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L’enquête que mène actuellement le syndic de la Chambre de la sécurité financière (CSF) à propos d’une représentante en épargne collective qui aurait été liée à un scandale financier au début des années 2000, selon les révélations du quotidien La Presse, soulève des questions sur la manière dont se font les vérifications d’antécédents par les courtiers, par l’Autorité des marchés financiers (AMF) et par la CSF, ainsi que les suivis en cette matière.

À défaut de pouvoir compter sur les explications verbales de l’AMF et de la CSF sur la manière dont un représentant devient inscrit et sur la manière de devenir membre professionnel du comité de discipline de la CSF, nous avons communiqué avec quatre sources de l’industrie financière que nous estimons en mesure d’éclairer ces questions. Celles-ci ont préféré taire leur identité. Voici un résumé des constats de notre recherche. 

Prenons donc le cas hypothétique d’une personne qui veut devenir représentant en épargne collective.

Cette personne devra suivre sa formation auprès d’un organisme qui offre des cours d’entrée dans l’industrie et qui est reconnu par les régulateurs. Ce n’est qu’une fois que cette étape est réalisée que peut se faire l’inscription du représentant.

Le courtier en épargne collective demande ensuite à l’AMF de rattacher le conseiller à la Base de données nationale d’inscription (BDNI), selon une première source : « Seul un courtier peut rattacher un individu. »

 Finance et Investissement a demandé à l’AMF de lui expliquer les exigences auprès des courtiers lorsqu’ils rattachent un conseiller, ainsi qu’une explication du processus d’inscription et de vérification des antécédents d’un conseiller.

« Nous attendrons pour [émettre] tout commentaire qui pourrait, d’une manière ou d’une autre, avoir un lien avec l’enquête du syndic de la CSF. (…) Nous allons donc laisser le syndic de la CSF faire son travail et ne ferons aucun commentaire », écrivait Sylvain Théberge, directeur des relations médias de l’AMF, dans un courriel. L’AMF n’a pas répondu non plus lorsqu’on lui a demandé si elle envisage ou non de réviser son processus d’inscription d’un représentant.

Selon notre source, le travail de vérifications diligentes est fait à la fois par le courtier et le régulateur. « Il n’y a pas d’exigence formelle [de l’AMF sur le plan des vérifications d’antécédents et d’identité], mais plutôt une attente de diligence raisonnable envers le courtier. Normalement, on vérifie les emplois antérieurs, les occupations, les antécédents (judiciaires, criminels et déontologique) et parfois le dossier de crédit [de l’aspirant représentant] », indique-t-elle.

De plus, il est commun de vérifier si l’individu a déjà fait faillite, et de discuter avec des références qui le connaissent, selon une deuxième source de l’industrie. Cette dernière précise que les inspecteurs de l’AMF vérifient auprès du courtier son protocole, en lui demandant des exemples de candidatures analysées. « On nous exige même de fournir la preuve de réussite des cours, même si ça fait 20 ans qu’un conseiller est dans l’industrie. On nous dit que c’est notre responsabilité de s’assurer que le représentant a bien réussi son cours », explique cette source.

Arrive maintenant le rattachement à la BDNI. Pour ce faire, on doit remplir entre autres le formulaire 33-109A4, Inscription d’une personne physique et examen d’une personne physique autorisée.

On y demande une foule de détails quant à l’aspirant conseiller, dont de nombreux renseignements personnels (nom, date de naissance, adresse, taille, poids, citoyenneté) et antécédents professionnels pour les 10 dernières années. On y demande aussi si le conseiller a déjà été connu sous d’autres noms ou exercé une activité sous un autre nom.

« Avez-vous ou une société dont vous êtes ou étiez associé, administrateur, dirigeant ou actionnaire important a-t-elle déjà été défendeur ou intimé dans une poursuite civile dans laquelle des allégations de fraude, de vol, de dol, de fausses déclarations ou de manquement similaire ont été prouvées dans un jugement? », demande entre autres le formulaire.

Selon notre première source, le courtier ou le futur représentant peuvent remplir ce questionnaire, en fonction des procédures du courtier. « Certains courtiers créent un accès temporaire au conseiller pour qu’il le complète lui-même. [Au sein de notre organisation], nous préférons soumettre au conseiller un formulaire maison qui comprend toutes les questions du formulaire plus certaines autres de notre cru et on fait la saisie nous-même à la BDNI. Cela nous permet d’intercepter certaines choses en amont et de creuser plus en profondeur », affirme cette source.

Un conseiller fictif disposant d’une fausse pièce d’identité pourrait-il contrecarrer ces processus de vérifications? « En fonction des informations qui sont demandées à la BDNI, si j’ai une fausse pièce d’identité et un peu de culot, je crois qu’il est possible de frauder le système. Mais il faut le vouloir », juge notre première source.

En effet, le conseiller devrait également avoir réussi sa formation sous cette identité factice et faire en sorte que son courtier puisse présenter sa preuve d’assurance responsabilité avec ce nom, affirme cette source.

