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Des décennies de faibles taux d’intérêt et de forte demande de logements ont entraîné des niveaux élevés d’endettement pour les ménages canadiens, et la hausse actuelle des taux d’intérêt augmente le coût du service de cette dette.

Mais des économistes estiment que le degré de risque que pose l’endettement dépend de la capacité de la banque centrale à ralentir l’inflation sans provoquer de choc économique majeur.

« S’il n’y a pas de choc économique d’une très grande ampleur, il est fort possible que les Canadiens puissent se permettre ce service (de la dette) plus élevé », a noté l’économiste Maria Solovieva, de la Banque TD.

Statistique Canada a récemment signalé que les ménages canadiens devaient 1,85 $ pour chaque dollar de revenu disponible au premier trimestre de 2023, alors que des taux d’intérêt plus élevés se frayaient un chemin dans une économie déjà aux prises avec l’inflation. Et le Canada a le niveau d’endettement des ménages le plus élevé du G7, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), les hypothèques représentant environ les trois quarts de cette dette.

Malgré tout, les niveaux élevés d’endettement des Canadiens ne sont pas un phénomène nouveau. La somme due par rapport au revenu augmente depuis des décennies, a souligné Nathan Janzen, économiste en chef adjoint à la Banque Royale.

La forte croissance démographique a accentué la demande pour les logements, contribuant à faire grimper les prix dans un marché où la dette a été peu coûteuse pour les acheteurs, a observé Nathan Janzen.

Alors que l’économie s’est accélérée dans la foulée des réouvertures après la pandémie, l’inflation annuelle a dépassé 4,0 % au milieu de 2021 et a culminé à 8,1 % en juin 2022.

Dans le but de juguler l’inflation, la Banque du Canada a relevé son taux directeur, qu’elle avait réduit à presque rien au début de la pandémie. Son taux cible du financement à un jour est passé de 0,25 % au début de 2022 à 4,75 % actuellement.

Les hausses de taux par la banque centrale ont à leur tour fait grimper les taux préférentiels des grandes banques et contribué à faire grimper le coût des autres prêts.

« À mesure que ces paiements de dette augmentent, cela absorbe une part croissante des revenus après impôt des ménages et en laisse moins à dépenser pour tout le reste, a expliqué Nathan Janzen. Cela fait en quelque sorte partie du plan du point de vue de la Banque du Canada pour absorber le pouvoir d’achat et permettre à la demande (…) de ralentir jusqu’à un point où les pressions inflationnistes reviennent sous contrôle. »

Cependant, comme les taux d’intérêt mettent du temps à se frayer un chemin dans l’économie, la Banque du Canada joue « un peu à un jeu de devinettes », a estimé Nathan Janzen. Les fissures commencent à apparaître pour certains ménages, a-t-il dit, mais les hausses de taux de la banque centrale n’ont pas encore fait connaître leur plein impact.

« Il y a une répartition assez large des niveaux d’endettement, des niveaux de revenu et des niveaux d’épargne », a-t-il affirmé, ce qui signifie que les effets de taux d’intérêt plus élevés ne se feront pas sentir de manière uniforme.

Statistique Canada a signalé plus tôt ce mois-ci que le ratio du service de la dette des ménages, calculé comme le total des paiements obligatoires du principal et des intérêts sur la dette du marché du crédit en proportion du revenu disponible des ménages, avait été de 14,9 % au premier trimestre de 2023, contre 14,4 % au quatrième trimestre 2022.

Pas une science parfaite

David Macdonald, économiste principal au Centre canadien de politiques alternatives, a noté que pour les propriétaires ayant des hypothèques à taux fixe, l’effet serait retardé jusqu’au renouvellement de leur prêt. Pendant ce temps, les acheteurs potentiels ressentent aujourd’hui le pincement des hausses de taux, ce qui entraîne un ralentissement des nouveaux prêts hypothécaires.

Mais ce n’est pas une science parfaite. Parce que les prix des maisons ne baissent pas suffisamment pour contrebalancer les hausses de taux d’intérêt, le coût plus élevé du logement dans l’ensemble peut en fait contribuer à l’inflation, a souligné David Macdonald. Et bien que des taux plus élevés pèsent sur certains secteurs de l’économie, ils contribuent également à la baisse de la construction de maisons neuves dans un contexte de crise du logement, a-t-il ajouté.

« L’idée que nous peaufinons quelque chose dans l’économie avec un retard de deux ans semble presque risible », a fait valoir David Macdonald.

La banque centrale tente d’éviter un « ralentissement du style des années 1980 », a observé Nathan Janzen, en référence à une période où les hausses spectaculaires des taux d’intérêt ont pesé lourdement sur l’économie.

La Banque Royale s’attend actuellement à un léger ralentissement, a indiqué Nathan Janzen, notant que le système financier canadien est solide et sain. Et même si davantage de Canadiens accuseront du retard dans le remboursement de leurs dettes, un récent rapport de la Royale indique que la plupart des ménages s’en sortiront.

Maria Solovieva, de la TD, a souligné que le marché du travail s’était révélé résilient jusqu’à maintenant, et a dit croire que le pays pouvait éviter un choc majeur.

« Cela ne veut pas dire que certains Canadiens n’éprouveront pas des difficultés », a-t-elle prévenu.

Au fil du temps, les Canadiens ajusteront leurs comportements et, dans de nombreux cas, prolongeront la durée de leurs dettes, ce qui pèsera sur la consommation et la croissance à plus long terme. « Ce sera un processus graduel », a expliqué Maria Solovieva.

David Macdonald a indiqué ne pas s’attendre à voir d’énormes pics de défauts de paiement ou de faillites comme ceux qui ont été observés pendant la crise financière, mais a ajouté que « nous devrions être raisonnablement inquiets ».

« Le plus gros problème n’est pas tant de voir tout le monde faire faillite, le plus gros problème est que tout le monde paie tellement d’intérêts que personne ne dépense d’argent pour autre chose, et qu’on voit un impact important sur la croissance économique, a-t-il affirmé. C’est, à mon avis, le vrai danger. »