Un homme d'affaire au milieu d'un enchevêtrement de route.
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Jusqu’en 2017, on ne comptait qu’un seul fonds négocié en Bourse (FNB) lié aux facteurs ESG inscrit à la cote au Canada, le iShares Janti Social Index, selon une étude de Valeurs mobilières TD (« ESG ETFs », juin 2021). Depuis, tout a explosé : en juin 2021 on en comptait 69, qui totalisaient un actif sous gestion de 6,4 G$ (à cela s’ajoutent 94 fonds communs ESG cumulant 17,3 G$ à la fin de 2020, selon l’Institut des fonds d’investissement du Canada). De plus, on trouvait en juin 11 FNB obligataires, « un développement assez récent », note Daniel Straus, directeur, recherche et stratégie en FNB, à la Financière Banque Nationale.

« Contrairement à ce qu’on trouve en Europe, c’est le « Far West » tant au Canada qu’aux États-Unis, commente Ian Tarn, directeur de la recherche en investissement chez Morningstar Canada. Il n’y a pas de cadre de référence commun et très peu de réglementation en matière de terminologie. Mais on est en voie d’y parvenir. On peut espérer avoir quelque chose en place à la fin de l’année. »

En attendant, le manque de normes et de références communes et la forte popularité de l’investissement ESG encouragent l’écoblanchiment (green washing), phénomène que les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont placé dans leur mire. On espère enrayer, ou tout au moins atténuer, les fausses déclarations et les représentations tendancieuses qui tentent d’attirer les investisseurs adeptes de l’ESG dans des produits d’investissement qui n’ont d’ESG que le nom.

Ce travail de normalisation importe particulièrement avec l’avènement des directives plus contraignantes sur la connaissance des produits découlant des réformes axées sur le client des ACVM. « Il faudra connaître son produit, rappelle Dan Hallett, vice-président et associé chez HighView Financial Group. Ces nouvelles règles feront peser une plus lourde responsabilité sur les firmes de conseil, mais aussi sur les conseillers eux-mêmes, car ils seront appelés à faire les choix pertinents parmi des centaines de produits offerts par leur firme. »

Daniel Straus décèle un certain aspect positif à ce foisonnement ESG: « On peut trouver un produit pour satisfaire à peu près à tous les goûts », dit-il.

Acteurs de l’écosystème

Encore faut-il s’y retrouver. Pour y parvenir, voici les principaux acteurs de ce secteur. Il y a l’émetteur de FNB, qui crée un fonds qui vise généralement à suivre un indice de référence ESG. Il peut parfois privilégier la gestion active.

Cet indice de référence peut être créé à l’interne par l’émetteur de FNB lui-même, ou, le plus souvent, provenir d’un tiers comme MSCI ou S&P. L’émetteur de fonds peut aussi s’associer avec une firme spécialisée dans la création d’indices afin de donner naissance à un indice personnalisé.

L’émetteur de fonds et le fournisseur d’indices vont souvent s’abreuver auprès de firmes d’analyse de données qui attribuent une note aux actions et aux obligations des entreprises émettrices de titres publics en fonction de divers critères. Ils utilisent différentes sources de données, dont les entreprises ellesmêmes, mais aussi des sources alternatives et des médias. Certains acteurs intégrés verticalement, comme MSCI, sont à la fois fournisseurs d’indices et analystes de données.

On intègre les facteurs ESG de différentes manières ou en en combinant plusieurs. Voici les principales. La vaste majorité des FNB ESG appliquent des filtres d’exclusion, comme les secteurs du tabac, de l’armement ou les firmes impliquées dans des controverses importantes (travail d’enfants, fraude, dommages à l’environnement, etc.), selon Valeurs mobilières TD. Certains FNB excluent davantage de secteurs (combustibles fossiles, énergie nucléaire, jeux de hasard, etc.) que d’autres fonds.

La majorité des FNB ESG vont également surpondérer les entreprises qui, au sein d’un secteur, affichent les notes les plus élevées par rapport à leurs pairs, aussi désignées du nom de leaders sectoriels. Certains FNB ESG sont des FNB thématiques qui mettent l’accent sur un des trois facteurs de l’ESG. D’autres FNB dits « d’investissement d’impact » ciblent des firmes qui s’attaquent aux problèmes de développement durable comme l’éradication de la pauvreté et l’approvisionnement des communautés en eau potable. Enfin, certains FNB intègrent les facteurs ESG de manière discrétionnaire, souvent en gestion active, dans un objectif de gestion de risques.

