Un couple de personnes âgées face à une femme d'affaire.
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Avoir une importante proportion de clients en mode décaissement de leur actif engendre certains défis pour les conseillers. Liés au fait que ce sont souvent des clients âgés qui sont à ce stade, ces enjeux sont loin d’être insurmontables.

À l’occasion du ­Pointage des courtiers québécois et du ­Pointage des courtiers multidisciplinaires de 2023, nous avons demandé aux conseillers de définir les défis auxquels ils sont confrontés en servant ces clients.

Six enjeux principaux ressortent de leurs réponses.

Risque d’attrition

La part de plus en plus grande de la clientèle en mode de décaissement suscite une préoccupation croissante de renouveler le bassin de clients. « ­Il faut remplacer cette clientèle-là et il faut s’occuper des successions, dit un conseiller de ­RBC ­Dominion ­Valeurs mobilières. Les enfants de mes clients âgés ne se qualifient pas tous en gestion privée. Et il y aussi des enfants qui sont ailleurs qu’au ­Québec (au ­Japon, par exemple). ­Ceux-là, on les perd. » ­Dans le même souffle, ce représentant donne la seule solution : « ­Il ne faut jamais arrêter de prospecter, mais les comptables nous aident beaucoup », ajoute-t-il.

« ­Bien sûr, les conseillers qui gèrent de plus petits actifs peuvent avoir des difficultés de recrutement de clientèle, mais les professionnels qui prêtent attention à leur pratique planifient ça et structurent leur pratique de façon à assurer un renouvellement de clientèle, met de l’avant ­Jean Morissette, consultant et spécialiste de l’industrie des valeurs mobilières. Et ils s’arrangent dès le départ pour assurer un mélange équilibré de clients, par exemple 20 % de jeunes, 20 % de retraités et de décaisseurs, et au cœur, 60 % de clients en plus forte accumulation. Dans les équipes de gestion, ces questions forment les bases ; ça fait partie de la formation. »

Un conseiller du ­Groupe financier ­PEAK confirme la proposition de ­Jean ­Morissette : « ­Il n’y a pas de défi. Je connais les enfants de mes clients. Je sais qui va hériter. Ça va bien. »

Enjeux comportementaux

La gestion des émotions des clients relatives au rendement du portefeuille est un défi. « ­Il faut surtout rassurer les clients en leur disant qu’ils vont avoir suffisamment d’argent pour leur retraite malgré une année difficile en 2022 et les baisses de marché », dit un conseiller d’IG Gestion de patrimoine. Un autre, chez ­Gestion de patrimoine ­TD, peine avec les marchés baissiers. « ­Le défi fréquent ici est la séquence des rendements de marché, ­dit-il. Ça émerge comme le principal défi chez les clients qui décaissent. Les rendements incertains : tu commences ta retraite quand les marchés sont en baisse et tu te retrouves dans une position pire que celle de la personne qui prend sa retraite dans des marchés en hausse. »

Un vétéran chez ­RBC ­Dominion ­Valeurs mobilières donne un son de cloche enthousiaste qui pourrait être une réponse au participant précédent : « J’ai vécu bien des périodes d’inflation et de hausses d’intérêts dans ma vie. Ça ne m’inquiète plus. Au contraire, j’ai du plaisir. Je ne suis plus là pour l’argent. »

Un conseiller chez ­Financière ­Sun ­Life abonde dans le même sens : « ­Ce n’est pas difficile du tout. Nos clients nous font confiance et ils sont également bien informés. Leurs émotions interviennent beaucoup, mais tant qu’ils sont rassurés, tout se remet en place. »

Enjeux de santé

Les retraités ont parfois des problèmes de santé. « ­Perte d’autonomie, solitude, insécurité, dégradation de capacité cognitive », énumère un conseiller d’IG ­Gestion de patrimoine. Certains clients comprennent moins bien leur conseiller, ce qui exige parfois que des membres de leur famille les accompagnent dans la gestion de leurs finances.

