Un homme d'affaire dessiné il a l'air inquiet. Une bulle de BD au dessus de sa tête où il y a un gribouillage.
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À l’évidence, un bon nombre de conseillers de Valeurs mobilières Desjardins (VMD) déplorent l’incertitude planant sur la réorientation stratégique au Mouvement Desjardins.

Lors d’un récent congrès des conseillers de VMD, la haute direction du Mouvement Desjardins aurait annoncé une diminution des recommandations à VMD de la part du réseau des caisses, d’après un article de Finance et Investissement intitulé « VMD aura moins de recommandations des caisses Desjardins ».

Cette annonce a créé de l’incertitude, selon les commentaires recueillis anonymement auprès des conseillers en placement interrogés dans le cadre du Top 8 des courtiers québécois.

Bon nombre ont exprimé leur mécontentement, principalement par rapport à la rémunération et à de récents changements organisationnels.

Comment les conseillers évaluent-ils leur firme ? : Consultez le tableau du Top 8 des courtiers québécois

Ils signalent ainsi leurs insatisfactions et leurs inquiétudes. « On change des balises. On l’annonce en février et on n’est pas capables de s’ajuster. C’est rétroactif. Il n’y a pas de consultation », affirme l’un d’eux. « Il y a une culture de changement en ce moment. On ne sait pas où on s’en va. Il y a de l’inquiétude », énonce un autre. « Nous vivons des incertitudes au niveau du payout », souligne un troisième. « Ce n’est pas bon. Un changement s’en vient et ça crée de l’inconfort », indique un autre conseiller.

Certains montrent du doigt l’état, conflictuel à leurs yeux, des relations avec le réseau des caisses. « On est en train d’adopter la culture de Desjardins. On n’a plus notre âme chez Valeurs mobilières Desjardins », dit un conseiller. « Il y a du changement et la direction n’a pas d’intérêt à développer activement VMD. Nos pires compétiteurs sont à l’intérieur de la firme, ce qui rend notre travail délicat », affirme un autre. « Desjardins nous concurrence à l’interne. Quand ils le peuvent, ils viennent chercher notre clientèle », soutient un conseiller.

Quelques conseillers ont même refusé de recommander VMD lorsqu’on leur a demandé s’ils seraient enclins à le faire auprès d’un collègue, en raison de l’incertitude. Résultat, 81 % des conseillers de VMD recommandent leur courtier, par rapport à 88,8 % pour l’ensemble des conseillers interrogés.

Cependant, gare aux conclusions rapides : les changements en cours ont également leurs partisans. Ils se font beaucoup moins entendre que leurs détracteurs, mais ils sont tout de même là. L’un d’eux maintient, par exemple, que le leadership de VMD vit « probablement sa meilleure période en ce moment ». « On est très bien traités par rapport aux autres grandes firmes », dit un autre conseiller qui commente sa rémunération.

Équilibre rétabli

Selon le reportage de Finance et Investissement publié en mars, la nouvelle stratégie du Mouvement Desjardins vise à offrir davantage de services de gestion de patrimoine à l’intérieur des caisses, notamment par l’entremise du Service Signature.

Le modèle d’affaires de VMD change, reconnaissait alors en entrevue Luc Papineau, vice-président et directeur général, Valeurs mobilières Desjardins. Il confirmait que le nombre de références de clients potentiels pour VMD, en provenance des caisses, allait baisser à court terme. « C’est normal que ça diminue, parce que le réseau des caisses s’équipe de mieux en mieux [pour offrir des services] en gestion de patrimoine », déclarait alors le dirigeant de VMD.

Une bonne partie des références du réseau des caisses sera dorénavant canalisée vers le Service Signature. Ce dernier propose un « accompagnement sur mesure », comprenant divers professionnels, aux membres des caisses ayant des actifs d’au moins 250 000 $ à investir.

En conséquence, les conseillers de VMD devront consacrer davantage de temps au développement d’affaires.

« Le niveau de référencement qu’il y avait chez VMD était beaucoup plus élevé que dans d’autres grandes banques canadiennes. Ce qui est en train d’être fait, c’est de rétablir l’équilibre et de s’assurer que les services de gestion privée, le Service Signature et le courtage aient chacun leur juste part. Il y avait peut-être un déséquilibre dans le passé. Un réajustement est fait. C’est comme n’importe quel changement, ça crée peut-être un peu de remous », a expliqué Luc Papineau.

