Pleins de pouce vers le bas et au milieu, un homme d'affaire pas content.
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L’Autorité des marchés financiers (AMF) semble avoir perdu une partie du capital de sympathie qu’elle avait acquis l’an dernier.

En effet, les répondants au sondage mené dans le cadre du Pointage des régulateurs jugent plus sévèrement le régulateur québécois. Par rapport à 2018, l’AMF a vu sa note moyenne aux critères d’évaluation baisser en 2019. La baisse la plus marquée provient des répondants en assurance et en épargne collective.

Il faut dire qu’en 2018, l’AMF affichait des notes moyennes records à la fois de la part des répondants en assurance et en courtage de plein exercice, et sa deuxième meilleure note moyenne annuelle en épargne collective depuis 2010.

En 2019, les répondants accordent de faibles notes, entre autres quant à la capacité de l’AMF à tenir compte de l’impact financier de ses politiques sur l’industrie et quant à sa capacité à maintenir un fardeau réglementaire acceptable pour la firme.

« On développe toujours de la réglementation, mais on n’en élimine jamais comme prévu », indique un répondant. « Les décisions ne tiennent pas bien compte de la réalité et du fardeau supplémentaire que les entreprises doivent supporter en termes de conformité », dit un autre. « Les mesures sont très souvent non réalistes compte tenu des coûts », lance un autre.

« Le sondage montre que l’industrie est essoufflée, qu’elle trouve qu’il y a beaucoup de nouvelles règles et qu’elle n’a pas assez de temps pour digérer un changement avant qu’il y en ait d’autres », estime Carmen Crépin, ex-vice-présidente pour le Québec de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM).

Selon elle, les régulateurs doivent considérer qu’un changement dans la réglementation engendre souvent des changements technologiques, lesquels sont coûteux, longs et parfois incompatibles avec les anciens systèmes technologiques.

Les régulateurs devraient aussi réévaluer fréquemment les règles actuelles afin d’en évaluer leur pertinence, d’après elle : « On a beaucoup de règles. Ça fait 20 ans qu’on attend qu’on épure. » Elle se dit partisane d’un équilibre dans la réglementation :

« Si on réglemente à outrance ou on déréglemente à outrance, on peut avoir un vice. »

CarmenCrépindonnel’exemple de la phase deux du Modèle de relation client-conseiller : « Est-ce que les investisseurs comprennent mieux leur état financier ? Personnellement, je reçois plus d’affaires et je ne les comprends pas plus qu’avant. Ce sont de bonnes initiatives, mais quand on veut trop dire comment faire, on peut tomber dans le piège de mettre trop de règles, même si des règles, il en faut. »

L’AMF obtient aussi de faibles notes quant à sa sensibilité aux préoccupations des petites firmes. « Pour de petits cabinets comme nous, ça devient de plus en plus difficile de répondre aux exigences de la réglementation », dit un répondant. « La sensibilité de l’AMF envers les petits cabinets est élevée, mais il n’y a pas de changements importants qui sont apportés », indique une autre personne interrogée.

Actuellement, l’AMF est bel et bien sensible aux petites firmes, estime Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici Services financiers, qui admet avoir déjà fait ce genre de critique par le passé. « L’AMF fait un travail honnête en fonction des informations qu’elle a. C’est aux petites firmes et aux grandes firmes de faire valoir leur réalité pour documenter le régulateur », dit-il.

Selon Maxime Gauthier, cette critique découle du fait que l’AMF défend des enjeux fortement promus par des régulateurs d’autres provinces qui, eux, sont moins sensibles que l’AMF aux petites firmes. De plus, la sensibilité de l’AMF peut varier en fonction de la personne responsable du dossier à l’interne, comme lors d’une consultation publique, d’après Maxime Gauthier : « Il y a des gens qui sont extrêmement ouverts, pragmatiques et bienveillants. Ils veulent comprendre. Ils sont proactifs. Il y en a d’autres qui sont fermés, rigides, qui ne comprennent pas du tout la game et qui ne veulent pas la comprendre. »

Positions impopulaires 

D’ailleurs, les répondants en assurance ont accordé des notes plus faibles en 2019, par rapport à l’an dernier, pour le soutien de l’AMF lorsqu’il propose des changements, la clarté des règles et l’efficacité du processus de consultation.

« Pour avoir participé à une séance de consultation, [les gens de l’AMF] étaient là juste pour l’image. Je n’ai pas l’impression que l’opinion et les travaux faits par les gens consultés allaient changer quelque chose », note un répondant.

