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Les premiers fonds négociés en Bourse (FNB) de cryptoactifs ont été lancés en février 2021 et cumulaient, en août 2021,4,6 G$ en actif (part de marché de 1,5 % de l’actif), selon Banque Nationale Marchés financiers. Offrant une exposition à ces actifs virtuels, ces FNB évitent aux clients les tracas liés aux portefeuilles numériques et aux restrictions portant sur l’achat de cryptomonnaies imposées par bon nombre d’institutions financières. Il est essentiellement question de FNB de bitcoins, la monnaie virtuelle la plus connue et négociée, ainsi que de FNB d’ethers. A l’instar des FNB de marchandises, les FNB de cryptoactifs présentent des risques et des particularités à bien comprendre.

Au moment de mettre sous presse, les autorités de réglementation américaines n’avaient pas approuvé les FNB de cryptomonnaies. Au printemps, la Securities Exchange Commission (SEC) exprimait ses réticences à l’égard des fonds de bitcoins, les jugeant hautement spéculatifs. L’absence de réglementation et le potentiel de fraude ou de manipulation sur le marché du bitcoin sont montrés du doigt. Or, en août, la SEC s’ouvrait aux fonds de bitcoins basés sur des contrats à terme, relançant la course à qui lancera le premier FNB américain du genre. On reconnaît que le marché des contrats à terme de cet actif a gagné en maturité.

Si l’attrait de la technologie blockchain ou chaîne de blocs a beaucoup à voir avec l’engouement des investisseurs pour les cryptomonnaies, le côté polluant de leur minage suscite la controverse.

« C’est préoccupant et des décisions devront être prises dans les prochaines années pour que cet actif existe à long terme », remarque Som Seif, chef de la direction de Purpose Investments. D’ailleurs, le réseau Ethereum a entrepris une démarche de réduction de son empreinte de carbone et travaille sur une nouvelle approche plus écologique.

Distinguons d’abord les FNB qui détiennent les cryptoactifs sous forme physique (BTCC, EBIT, BITC, BTCQ, BTCX) de ceux qui en offrent une exposition par l’intermédiaire de contrats à terme (HBIT, BITI). Dans le cas d’un FNB de bitcoins physiques, l’achat de cryptomonnaies est fait par le gestionnaire du fonds via « un portefeuille sécurisé et hors ligne (déconnecté d’Internet) afin de réduire le risque de vol », écrit Purpose sur son site web.

« Contrairement à l’investisseur individuel qui peut perdre ses mots de passe, ses clés et ses bitcoins, dans notre cas il s’agit d’un portefeuille froid (cold wallet) institutionnel comportant une multitude de contrôles de sécurité », explique Som Seif. Les bitcoins sont ensuite gardés par le dépositaire de cryptomonnaies réglementé, Gemini Trust, qui possède notamment une couverture d’assurance contre le vol équivalant à 200 M$ US.

« Les principaux risques de ces FNB sont liés à la capacité des mainteneurs de marché de jouer efficacement leur rôle », affirme Steve Hawkins, président et chef de la direction de FNB Horizons. Ces spécialistes contribuent à la liquidité du marché et font que la valeur d’un FNB reflète celle du sous-jacent comme le bitcoin ou Tether.

Or, une large part de mainteneurs de marché utilisent des contrats à terme pour couvrir leurs positions intrajournalières tant sur les FNB de bitcoins physiques que ceux dont le sous-jacent est constitué de contrats à terme sur bitcoin.

« Dans le cas du FNB BTCC, nous avons plusieurs mainteneurs de marché qui couvrent aujourd’hui leurs positions également en négociant des bitcoins physiques. Cela a grandement facilité l’exécution, les volumes et l’efficacité du marché de nos FNB », nuance Som Seif. Les inconvénients liés au marché des contrats à terme ne s’appliquent donc pas dans un tel cas. Plusieurs de ces mainteneurs de marché sont par ailleurs américains.

