Une silhouette d'ours sur un fonds de graphique de marché haussier.
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John Macomber, maître de conférences dans l’unité financière de la Harvard Business School, note plusieurs similarités inquiétantes entre la crise de 2008 et la situation actuelle aux États-Unis. Comme à l’époque, il craint que nous ne devions faire face à l’effondrement des prix de l’immobilier et à une crise financière globale.

Cette fois, le problème ne viendrait pas directement des prêts immobiliers, mais plutôt de l’incapacité du gouvernement américain à reconnaitre et affronter les périls posés par les changements climatiques, explique-t-il dans une entrevue accordée au Harvard Business Review.

Toujours plus de catastrophes naturelles

« Les dommages causés par les changements climatiques se sont accélérés plus rapidement que ce que beaucoup de gens avaient prévu », note-t-il rapportant ainsi que cette année, les États-Unis ont essuyé 16 catastrophes météorologiques dont les dégâts ont coûté plusieurs milliards de dollars chacune.

Il note que le nombre de catastrophes par année est en augmentation. Ainsi de 2015 à 2019, on comptait en moyenne 13,8 événements de ce type, contre une moyenne de 6,6 les quatre décennies précédentes.

Cette croissance dans le nombre d’incidents liés au climat n’est pas unique aux États-Unis. Au Canada, le Bureau d’assurance du Canada indique, dans son étude Assurance de dommage au Canada 2020 citée par Les Affaires, que si « 2016 avait été marquée par le plus important événement catastrophique, l’incendie de Fort McMurray ; chaque année depuis, s’est classée parmi les dix années des sinistres assurés les plus coûteux jamais enregistrées ».

Face à l’augmentation continue du coût engendré par les changements climatiques, le BAC encourage l’investissement dans l’amélioration des infrastructures pour protéger les collectivités contre les inondations et les incendies, notamment par la voie d’offre d’incitatifs pour dissuader les développements résidentiels et commerciaux dans les zones à risque élevé d’inondation.

Ça ne semble toutefois pas être l’approche préconisée aux États-Unis, selon John Macomber, où, déplore-t-il, rien n’empêche la reconstruction dans les zones jugées à risque. Il cite l’exemple de la Californie où l’on a observé de nombreux incendies ces dernières années et où l’État exige plutôt des compagnies d’assurance qu’elles renouvellent les polices d’assurance incendie à des tarifs inférieurs à ceux du marché, rapporte l’expert.

Le constat est le même pour les zones à forts risques d’inondation. Puisque les compagnies d’assurance privées ont délaissé ce marché, la couverture est fournie par l’entremise de primes fortement subventionnées par les agences d’État en s’appuyant sur un programme national d’assurance contre les inondations.

Un problème d’assurance…

En continuant d’assurer ces maisons en dépit du risque élevé associé à leur taux de sinistralité, le gouvernement américain gonfle artificiellement leur valeur, explique John Macomber qui craint que le système ne s’effondre d’un coup, entraînant ainsi une perturbation des prix du logement.

« Le scénario optimiste est qu’une élévation progressive du niveau de la mer ou une légère augmentation des incendies entraînera une baisse progressive (ou une appréciation relativement plus lente) des prix des logements », affirme-t-il, estimant ainsi que le système aurait le temps de s’ajuster.

À l’inverse, le soutien des primes d’assurance pourrait se tarir d’un coup, laissant ainsi les souscripteurs de prêt hypothécaire avec des risques importants. « Il en résulterait une hausse spectaculaire des primes d’assurance, associée à une réduction des ratios prêt hypothécaire/valeur », prévient-il, rappelant que nombre de propriétaires fondent leurs espoirs de retraite sur la valeur de leur résidence.

La plupart des municipalités américaines tirant l’essentiel de leurs revenus des impôts fonciers, une telle situation serait aussi catastrophique pour elles. Si la valeur des maisons baisse, les recettes de l’impôt foncier diminuent sans que les dépenses d’une ville ou d’un village ne soient réduites concurremment, au contraire, ce qui met en péril leur capacité à assurer leurs obligations municipales et est susceptible de nuire à la dégradation de la notation des obligations émises par ces différentes administrations.

« Les instruments à revenu fixe fiscalement avantageux, tels que les obligations municipales, occupent une place importante dans le portefeuille de retraite de nombreuses personnes (et dans les réserves de nombreuses compagnies d’assurance). Je soutiens donc que cet aspect du risque climatique touche le portefeuille de chacun », signale John Macomber.

Le marché menacé

La situation, à l’instar de celle vécue en 2008, a le potentiel d’affecter l’ensemble des marchés et pas seulement les municipalités américaines.

Il faut savoir qu’aux États-Unis, chaque État est responsable de la réglementation sur son territoire, ce qui fait en sorte qu’un assureur doit s’enregistrer dans chacun des États où il désire développer son marché, et conséquemment, s’ajuster à des normes réglementaires qui ne sont pas uniformes. En conséquence, bien que l’on trouve quelques assureurs nationaux, le marché est surtout fragmenté entre plusieurs milliers de sociétés d’assurances locales.

Les propriétaires de maison se procurent donc pour la plupart leur protection d’assurance par l’intermédiaire de ce type de sociétés, mais ces dernières fractionnent leur risque auprès d’autres assureurs ou réassureurs afin de ne pas devoir supporter toute l’exposition en cas de sinistre.

Ces réassureurs, qui sont souvent des compagnies internationales qui étendent leur exposition à travers le monde, permettent ainsi à ces petites sociétés de diversifier les risques. Des produits financiers comme des dérivés climatiques, qui permettent de se prémunir contre des risques liés au climat, en ayant des actifs sous-jacents comme le niveau de précipitation, sont ainsi offerts aux investisseurs.

La probabilité qu’un événement se produise et le coût probable de cet événement sont évalués par plusieurs sociétés spécialisées, et se retrouvent ultimement dans les portefeuilles d’investisseurs qui ignorent quelles sont les maisons concernées par la portion d’assurance contenue dans leur produit. L’investisseur n’a donc pas de propriété réelle, une situation qui rappelle grandement les produits titrisés mis en cause dans la crise des subprimes de 2008, indique John Macomber. Et, comme à l’époque, difficile d’évaluer concrètement la pénétration exacte de ces instruments dans le marché.

Sans compter que ceux qui évaluent les titres liés à l’assurance ont chacun leur propre système d’évaluation pour évaluer les différents risques et l’exposition au marché. Il n’y a ainsi pas de consensus quant aux risques d’inondations véritables aux États-Unis, ni même sur la façon de modéliser la catastrophe, puisque les projections des entreprises sont souvent exclusives.

De plus, selon John Macomber, « les agences de notation de crédit bien connues, comme Moody’s, S&P et Fitch, sont en retard sur la tendance actuelle, car elles ont tendance à se concentrer sur les ratios financiers, comme la couverture du service de la dette et le rapport prêt/valeur ». Alors qu’avant l’exposition au risque était statique, ce n’est plus du tout le cas.

En revisitant certaines évaluations, il est fort probable, selon lui que « l’évaluation AAA à BB+ associée à de nombreuses obligations ne reflète pas correctement pas les risques réels encourus et qu’une fois de plus, cela se répercute éventuellement sur les garanties et les swaps, comme ce fut le cas il y a dix ans – touchant à nouveau de nombreuses personnes qui n’habitent pas à proximité des zones géographiques à problèmes ».

Gardez cela en tête avant de proposer certaines obligations américaines à vos clients…