Carmen Crépin comprend cette critique. Selon elle, les régulateurs doivent se demander si leurs consultations ne sont pas seulement une manière d’annoncer leurs intentions : « Une vraie consultation permet de faire ressortir des avenues additionnelles et si les gens se cassent la tête pour proposer leurs idées, ils devraient penser que ces avenues peuvent finir par déboucher. »

Quoi qu’il en soit, les consultations de la dernière année plombent les résultats de l’AMF, selon Adrien Legault, directeur des finances, chef de conformité chez Aurrea Signature :

« Dans les résultats du sondage, l’AMF paie probablement pour avoir pris des positions impopulaires chez les représentants, comme le fait d’avoir voulu abolir la Chambre de la sécurité financière, de vouloir éliminer les frais d’acquisition reportés et de permettre la vente d’assurance par Internet. Cependant, de plus en plus, l’AMF se donne les moyens d’être un régulateur intégré et branché sur le réseau. »

On juge probablement aussi sévèrement l’AMF parce que beaucoup de responsabilités lui incombent, ce qui fait qu’elle déplaît inévitablement à certains, selon Adrien Legault : « L’AMF s’améliore chaque année. Les guides s’améliorent. La communication est meilleure. Elle pose des gestes pour nous faciliter la vie. »

« Je n’ai jamais eu autant de communication de l’AMF que dernièrement. On a lancé un cabinet et on a reçu un gros guide sur les obligations d’un cabinet. J’ai trouvé ce guide très intéressant. Le centre d’information de l’AMF est fantastique. Tu peux même envoyer un message pour qu’eux te rappellent pour ne pas attendre », ajoute-t-il.

Toutefois, l’AMF n’a pas encore pleinement joué son rôle de régulateur intégré, ce qui frustre certains, observe Adrien Legault : « Prenons le cas de l’employé d’une banque, qui est inscrit en valeurs mobilières, mais qui ne sera pas inscrit pour les assurances accessoires au prêt qu’il vend. C’est frustrant pour un représentant en assurance de personnes de voir que l’employé bancaire puisse vendre « la même chose que lui », mais que ce dernier n’a pas la même paperasse à remplir. »

De plus, l’AMF se fait aussi juger sur l’écart réglementaire entre la distribution de fonds communs et celle de fonds distincts, d’après Adrien Legault :

« En fonds communs, les règles sont plus sévères pour distribuer des fonds communs avec effet de levier qu’en fonds distincts. »

Par ailleurs, le fait que les courtiers en épargne collective doivent payer pour leurs inspections alors que les cabinets en assurance ne paient pas explique l’écart entre les notes des répondants de ces deux secteurs quant au critère sur l’efficacité des inspections, d’après Adrien Legault.

De la clarté, SVP ! 

Notons également que certains répondants critiquent le manque de clarté des règles de l’AMF. « C’est difficile de naviguer sur leur site web et leurs documents écrits sont difficiles à comprendre. Je suis anglophone, mais tout est fait et écrit en français. Il n’y a que quelques sections en anglais », dit un répondant.

« La façon dont les règlements sont écrits n’est pas claire, en particulier pour ceux qui ne sont pas avocats », dit un autre.

« Une bonne réglementation, bien appliquée, il faut qu’elle soit comprise par ceux à qui elle s’adresse. À ce moment, ils vont être capables de se conformer », rappelle Carmen Crépin.

Elle est partisane d’une instruction générale bien étoffée, afin que l’industrie comprenne l’intention de la règle et les bonnes pratiques. « Dans le secteur des valeurs mobilières, on a une réglementation qui est complexe. Quand la règle a une centaine de pages et que l’instruction générale en a tout autant, je comprends les commentaires que vous avez eus », résume Carmen Crépin.

Il est de bonne guerre que l’industrie soit exigeante envers ses régulateurs, car l’inverse est aussi vrai, selon Adrien Legault :

« À part quelques irritants administratifs, comme certains formulaires de l’AMF qui sont interminables et les systèmes de communication qui ne sont pas les meilleurs via clicSÉQUR, on a un excellent système et on a de bons régulateurs. »

ANALYSE DES COMMENTAIRES TOUCHANT L’AMF

Éléments sur lesquels les répondants étaient majoritairement positifs:

  • Son processus de consultation est bien meilleur que celui de son homologue ontarien.
  • Or, certains estiment que ce processus ne change pas grand-chose.
  • Le contact humain avec les inspecteurs est apprécié.

Éléments sur lesquels ils étaient divisés

  • Le régulateur tient compte de l’impact financier de ses politiques selon certains, mais d’autres sont en désaccord.
  • Certains jugent que l’AMF est sensible aux petites firmes, d’autres non.
  • Les inspections se passent généralement bien, mais parfois, les inspecteurs sont peu compétents, peu expérimentés. Certains jugent que les résultats de l’inspection sont décevants ou que le processus est lourd et peu utile.

Éléments sur lesquels ils étaient majoritairement négatifs

  • Le site web est à améliorer.
  • Les réponses aux questions de l’industrie ne sont pas assez précises. Certains déplorent que le régulateur reste souvent vague en évoquant l’esprit de la loi.
  • Les priorités de l’AMF ne sont pas claires.
  • La réglementation basée sur les principes crée de la confusion.
  • L’AMF utilise trop le papier.
  • L’AMF ne tiendrait pas compte de l’impact financier dans ses règles.
  • Plusieurs répondants en épargne collective ont de la difficulté avec le fait de payer pour les inspections et certains jugent la facture trop élevée.
  • La plateforme clicSÉQUR n’est pas facile à utiliser.

