Un homme d'affaire tient un micro et interviewe un autre homme d'affaire
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L’Autorité des marchés financiers (AMF) veillera à déléguer ses pouvoirs au nouvel organisme d’autoréglementation (OAR) que souhaitent créer les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), sans changer le rôle de la Chambre de la sécurité financière (CSF). L’AMF s’assurera que cet éventuel OAR reflète bien la réalité québécoise, à l’instar de l’entente de délégation de pouvoir conclue actuellement avec l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM). Et l’AMF veillera à ce que le barème des droits de cet OAR en gestation soit raisonnable et équitable quant aux activités des courtiers.

Voici quelques éléments qui ressortent d’une rencontre entre Finance et Investissement (FI) et Éric Jacob, surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution de l’AMF, mardi. En voici une version quasi intégrale.

FI : L’énoncé de position mentionne que la reconnaissance du nouvel OAR par l’AMF ne modifiera pas le mandat ainsi que les fonctions et pouvoirs de la CSF. Or, un représentant semblerait devoir à la fois répondre à la CSF et au nouvel OAR pour les questions de discipline et de formation continue. Y a-t-il une incongruité?

Éric Jacob (EJ) : Pour nous, le rôle de la CSF reste inchangé. Elle va demeurer responsable de la formation continue et de la déontologie des représentants en épargne collective, des représentants en assurance de personnes, des représentants en assurance collective, etc. La reconnaissance du nouvel OAR rendra ce dernier responsable de son nouvel encadrement. Dans la reconnaissance au Québec, il va y avoir des processus pour éviter les duplications.

FI : Concrètement, comment allez-vous faire pour qu’il n’y ait pas d’effets duplicatifs lorsque des dispositions équivalentes s’appliquent aux représentants de courtiers en épargne collective en vertu de la réglementation du Québec?

EJ : Il n’y a aucun changement qui est à prévoir pour les représentants membres de la CSF. Lorsque les représentants ont certaines problématiques au niveau déontologique, la CSF joue son rôle au niveau disciplinaire. Le cadre actuel [où l’AMF encadre les courtiers et la CSF, les représentants] est un univers dans lequel les deux réalités se conjuguent bien et cela va continuer de se faire avec le nouvel OAR.

FI : Donc un représentant n’aura pas à répondre à la fois au syndic de la CSF et au syndic du nouvel OAR?

EJ : Aujourd’hui, il y a collaboration entre l’AMF et la CSF. Dans un cas, s’il y a des manquements aux règles du nouvel OAR, la CSF va jouer son rôle. Je ne vois pas un représentant passer devant deux instances ou deux syndics pour le [même manquement].

FI : Sur le plan de la formation continue, la CSF a un rôle prévu dans la loi. On comprend que le nouvel OAR en aura un aussi. À qui se rapportera le représentant en épargne collective pour ses obligations en matière de formation continue?

EJ : Les responsabilités déontologiques et de formation continue des représentants en épargne collective sont sous la responsabilité de la CSF. C’est clair. La CSF va continuer de jouer son rôle, avec son code de déontologie qui va s’appliquer au Québec. Actuellement, dans le règlement 31-103, il y a des endroits où le rôle de la CSF est prévu. C’est l’exception du Québec. La reconnaissance de l’OAR fait que certaines activités exercées par l’AMF seront transférées à ce nouvel OAR, un peu comme à l’OCRCVM. Ça ne changera pas le rôle de la CSF.

FI : Dans le document, il y a une recommandation d’une forte présence au Québec pour offrir une expertise en français, une importante représentation au sein de son conseil d’administration et dans son processus décisionnel. Croyez-vous que cette recommandation soit suffisante pour contrer la crainte exprimée par différents acteurs sur la perte de pouvoir des régulateurs du Québec?

EJ : La Loi sur l’encadrement du secteur financier prévoit que l’AMF doit s’assurer que le document constitutif, que le fonctionnement du nouvel OAR  permettront que le pouvoir décisionnel à l’encadrement et à la conduite des membres puisse principalement être exercé par des personnes qui résident au Québec. Le meilleur exemple est les conditions prévues dans la décision de reconnaissance actuelle de l’OCRCVM. Dans ces conditions, il y a un maintien d’une section du Québec et un encadrement défini. Toutes décisions concernant la supervision des activités d’autoréglementation des courtiers membres doivent être prises par des personnes qui résident au Québec. L’approbation préalable par l’AMF de tout changement de la structure organisationnelle ou administrative de la section du Québec, les budgets distincts pour la section du Québec, pour une reddition de comptes… ce sont des conditions existantes dans la reconnaissance de l’OCRCVM. Le Québec, pour reconnaître un tel OAR, mettre en place des conditions qui permettront que la réalité québécoise soit bien reflétée. On veut s’assurer que ce nouvel OAR va déployer des mécanismes de consultation et d’implication permettant à ses courtiers membres d’exprimer leurs perspectives et d’être membres à part entière.