« Les FNB de type ESG peuvent avoir un large éventail de filtres et de méthodologies différents, ce qui se traduit par des objectifs et des composantes différents », résume ainsi l’étude de Valeurs mobilières TD.

Examinons la catégorisation de MSCI. Nous retenons le cadre d’analyse de cette société, car il domine le palmarès des FNB ESG (nous en dénombrons 18 dans le palmarès des 69 FNB de type ESG compilés par Valeurs mobilières TD).

Pour les trois piliers – Environnement, Société, Gouvernance -, MSCI relève 10 thèmes. Dans le pilier Environnement, il aligne 4 thèmes majeurs : changements climatiques, ressources naturelles, pollution et déchets, occasions environnementales. Sous ces 4 thèmes, on retrouve 14 enjeux, notamment les émissions de carbone au premier chef sous le thème des changements climatiques, suivi de l’efficacité énergétique et de l’empreinte carbone des produits. D’autres enjeux concernent la conservation de l’eau et la biodiversité, les déversements toxiques et les occasions d’affaires en énergie renouvelable et en clean tech.

Les 4 thèmes du pilier Société (capital humain, risques de produits, opposition de parties intéressées, occasions sociales) portent 15 enjeux, par exemple le développement du capital humain et la sécurité des produits, le traitement des travailleurs de la chaîne d’approvisionnement et l’accès à une aide financière, la gestion des employés et la confidentialité.

Enfin, les 2 thèmes du pilier Gouvernance (gouvernance d’entreprise et comportement de l’entreprise) recoupent 8 enjeux, notamment la diversité du conseil d’administration et la rémunération des dirigeants, la reddition de comptes aux actionnaires et les pratiques anticoncurrentielles.

La grille d’analyse de MSCI donne à une entreprise donnée une note pour chacun des 37 enjeux, selon des pondérations propres à MSCI et qui varie en fonction du secteur d’activité de cette entreprise. Puis, MSCI assigne une cote semblable à celle qu’un Standard & Poors attribuerait à une obligation: de AAA à CCC.

Analyser l’analyste

Bien qu’ils servent à structurer et à percevoir d’un coup d’oeil l’ensemble du secteur ESG, ces 10 thèmes et 37 enjeux ne simplifient pas les choses, car ils entraînent de nombreux croisements et rapprochements. C’est sans compter qu’ils peuvent diverger des évaluations d’autres firmes d’analyse importantes comme Truvalue Labs ou Sustainalytics. Les cotes des deux agences de premier plan, MSCI et Sustainalytics, « concordent rarement », constate Daniel Straus, ce qui accroît la complexité de l’investissement ESG.

Le cas de Microsoft est éloquent, fait ressortir Dan Hallett. Le titre de cette entreprise est au sommet de l’indice MSCI USA ESG Leaders. Sustainalytics estime pour sa part que sa valeur est considérée comme présentant un faible risque d’impacts financiers importants dus à des facteurs ESG. Une autre firme d’analyse lui donne une cote plutôt faible de 32 %, selon Dan Hallett.

Chaque firme d’analyse a donc ses valeurs privilégiées dont il faut tenir compte. C’est pourquoi Daniel Straus conseille de découper la recherche de FNB ESG en deux grandes catégories préliminaires: d’une part, les FNB à spectre large, qui intègrent les trois piliers de l’ESG, d’autre part, les FNB spécialisés dans un seul pilier, comme les FNB thématiques.

Pour choisir parmi les FNB à spectre large, selon Dan Hallett, « il faut non seulement analyser le FNB spécifique qui nous intéresse, mais aussi évaluer le modèle d’analyse sous-jacent », que celui-ci provienne de MSCI, de Truvalue, de Sustainalytics ou d’autres firmes moins connues comme Scientific Beta ou Act Analytics.

Les FNB ESG à spectre large démontrent une particularité, indique Dan Hallett: ils sont davantage orientés vers la réduction de risques que vers la mise en valeur proprement dite des thèmes ESG. Leur perspective est davantage « défensive », accordant une valeur égale au profil ESG et au potentiel de rendement des titres en portefeuille. Ces FNB tendent souvent à surpondérer les leaders sectoriels. On tâche de savoir si l’entreprise s’expose à des risques environnementaux, par exemple le déversement de déchets toxiques, ou à des risques de traitement injuste de ses employés, situations qui pourraient nuire au portefeuille.