Devenir membre du comité de discipline

Arrive maintenant le processus de sélection afin de choisir qui deviendra membre professionnel du comité de discipline de la CSF. Selon le site Internet de la CSF, c’est le conseiller qui soumet sa candidature, laquelle est approuvée par le conseil d’administration de la CSF. Ce dernier en a approuvé 82 pour la période 2021-2023.

Selon le règlement sur le comité de discipline, que nous a transmis Daniel Richard, porte-parole de la CSF, pour soumettre sa candidature à titre de membre du comité de discipline, un représentant doit, entre autres, satisfaire aux exigences suivantes :

  • il exerce ses activités à titre de représentant depuis au moins dix ans dans la ou les disciplines ou catégories d’inscription pour laquelle ou lesquelles il soumet sa candidature;
  • il possède une conduite professionnelle et déontologique exemplaire et est une référence pour ses pairs ;
  • il possède la probité et l’intégrité nécessaires pour agir à titre de membre du comité de discipline ;
  • il n’a jamais fait l’objet d’une plainte déposée au comité de discipline de la Chambre, d’un ordre professionnel ou d’un organisme chargé de la surveillance et du contrôle des personnes agissant à titre de représentant au Québec, au Canada ou à l’étranger ;
  • l’AMF n’a jamais révoqué, suspendu, refusé de renouveler ou assorti de restrictions ou de conditions son certificat ;
  • l’AMF n’a jamais suspendu, radié ou assorti de restrictions ou de conditions son inscription ;
  • il n’a jamais été déclaré coupable, par un tribunal canadien, d’une infraction ou d’un acte ayant un lien avec l’exercice de l’activité de représentant, que la décision ait ou non été portée en appel, et ne s’est jamais reconnu coupable d’une telle infraction ou d’un tel acte ;

Selon une troisième et une quatrième source, le bureau du syndic analyserait les candidatures reçues et ferait une vérification d’antécédents, notamment ceux de nature disciplinaire, avant de les recommander au conseil d’administration de la CSF. « Quelqu’un qui a une tache à son dossier n’est pas retenu », soutient notre troisième source, reprenant des propos semblables provenant de la quatrième. Les administrateurs peuvent même, s’ils le jugent pertinent, rejeter une candidature, d’après cette dernière personne.

Toutefois, lorsqu’une candidature arrive au niveau du conseil d’administration, celui-ci ne ferait pas de vérifications supplémentaires, se fiant d’une part au processus de validation de la probité l’AMF, puis à celui du syndic, selon la troisième source. Généralement, les membres du conseil vont entre autres s’assurer que les membres professionnels du comité de discipline proviennent de toutes les régions administratives, note cette personne.

Les révélations de La Presse ont amené la CSF à se poser des questions quant au processus de vérifications, rapporte notre quatrième source. Celle-ci corrobore le fait qu’un présumé changement dans la graphie d’un nom d’un représentant pourrait avoir constitué une faille dans le système. Elle garde toutefois confiance en ce système.

Dans le formulaire de mise en candidature [d’un membre du comité de discipline], on pourrait poser la question “Durant les 10 dernières années, avez-vous changé de nom? Si oui, veuillez nous l’indiquer.” Poser la question pourrait être un autre facteur à prendre en compte », juge notre deuxième source.

Selon notre troisième source, c’est la responsabilité de l’AMF de veiller à la probité d’un conseiller et il est normal de s’y fier.

« Quels sont les processus de vérifications? À la lumière de ce qui s’est passé, est-ce qu’il y a lieu de revoir le processus [de l’AMF ou de la CSF]? Toutes ces questions sont légitimes », juge notre première source.

D’après le règlement de la CSF, un membre doit dénoncer par écrit et sans délai au président et au secrétaire du comité de discipline, la survenance de différents événements dont « le fait qu’il fait l’objet d’une enquête par le syndic ou le syndic adjoint de la Chambre et l’issue de cette enquête ».

Le président du comité de discipline enquête alors et peut soit ne prendre aucune mesure administrative contre le membre du comité, soit lui donner un avertissement écrit, soit le suspendre de l’exercice de ses fonctions ou transmettre son dossier au conseil d’administration de la CSF afin d’en recommander sa destitution.

Pas de commentaires

Finance et Investissement n’a pu obtenir d’entrevue ni auprès de la CSF, ni de l’AMF, ni de SFL Gestion de patrimoine à propos de la représentante Dimitra Kostarides, qui est sous enquête de la CSF. Ces deux dernières organisations n’ont pas voulu expliquer quels genres de vérifications elles ont faites à propos de celle qui est aussi candidate au poste de conseillère municipale dans le district Côte-des-Neiges dans la formation politique Ensemble Montréal.

En octobre, Ensemble Montréal a indiqué à Radio-Canada que « de nouvelles discussions avec Dimitra Kostarides ont eu lieu et que le parti était toujours satisfait de sa version des faits. » La formation politique entend laisser l’enquête se poursuivre. L’attachée de presse du parti, Elizabeth Lemay a déclaré ceci à la société publique d’information, tout comme à La Presse : « On est confiants que l’enquête sortira en sa faveur. »

Elizabeth Lemay n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue auprès de Dimitra Kostarides. Cette dernière n’a pas retourné nos appels ni répondu à nos messages.