FI : Alors, cette crainte est-elle encore fondée?

EJ : Non. Au contraire, l’harmonisation canadienne dans le courtage en épargne collective s’est faite dans le respect des particularités provinciales et le maintien des pouvoirs au niveau local. Si on prend l’exemple avec l’OCRCVM, l’industrie est très engagée au Québec et elle va continuer de le faire dans le nouvel organisme, j’en suis persuadé.

FI : Est-ce que le coût pour les représentants qui font affaire seulement au Québec sera le même du fait qu’ils vont devoir être membres de la CSF et du nouvel OAR?

EJ : La structure de coût du nouvel OAR n’est pas encore déterminée. À court terme et dans le document qu’on a partagé, il y a un moratoire sur ces frais. Parmi ces travaux-là qui vont mener à la tarification, il y aura l’approbation des ACVM et de l’AMF. L’AMF va s’assurer que le barème des droits soit raisonnable et équitable quant aux activités réalisées par les courtiers. Il est encore tôt pour parler des droits. Il pourrait être envisageable que certains frais chargés par l’AMF, on parle des frais d’inspection, à titre d’exemple, ne soient pas reproduits au sein du nouvel OAR. Encore là, je veux être prudent. C’est le bon moment pour que l’industrie s’implique dans la détermination du nouvel organisme.

FI : Un groupe de travail aura pour mission de se pencher sur le versement autorisé de commissions à des tiers. Or, on sait que le partage de commission est permis avec l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM) dans plusieurs provinces, mais pas avec l’OCRCVM. Êtes-vous en faveur de permettre le versement de commission à des tiers?

EJ : Ce sont des discussions à avoir encore. On va attendre les résultats de ces travaux pour voir comment on peut se positionner en fonction de ce qui sera proposé aux ACVM.

FI : Comment se ferait l’harmonisation du fonds de protection regroupé avec le Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF) au Québec? On sait qu’une harmonisation peut se faire dans les deux sens.

EJ : Au Québec, en plus de la protection offerte par le fonds de protection du nouvel OAR, qui sera un rassemblement des fonds de protection de l’ACFM et de l’OCRCVM, qui touche principalement une protection contre la faillite et l’insolvabilité, au Québec, les investisseurs vont continuer de bénéficier de la couverture en cas de fraude d’un représentant et de manœuvre dolosive. Pour nous, le FISF demeure et les investisseurs au Québec auront une protection supplémentaire.

FI : Va-t-on élargir le FISF aux membres du nouvel OAR?

EJ : Ça reste à être déterminé. Il y a toute une réflexion à avoir. Aujourd’hui, le FISF demeure au Québec, c’est clair.

FI : Une des craintes exprimées par certaines firmes de courtage, c’est la rigidité des règles de l’ACFM. Est-ce qu’on va avoir une réglementation par principe ?

EJ : Dans les travaux d’harmonisation, l’ensemble des règles et de ce cadre va être déterminé. J’ai déjà entendu ces préoccupations. Les ACVM et l’AMF vont approuver le cadre réglementaire. Dans le rôle de supervision de cet OAR, les ACVM vont avoir clairement un rôle à jouer. J’encourage les intervenants qui ont des problématiques à avoir une voix autour de la table auprès de leurs organismes (de représentation). On pourra certainement faire avancer ces réflexions.

FI : Les membres de l’industrie ont souvent apprécié le fait de pouvoir échanger avec l’OCRCVM via le conseil de section du Québec. Or, les groupes de défense des intérêts des consommateurs se plaignaient de l’emprise réglementaire qu’amènent ces échanges. Comment le cadre proposé va-t-il adresser ces deux aspects qui semblent opposés l’un à l’autre?

EJ : Ce sont des besoins qui peuvent se conjuguer. Les investisseurs devraient regarder l’ensemble des mécanismes qui vont être mis en œuvre pour permettre le renforcement de la gouvernance de ce nouvel OAR. On parle d’un conseil d’administration qui sera composé d’une majorité d’administrateurs indépendants, y compris le président avec des critères indépendances développés par les ACVM. Plusieurs administrateurs devront posséder de l’expérience sur des questions touchant l’intérêt des investisseurs. Un groupe consultatif des intérêts des investisseurs va être créé et financé. De plus, le comité consultatif sur les politiques de réglementation du nouvel OAR devra aussi être composé de représentants des investisseurs et du public. L’intérêt public sera très bien représenté au sein du nouvel OAR.

Du côté de l’industrie, la présence au Québec va être forte, le bureau du Québec sera fort, tout comme c’est le cas avec l’OCRCVM. Je vois ce dialogue continuer dans la même veine. Dorénavant, l’intérêt public et la voix des investisseurs seront entendus davantage.