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Si tous reconnaissent que ces conflits existent, peu d’entre eux évoquent la manière dont on devrait les encadrer.

C’est ce qu’on peut comprendre des consultations qu’ont menées les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) sur les réformes axées sur le client proposées au règlement 31-103. Les ACVM proposent en effet que la firme de courtage doive démontrer qu’elle traite ces conflits au mieux des intérêts de son client. Par exemple, elle pourrait exiger le remboursement partiel des avantages ou rétrograder un conseiller pour ses éventuels manquements en matière de conflits d’intérêts.

De plus, la firme pourrait lier une partie de la rémunération variable d’un représentant à l’absence de plaintes valides contre lui, ou à sa conformité aux politiques et aux procédures de la société inscrite, selon les ACVM.

Les conflits d’intérêts provenant des mesures incitatives internes devraient être évités et non pas seulement divulgués aux clients, estime Placements Franklin Templeton : « Nous sommes d’accord que les conflits d’intérêts soulevés par les ACVM touchant les mesures incitatives internes des firmes doivent être résolus par ces firmes au mieux des intérêts des clients, et nous croyons que seulement la divulgation (des conflits) n’est peut-être pas une façon efficace de gérer les risques. »

L’industrie doit éviter autant que possible les conflits d’intérêts et les apparences de conflits d’intérêts, y compris dans la façon dont elle rémunère ses conseillers, estime The Canadian Advocacy Council for Canadian CFA Institute Societies : « Nous croyons également qu’une approche réglementaire efficace en matière de divulgation doit faire attention à ne pas fournir trop d’informations qui pourraient submerger ou dérouter un client. »

Les ACVM sont bien fondées d’intervenir quant aux conflits d’intérêts découlant des mécanismes de rémunération des conseillers, écrit Mérici Services financiers, dans son mémoire : « Nous déplorons toutefois qu’elles n’interdisent pas formellement les concours de vente ou les objectifs de production malgré le fait qu’ils représentent un conflit d’intérêts majeur et un risque important que l’inscrit fasse passer son intérêt avant celui de son client. »

De l’avis de Mérici, les ACVM ne doivent « pas hésiter à resserrer davantage la règlementation sur cet aspect si les principes qui guident son action ont été contournés par quelques esprits inventifs. »

Cependant, les ACVM ne doivent pas être trop strictes dans leur encadrement proposé, d’après l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM). Le règlement 31-103 ne doit pas restreindre ni imposer certaines ententes de rémunération qui pourraient modifier les modèles commerciaux de longue date et appropriés des courtiers.

« La réglementation devrait faire en sorte que les firmes de courtage s’assurent de comprendre les implications de leurs mécanismes de rémunération et leurs mesures incitatives et gèrent leurs risques spécifiques. La réglementation ne devrait pas dicter la manière dont les firmes rémunèrent leur conseiller », fait mention l’ACCVM.

On devrait plutôt créer des mesures de contrôle pour ceux qui ne gèrent pas correctement leurs conflits, car celles-ci constituent un moyen plus efficace de résoudre ces problèmes, ajoute l’ACCVM.

Encadrer aussi les comptes nominee

Groupe Cloutier Investissements appuie dans l’ensemble les propositions des ACVM en lien avec les mécanismes de rémunération et des mesures incitatives internes. Ce courtier invite même les ACVM à étendre leur analyse afin d’englober les conflits d’intérêts découlant d’une pénalité déguisée imposée au représentant ou du versement d’incitatifs financiers au client qui achètera un produit précis.

Groupe Cloutier donne l’exemple d’un courtier qui offre des comptes nominee (aussi appelés comptes autogérés) à ses clients, lesquels sont assortis de frais de compte annuels payables directement par le client. « Le courtier a intérêt à ce que le plus de clients possibles ouvrent un compte autogéré puisque cela représente une source de revenus non négligeable pour lui et lui permet d’étaler ses frais fixes sur un plus grand nombre de comptes », lit-on dans le mémoire du Groupe Cloutier.