Finance et Investissement a invité le Mouvement Desjardins à commenter des critiques de conseillers, et voici l’intégralité de ce que Jacques Bouchard, conseiller principal, relations publiques de la coopérative, a répondu par courriel : « Les attentes de nos membres et clients sont au coeur de nos pratiques d’affaires. C’est pourquoi l’objectif de la transformation de nos manières de faire est de favoriser le développement optimal de nos canaux de distribution, en lien avec les besoins des membres et clients ainsi qu’avec la réalité du marché d’aujourd’hui. »

L’enjeu de la relation client

Dans son dernier rapport annuel, le Mouvement Desjardins décrit la gestion de patrimoine comme un domaine où règne « une concurrence féroce ». L’institution coopérative y précise que « les acteurs rivalisent d’ingéniosité pour conquérir la clientèle et la fidéliser ».

Cette situation de concurrence exacerbée, ayant la fidélisation comme enjeu, n’échappe pas à Richard Legault, qui a été président d’iA Valeurs mobilières entre janvier 2012 et octobre 2018.

« Desjardins veut accroître son potentiel de fidélisation d’une certaine clientèle fortunée en la gardant à l’interne, c’est-à-dire à l’intérieur du réseau des caisses. Desjardins entend également accroître son offre de services pouvant répondre à une large palette de besoins de ces clients, ce que les réseaux de valeurs mobilières ne réussissent pas toujours à optimiser. De cette façon, au lieu de transférer la relation client au conseiller en placement, Desjardins la garde à l’interne », dit-il.

Richard Legault est maintenant à la tête de sa propre firme de consultation appelée Phoenix Stratégies Conseils. Selon lui, les conseillers qui faisaient largement appel aux références fournies par les caisses devront fatalement revoir leurs stratégies de développement d’affaires.

« Il est normal que dans ce genre de circonstances, il se produise un phénomène de résistance au changement. Dans certains cas, le fait d’avoir des références des caisses pouvait être perçu comme un gain en temps et en efforts de recrutement de nouveaux clients », dit Richard Legault.

En revanche, poursuit-il, les conseillers qui réussiront à faire ce passage en retireront les fruits.

« Ces conseillers n’auront pas à partager leurs commissions avec le réseau des caisses. Leurs revenus pourraient ainsi augmenter. Leur liberté d’action aussi, puisque s’ils en venaient à quitter VMD, ils auraient une plus grande marge de manoeuvre pour conserver leurs clients actuels », explique Richard Legault.

Les clients référés par les caisses ne pourront pas suivre le conseiller qui quitte pour d’autres cieux en raison de la présence probable de clauses de non-sollicitation et de non-communication, ajoute l’ex-président d’iA Valeurs mobilières.

« Desjardins ne reviendra pas en arrière. Selon moi, l’enjeu est de s’adapter à ces nouvelles règles du jeu. Dans certains cas, il faudra revoir les pratiques de développement de clientèles, tout en ne perdant pas de vue les avantages et les nouvelles occasions qui se créent », dit Richard Legault.

Note stable

Malgré cette incertitude, l’Indice FI de VMD demeure stable par rapport à l’an dernier, à 8,3 sur 10. « On est mieux que l’an passé et on sera meilleurs l’an prochain. Depuis deux à trois ans, on nous annonce des changements technologiques », dit un conseiller.

La note accordée à VMD à l’égard de la culture d’entreprise et du soutien au développement des affaires est cependant en baisse. « On n’a plus aucun développement possible avec les caisses et on n’a pas de soutien sur la façon de faire pour la croissance », dit un conseiller.

Par rapport à l’an dernier, la note de VMD recule aussi pour les critères du logiciel de gestion de la clientèle et de soutien administratif, ainsi que pour le soutien de la firme concernant les changements apportés à la réglementation. « Les délais sont aussi allongés à cause du fait que certains documents se promènent entre la maison-mère de Desjardins et chez nous », indique un conseiller qui fait des commentaires sur le back office.

Toutefois, VMD reçoit une meilleure note par rapport à l’an dernier pour la technologie, pour l’acquisition de nouveaux clients et pour son soutien concernant l’utilisation des médias sociaux. « On va être bons l’an prochain. On est en train de mettre en place un système pour les médias sociaux. En ce moment, on est très restreints sur ce plan », dit un conseiller. FI