas. De plus, la réforme envisagée quant aux portefeuilles de placement passif dans les sociétés privées omet de prendre en compte la réalité des entrepreneurs qui ne bénéficient pas des mêmes conditions et avantages que les employés en plus d’encourir des risques d’affaires souvent significatifs. Comment peut-on ne pas en tenir compte lorsque l’on souhaite augmenter l’équité du régime pour tous?
 

Ce texte provient du Stratège, une publication de l’Association de planification financière et fiscale (APFF), et a été écrit par Valérie Ménard.