Or, certains courtiers pénaliseront les représentants qui n’ont pas suffisamment recours aux comptes autogérés. « Par exemple, si moins de 75 % des clients d’un représentant en particulier ont recours à un compte autogéré, le représentant verra les frais mensuels qui lui sont facturés par son courtier être majorés de 100 $ par exemple. Cette situation constitue un risque qu’un représentant puisse faire passer ses propres intérêts avant ceux de ses clients en recommandant des comptes autogérés à des clients qui n’en ont pas besoin pour ne pas être pénalisés par son courtier », écrit le Groupe Cloutier.

Le Groupe Cloutier relève aussi que certains courtiers offrent aux clients un rabais sur les frais de compte autogéré annuels si un certain pourcentage des actifs du client est déposé dans des fonds émis par un émetteur affilié. « Le réseau intégré sera avantagé par l’afflux de fonds en provenance de clients souhaitant profiter du rabais. Toutefois, les clients pourraient théoriquement se retrouver à investir des sommes importantes dans des fonds de mauvaise qualité ou ne leur convenant pas dans le simple but d’être exemptés du paiement annuel des frais de leur compte autogéré. À notre avis, cette situation n’est pas captée par le libellé proposé de l’instruction générale, mais constitue tout de même un cas de conflit d’intérêts qu’il serait préférable d’éviter », soutient le Groupe Cloutier.

« ACVM, resserrez davantage la vis ! »

Les ACVM devraient proposer un encadrement encore plus strict, qui mise sur l’évitement des conflits d’intérêts et jette à la poubelle le concept qu’un conflit d’intérêts puisse être géré ou contenu, d’après l’Investor Advisory Panel (IAP) de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario. Selon ce groupe, ce dernier concept a fait en sorte que les intérêts commerciaux de plusieurs modèles d’affaires de l’industrie ont prédominés par rapport aux besoins des clients : « [L’encadrement proposé] doit refléter et produire un changement fondamental de cette mentalité afin d’améliorer les résultats pour les investisseurs. »

L’IAP déplore que les modifications proposées ne semblent pas encadrer l’enjeu selon lequel une personne inscrite potentiellement en conflit d’intérêts puisse recevoir une rémunération avant d’avoir atténué ces conflits d’intérêts. « La rémunération d’une action devrait en général être interdite tant qu’un conflit d’intérêts lié à cette action n’est pas résolu. Nous exhortons les ACVM à examiner cette question et à fournir des instructions précises à ce sujet », lit-on dans le mémoire de l’IAP.

Les ACVM doivent imposer à l’industrie une norme d’agir au mieux des intérêts du client afin de prévenir les mécanismes de rémunération qui minent la protection des clients, selon FAIR Canada.

Ce groupe de défense des intérêts des investisseurs juge que cette norme est nécessaire considérant que l’encadrement actuel a engendré plusieurs ratés. Parmi ceux-ci, FAIR Canada souligne que des clients ont été orientés à tort vers des produits plus coûteux, se sont fait facturer des commissions intégrées alors qu’ils étaient dans un compte à honoraire ou ont investi de manière inadéquate dans des fonds avec frais d’acquisition reportés.

« Nous regrettons toutefois qu’on ne s’attaque pas avec assez de vigueur à ce qui constitue l’une des principales causes des conflits d’intérêts entre assujettis et consommateurs, soit les structures de rémunération », souligne quant à elle la Coalition des associations de consommateurs du Québec (CACQ).

« Nous rappelons à cet égard aux ACVM que l’article 17 de la Directive européenne interdit tout simplement qu’on rémunère les intermédiaires d’une manière qui aille «à l’encontre de leur obligation d’agir au mieux des intérêts de leurs clients» et impose la transparence à l’égard des modes de rémunération. Les ACVM pourraient utilement s’inspirer de ces règles dans la conception d’un cadre réglementaire qui jouerait un rôle préventif sur le plan de la genèse de conflits d’intérêts », lit-on dans le mémoire de la CACQ.