Daniel Straus repère trois grands modèles de FNB ESG : à base quantitative, à base de valeurs, à gestion active. Le premier modèle domine nettement, ne serait-ce qu’à cause de la forte présence de MSCI, mais aussi de celle d’un Scientific Beta, par exemple, qui sous-tend une majorité de FNB ESG de Desjardins.

Le deuxième modèle, à base de valeurs, n’exploite pas des masses de données aussi larges que le premier, et privilégie plutôt certaines inclusions et certaines exclusions. Dans les inclusions, on va retrouver par exemple des producteurs d’énergie renouvelable ou qui embauchent des membres de diverses minorités. Dans ce modèle, on trouve plusieurs FNB ESG spécialisés qui se concentrent uniquement sur l’environnement ou sur les enjeux sociaux.

Attention, avertit Daniel Straus: un investisseur « doit être conscient du coût d’opportunité » rattaché à l’exclusion de certaines entreprises. Par exemple, parmi les entreprises canadiennes le plus souvent exclues des FNB ESG on trouve des noms comme Barrick Gold, TC Energie, Brookfield Asset Management et Canadian Natural Resources, note Daniel Straus.

Alors que les deux modèles précédents suivent le plus souvent un indice spécifique, le troisième modèle est le fruit de gestionnaires qui construisent eux-mêmes des portefeuilles ESG, recourant parfois librement aux firmes d’analyse comme MSCI ou d’autres.

Savoir ce qu’on veut

S’orienter vers les FNB ESG spécialisés ne représente pas moins un dédale, mais il n’exige pas de vérifier la grille d’une firme d’analyse. Cela permet d’adopter une approche plus « active » de l’investissement ESG pouvant aller jusqu’à l’investissement d’impact, une approche que la firme de Dan Hallett privilégie de plus en plus.

Ainsi, dans le pilier vedette de l’environnement où prennent place le plus grand nombre de ces FNB ESG spécialisés, on trouve une grande diversité. On repère des fonds qui investissent dans des entreprises à faibles émissions de carbone (plusieurs FNB à faible C02 de Desjardins), des fonds qui visent des entreprises productrices d’énergie renouvelable (Harvest Clean Energy ETF), des fonds visant des entreprises oeuvrant sur plusieurs plans dans l’enjeu des changements climatiques (Purpose Global Climate Opportunities Fund), des fonds qui recrutent uniquement des entreprises qui recourent à des crédits carbone (Evolve S&P 500 Clean Beta).

Dans la catégorie des facteurs sociaux, on trouve un faible registre de FNB, le plus fréquent étant axé sur l’avancement des femmes, où on trouve quatre fonds, comme le FNB indiciel MSCI Canada de leadership féminin Vision RBC ou le FNB mondial de leadership féminin Mackenzie. Par ailleurs, il n’y a aucun fonds spécialisé dans le troisième pilier de la gouvernance.

D’autre part, les FNB ESG exigent des frais plus élevés que les FNB généraux qui suivent les grands indices comme le S&P 500 ou le S&P/TSX 60. Le palmarès de Valeurs mobilières TD indique que ces frais s’échelonnent de 0,10 % à 0,25 %, le plus souvent pour les FNB à spectre large, comme c’est le cas pour ceux qui suivent un indice MSCI, à 0,75 % pour des fonds plus spécialisés ou à gestion active. En juin 2021, on établissait à 0,34 % les frais de gestion pondérés en fonction de l’actif sous gestion des 69 FNB listés par Valeurs mobilières TD.

Sur le plan financier, les fonds ESG se distinguent souvent par un fort biais « qualité », relève Daniel Straus : rendement du capital investi plus élevé, faible ratio dette/capitaux propres, profits stables. Par contre, leur performance générale n’est pas particulièrement distinctive. « On ne trouve aucune évidence, fait-il ressortir, que les FNB ESG surperforment ou sous-performent de façon consistante leurs indices de référence. En fait, leurs rendements dépendent largement de la fenêtre d’observation. Les stratégies ESG peuvent ajouter de la valeur dans certaines périodes, et en soustraire dans d’autres. »