Comprendre les risques

Pour bon nombre de mainteneurs de marché cependant, il existe un risque que les contrats à terme réglés en espèces qu’ils utilisent se déconnectent de la valeur du sous-jacent physique. « Nous l’avons vu avec les contrats à terme de pétrole brut qui se sont négociés en territoire négatif pendant une courte période Tannée dernière », explique Andres Rincon, directeur et chef, ventes et stratégie de FNB, chez Valeurs mobilières TD. Ce risque serait plus important pour les FNB basés sur des contrats à terme, mais pourrait également avoir une incidence sur les transactions intrajoumalières des FNB adossés à des bitcoins réglés physiquement.

Un autre risque se présente lorsque des contrats à terme de bitcoins sont utilisés pour couvrir les positions intrajoumalières des FNB de cryptoactifs: le prix à terme du bitcoin et le prix au comptant (spot) du bitcoin seront rarement égaux. Cet écart de prix, qu’on appelle la base, variera selon divers facteurs. « Si la base des contrats à terme de bitcoins devient volatile, il sera plus difficile pour le mainteneur de marché de livrer le niveau de liquidités approprié au fonds à la fin de la journée, ce qui pourrait avoir un impact sur l’écart cours acheteur-cours vendeur du FNB », souligne Andres Rincon.

Pour les clients, ce dernier écart constitue un coût qui se matérialise à l’achat ou à la vente d’un FNB. Par exemple, si l’Evolve Bitcoin (EBIT) affiche un prix qu’un investisseur est prêt à payer de 18,20$ et un prix qu’un autre investisseur est disposé à vendre de 18,22$, l’écart cours acheteur-cours vendeur sera de 2 cents. Plus cet écart est important, plus le coût total de détention du FNB sera élevé.

Par ailleurs, le roulement des contrats à terme d’un mois à l’autre peut aussi poser problème. Comme les obligations, ces contrats ont une échéance. Lorsqu’un négociateur détient un contrat à terme qui arrive à échéance durant le mois, il se départ généralement de son contrat et fait un roulement en se procurant un contrat d’échéance plus longue afin de maintenir son exposition cible. Cela se complique quand le prix à terme d’un contrat est plus élevé que le prix actuel. On parle alors d’un effet contango, ou « report », ce qui est assez commun dans l’univers des contrats à terme de marchandises (comme l’or ou l’argent) puisque celui qui vend le contrat à terme veut être rémunéré, pour le stockage notamment. « Dans le cas du bitcoin, cet effet est davantage lié à l’incertitude du marché et à la volatilité du prix du sous-jacent: il s’agit de pure spéculation », confirme Steve Hawkins.

« Cet effet de roulement négatif des contrats va réduire directement le rendement du fonds et peut générer une sous-performance importante de ce dernier », observe Andres Rincon. Les FNB basés sur des bitcoins « physiques » sont exposés au risque de roulement pour quelques journées, alors que les FNB basés sur des contrats à terme y sont exposés de manière permanente. Dans un marché où le prix du bitcoin monte constamment, les FNB de bitcoins adossés à des contrats à terme devraient sousperformer les FNB de bitcoins physiques en raison de cet effet report, d’après Steve Hawkins.

De plus, il arrive que le prix à terme du cryptoactif soit inférieur au cours au comptant. Ce fut le cas en mai et juin 2021 quand le prix du bitcoin a dégringolé. En rachetant des contrats moins chers, cet effet de backwardation, ou «déport», va engendrer un gain pour le FNB de bitcoins adossé à des contrats à terme.

Un autre risque peut survenir lors d’une interruption temporaire de la négociation sur le marché des contrats à terme. Ce fut le cas en mai dernier alors que le Chicago Mercantile Exchange (CME) a suspendu les transactions sur ses contrats à terme de bitcoins à la suite d’une chute de quelque 30 % du prix de la monnaie virtuelle. « Cela a eu pour effet d’élargir les écarts cours acheteur-cours vendeur de ces FNB », remarque Andres Rincon. Comme on ne savait plus la valeur des contrats et qu’on ne pouvait plus en négocier pour se couvrir, cela a touché l’ensemble du marché des FNB de bitcoins tant physiques qu’avec des contrats à terme, selon Steve Hawkins.