Une conseillère de plein exercice chez ­CIBC ­Wood Gundy considère cela comme étant assez éprouvant : « J’ai une clientèle relativement jeune, mais pour les ­84-85 ans, c’est le cognitif. Les discussions ne sont pas faciles. Ils ne veulent pas de gens qui pourraient les aider. »

Ces commentaires témoignent d’un certain défi, mais ne sont en aucune façon acerbes, si l’on en croit Nancy Lachance, chef de la conformité chez ­MICA. « ­Jamais en huit ans je n’ai entendu de mauvais commentaires, ­dit-elle. Au contraire, les conseillers m’impressionnent par leur souci du ­bien-être de leurs clients. Ils en font plus qu’on ne leur en demande par rapport à leurs clients plus âgés. » ­Par ailleurs, ­ajoute-t-elle, « la seule chose qu’on demande dans l’ouverture de compte, c’est la désignation d’une personne de confiance. Sur le plan de la conformité, les personnes vulnérables n’exigent pas plus que cela de notre part. »

Enjeux de conformité

La charge de travail liée à la conformité semble avoir un effet indirect sur la capacité à bien servir les retraités, selon plusieurs conseillers. L’un d’eux cite comme défi : « la paperasse et la lourdeur imposées par la conformité et l’anxiété de ne pas satisfaire les gens qui veulent nous contrôler de plus en plus, car ils pensent que nous sommes incompétents ! » ­Un autre déclare : « ­La gestion du temps. Beaucoup plus de tâches administratives et de conformité. Moins de temps pour servir les clients. »

Ce sont des complaintes auxquelles n’est pas sensible Denis ­Gauthier, ancien premier ­vice-président et directeur national de la ­Financière ­Banque ­Nationale. « J’ai toujours vu la conformité comme un allié des conseillers. On a peut-être raison de se plaindre de la charge administrative, mais le jeu en vaut la chandelle : ce sont de bons clients. S’il n’y avait pas de conformité, les troubles que ça entraînerait seraient bien plus grands. » ­Jean ­Morissette abonde dans le même sens et tranche : « ­La conformité entre en jeu seulement quand les choses ont été mal planifiées. »

Défis technologiques

« J’ai une clientèle vieillissante qui n’est pas très habile avec la technologie », signale un conseiller chez ­Groupe Cloutier. À une époque où le télétravail s’est largement implanté, cela implique un pas en arrière pour certains : « Les personnes qui décaissent veulent être rencontrées en personne, se plaint un conseiller chez ­Financière ­Sun ­Life. C’est un ajustement pour nous parce que nous sommes habitués à la technologie. » ­Des conseillers notent que certains n’utilisent pas les courriels et refusent la signature électronique.

« L’ignorance technologique, c’est réel, mais ça l’est de moins en moins, soutient ­Jean ­Morissette. Les défis sont anecdotiques et ne concernent pas la majorité. On peut voir venir et planifier en conséquence. »

Importante planification

Optimiser financièrement et fiscalement les décaissements afin de s’assurer que le client ait suffisamment de capital pour vivre, malgré l’inflation, et pour atteindre ses objectifs successoraux est un autre défi.

Composer avec le risque d’épuisement du capital avant le décès est une autre préoccupation, davantage présente parmi les clients des conseillers liés à des courtiers multidisciplinaires où les actifs sous gestion sont sensiblement plus modestes que chez les courtiers de plein exercice.

La préoccupation est beaucoup moins présente du côté plein exercice, ce témoignage d’un conseiller chez Raymond ­James est représentatif : « ­La plupart [de mes clients] ont beaucoup d’argent, de telle sorte qu’ils ne sont pas préoccupés. Les clients plus jeunes sont plus inquiets. Mais il n’y a pas de défi réel : ils vivent tous très bien, pratiquement personne ne se soucie de l’argent. »

Ces défis de planification fournissent « l’occasion de faire intervenir des spécialistes, par exemple des planificateurs, des comptables ou même des fiscalistes », fait valoir ­Denis ­Gauthier.