AVIS DE NOS COMMENTATEURS

Sur les inspections. Le contact humain avec les inspecteurs est apprécié, mais ceux-ci sont parfois peu expérimentés, selon Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici Services financiers. Cette situation peut augmenter indirectement le coût d’inspection pour le courtier en épargne collective ; ce coût s’élève à 96,50$ de l’heure par inspecteur.

« Pour un petit joueur comme nous, une inspection peut coûter de 10 000 à 15 000$. J’aimerais mieux qu’on trouve une autre façon de la financer. À ma prochaine inspection, il y aura trois inspecteurs. Chaque fois qu’ils me posent une question, le meter tourne. Chaque fois qu’on me demande de l’information supplémentaire, en plus de devoir la leur fournir, ça va me coûter plus cher. Il y a quelque chose de malsain dans cette relation. » « On paie pour les inspections en épargne collective, mais pas en assurance. Si on ne tient pas compte des coûts d’inspection, les frais de l’AMF sont très raisonnables », dit Adrien Legault, directeur des finances, chef de conformité chez Aurrea Signature.

Sur la perception que les consultations ne changent pas grand-chose. « Le régulateur a des orientations et on n’est pas nécessairement d’accord avec lui, mais les dés ne sont pas nécessairement pipés d’avance. Il ne suffit pas de faire un commentaire une fois à une personne pour que tout change comme par magie. Il faut s’assurer de dire notre commentaire de manière constructive, appuyée par des exemples et des faits concrets. Il faut le livrer aux bonnes personnes et le répéter plusieurs fois pour que l’idée fasse du chemin », estime Maxime Gauthier.

« Quand on consulte, quel est l’objectif ? Veut-on vraiment recueillir le point de vue et, si notre idée n’était pas bonne, on la change ? Ou alors on présente ce qu’on veut faire et on dit :

« Parlez-nous des impacts et s’il y a des impacts trop négatifs, on va en tenir compte. » Ce n’est pas la même chose, dit Carmen Crépin, ex-vice-présidente pour le Québec de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières. Dans le processus de consultation, il faut que les gens pensent qu’ils sont écoutés. Il faut contrer les gens qui disent : « Je parle et ça ne donne rien. » »

Sur la plateforme clicSÉQUR. « Du point de vue de l’utilisateur, c’est un calvaire. C’est vraiment lourd. Le conseiller en sécurité financière autonome doit soumettre sa police d’assurance lui-même pour son permis d’assurance et moi, comme courtier en épargne collective, je dois fournir la même copie de la même police d’assurance responsabilité professionnelle.

C’est le même gars, la même police, la même autorité », juge Maxime Gauthier.

Sur les priorités de l’AMF. « Je ne suis pas d’accord. L’AMF a des priorités. Peut-être qu’elle ne les communique pas suffisamment, mais, en même temps, je soupçonne fortement certains membres de l’industrie de trop peu s’informer », dit Maxime Gauthier.

« L’AMF a achalé les représentants en assurance avec les conflits d’intérêts sur les voyages et les incitatifs et je le comprends, parce qu’un ménage devait être fait. [En même temps, on tolère] que chez certains agents généraux, si un représentant vend une police d’un assureur tiers, il a 120 % de boni, mais s’il vend la marque maison, il va être payé avec un taux de boni de 180 %. Ce représentant peut pourtant dire à son client qu’il offre tous les assureurs. Dans les faits, il est payé presque le double s’il vend la marque maison, mais son client ne le sait pas », estime Adrien Legault.

Sur les coûts de la réglementation. « De plus en plus, la mise en place d’une réglementation peut impliquer des changements dans les politiques et procédures, dans la formation des employés et dans les systèmes. L’objectif en arrière d’une règle est toujours bon, soit de mieux protéger l’investisseur, mais si ça coûte trop cher, on se retrouve dans une situation où certains investisseurs n’ont plus accès à certains types de produits », dit Carmen Crépin.

« Pour beaucoup d’ordres professionnels, dans les premières années d’exercice, des rabais sont consentis pour l’obtention de permis, mais pas en services financiers. Si dans ton modèle d’affaires, tu as besoin de plusieurs cabinets, ils vont tous payer le même prix. Il n’y a pas de rabais au volume », dit Adrien Legault.

Pas du tout satisfait 8,5 %

Peu satisfait 10,2 %

Ni satisfait ni insatisfait 55,9 %

Satisfait 22 %

Très satisfait 3,4 %

Quel est votre niveau de satisfaction relativement à la possible abolition des frais d’acquisition reportés ?

Pas du tout satisfait 10 %

Peu satisfait 8,3 %

Ni satisfait ni insatisfait 26,7 %

Satisfait 26,7 %

Très satisfait 28,3 %

Source : sondage mené par Finance et Investissement