« La dislocation des prix a été temporaire et son ampleur était variable d’un manufacturier à l’autre. Cela dépendait de la capacité des mainteneurs de marché à couvrir leurs positions et aussi des volumes reliés aux ordres de vrais vendeurs et de vrais acheteurs qui s’affichaient sur les plateformes», ajoute Steve Hawkins.

Ce genre de situation peut influer sur la qualité de l’exécution des transactions de l’investisseur de détail puisque les écarts de prix affichés peuvent s’élargir ou les prix pourraient même disparaître pendant un certain laps de temps.

Création et rachat de parts parfois difficiles

La plupart des mainteneurs de marché peuvent également créer de nouvelles parts de FNB ou en racheter. Ce mécanisme permet d’alimenter la liquidité du marché secondaire et de maintenir la valeur marchande du FNB le plus près possible de sa valeur liquidative (net asset vaine, ou NAV). Dans le cas d’un FNB de bitcoins physiques, si on a vendu trop d’unités, le mainteneur de marché voudra couvrir sa position en achetant l’équivalent en contrats à terme de bitcoins ou s’il le peut en achetant des bitcoins physiques (plus rare). En fin de journée, il va livrer à l’émetteur des bitcoins ou l’équivalent en argent de la valeur du fonds (NAV) de fin de journée, et ce, en échange d’un bloc de parts du FNB.

Lorsqu’il y a beaucoup de vendeurs d’un FNB, le mécanisme inverse peut survenir. Un mainteneur de marché qui détiendrait trop de parts d’un FNB de bitcoins particulier peut échanger ses parts excédentaires en fin de journée avec l’émetteur contre des espèces. Cela permettra donc au mainteneur de marché de ramener ses positions en inventaire le plus près de zéro afin de ne pas assumer de risque de marché jusqu’au lendemain.

« Dans le cas où le marché des contrats à terme est suspendu, cela pourrait compliquer les choses s’il s’agit d’un FNB basé sur des contrats à terme de bitcoins. On pourrait alors décider de ne pas créer ou encore, de ne pas racheter de parts ce jour-là», remarque Andres Rincon. La conséquence pour l’investisseur de détail devrait toutefois être limitée puisque le mainteneur pourrait, par exemple, créer des unités le lendemain et emprunter en attendant les titres sur le marché du prêt de titres.

Coûts encore peu connus

Personne ne connaît encore les coûts de détention des FNB de cryptoactifs. Bien que les frais de gestion oscillent autour de 1 %, ils pourraient s’avérer bien plus élevés. Certains manufacturiers ont d’ailleurs établi des frais plafonds. Par exemple, le fonds BTCC de Purpose a plafonné son ratio des frais de gestion (RFG) à 1,50 %. « Dans notre cas, nous croyons que ces frais seront nettement inférieurs en raison des économies d’échelle réalisées sur les milliards d’actifs en cryptomonnaies que nous gérons », mentionne Som Seif.

« En plus des frais de gestion, il faut ajouter les frais d’opération (compris dans le RFG) des fonds de cryptomonnaies qui pourraient s’avérer très variables et élevés », souligne Andres Rincon. Et la négociation de contrats à terme implique plusieurs coûts. Les mainteneurs de marché vont acheter et vendre des contrats afin de neutraliser en tout temps leurs risques. « Ces frais incluent ceux qui sont liés au maintien des marges suffisantes dans le compte auprès du CME », précise Steve Hawkins. Il y a aussi des frais de marketing et d’autres frais légaux encore inconnus. A tout cela, l’investisseur devra ajouter les frais de commission liés à l’achat et à la vente du FNB lui-même

« On recherche des volumes quotidiens d’échanges élevés et un écart moyen entre le cours acheteur et le cours vendeur faible. Pour l’instant, on ne détient pas cette information », souligne Steve Hawkins. Il faudra attendre au printemps 2022 pour connaître l’ensemble des coûts annuels lorsque les premiers états financiers seront publiés.