Un homme d'affaire avec un pouce en l'air, un pouce vers le bas.
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La Chambre de la sécurité financière (CSF) l’a échappé belle en 2018. En juin, les parlementaires de la commission des Finances publiques de l’Assemblée nationale maintenaient l’autonomie de ce régulateur alors que le projet de loi 141 le prédestinait à être absorbé par l’Autorité des marchés financiers.

Cette lutte pour sa survie, qui s’est menée notamment grâce à une offensive de charme envers les représentants, ainsi que son regard critique à l’égard de la distribution d’assurance sans représentant par Internet, explique en partie les résultats de la CSF, présentés dans le tableau de la page 21.

« On n’a jamais vu une aussi grande campagne de charme de la Chambre. C’est cette campagne de marketing qui paie dans ces résultats », estime l’avocat Adrien Legault, directeur des finances et chef de conformité chez Aurrea Signature.

La CSF récolte une note moyenne de 7,3 sur 10 de la part des répondants en assurance, soit une hausse de 1,1 point de 2017 à 2019. Cependant, les répondants en épargne collective se sont montrés plus critiques avec une note moyenne de 7,1, une baisse de 0,5 point de 2017 à 2019.

À l’instar des autres régulateurs, la CSF obtient de bonnes notes à l’énoncé : « Le régulateur est juste, équitable et convenablement ferme dans la façon d’appliquer ses politiques et ses règlements. »

La CSF obtient aussi de bonnes notes quant à l’équité des frais qu’elle perçoit. Le droit de regard des membres en assemblée générale sur les politiques de la CSF pourrait expliquer ces notes.

« Le seul coût de la Chambre, c’est la cotisation du membre. Si les membres disent non à une hausse, le conseil d’administration va devoir revenir avec une autre proposition », note Maxime Gauthier, chef de la conformité de Mérici Services financiers.

Il tempère également la détérioration de la note de la CSF au critère touchant sa proactivité à intervenir en cas de comportements déviants. « La CSF est condamnée à avoir une note décevante de ce côté, parce que, bien qu’elle puisse faire de la formation en déontologie, lorsqu’elle est appelée à agir, le crime a été commis », dit Maxime Gauthier.

Processus disciplinaire à revamper 

Adrien Legault s’étonne toutefois de la note de 7,4 sur 10 pour l’efficacité du processus d’audience disciplinaire de la CSF qu’ont accordé les répondants en assurance. Selon lui, la CSF devrait être jugée plus durement puisque les délais d’enquête du syndic de la CSF et d’audience disciplinaire sont trop longs, et les sanctions, trop sévères. « On a un système qui doit être revampé », résume Adrien Legault.

D’ailleurs, plusieurs commentaires recueillis par notre sondeuse arrivent à des conclusions semblables (voir l’encadré), dont celui-ci : « Le processus d’audience disciplinaire n’est pas efficace. Les délais atteignent plusieurs années et il n’y a pas de suivi. Le courtier est complètement à l’écart du processus puisqu’il n’est jamais informé », critique un répondant.

Voyons les principaux problèmes cernés par nos intervenants et par certains répondants au sondage.

On ratisse trop large lors des enquêtes. Lorsqu’un client ou un concurrent dépose une plainte contre un représentant pour un motif quelconque, le syndic qui examine son dossier va parfois creuser et trouver d’autres raisons d’envoyer le dossier devant le comité de discipline, déplore Adrien Legault. Or, il est rare qu’un représentant servant un client depuis 10 ans n’ait jamais fait d’erreur dans son dossier, selon lui : « À la CSF, on dirait qu’on a la culture « Tu as fait une erreur, on va déposer une plainte. » Toute erreur ne justifie pas de faire face au comité de discipline. »

On juge trop sévèrement des « erreurs administratives ».

« Des dossiers qui passent devant le comité de discipline pourraient être réglés de manière administrative », estime Maxime Gauthier. Selon lui, certaines erreurs dont la gravité objective est faible pourraient se régler en enjoignant au représentant de respecter une série d’engagements et en l’avertissant vivement des conséquences déontologiques qu’entraînerait le fait de répéter son erreur.

Adrien Legault abonde dans le même sens : « On frôle un peu des cas où une erreur administrative va être qualifiée d’erreur déontologique. Si dans un dossier notre ABF n’était pas parfaite, on va se faire taper sur les doigts. J’ai fait de la conformité pour d’autres ordres professionnels, et je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi sévère qu’à la CSF. »

Le processus d’enquête est long. Maxime Gauthier comprend que le syndic ait des ressources limitées et veuille suspendre les « dangers publics » en priorité, mais il juge ce processus un peu long. « Le représentant qui apprend qu’il fait l’objet d’une enquête se dépêche de fournir le stock pour l’enquête et n’a pas de nouvelle avant un an ou un an et demi, il vit un stress assez intense, dit-il. Son cabinet ou son courtier va probablement mettre des ressources additionnelles pour le superviser plus étroitement parce qu’il représente un risque. »

Le processus d’audience est long. « Souvent, les délais du comité de discipline font plus mal que la sanction », juge Adrien Legault. En effet, selon lui, on sous-estime les conséquences de ces délais. Prenons le cas d’un représentant dont le dossier se soldera par une réprimande du comité de discipline et dont l’avocat ne fait pas exprès de faire durer le dossier.

Après avoir constaté qu’un représentant figure au rôle d’audience, des assureurs risquent de résilier ou de suspendre leur contrat avec lui ou de refuser de le mettre sous contrat pour les 10 à 15 années qui suivent. « Ta prime d’assurance responsabilité monte. Ton courtier et ton agent général se mettent sur ton dos et te surveillent de manière plus importante. Il y a un coût et une lourdeur administrative, et tu as un risque de réputation auprès de tes clients. Si c’est quelqu’un qui n’a pas d’antécédent et que la gravité objective de ses actes n’est pas si élevée, est-ce qu’on peut seulement l’avertir ? » demande Maxime Gauthier.

À l’instar des tribunaux de droit commun, les magistrats du comité de discipline devraient faire pression sur les parties pour que les dossiers avancent plus rondement, selon Maxime Gauthier.

La jurisprudence du comité est trop pénalisante. « Pour certains dossiers qui passent devant le comité de discipline, les sanctions sont très lourdes par rapport à la gravité objective des gestes », estime Maxime Gauthier.

« Un représentant qui a mal rempli des documents administratifs va être radié six mois et payer une amende qui n’a pas de bon sens », déplore Adrien Legault. Encore une fois, on sous-estime l’effet d’une radiation qui est « une catastrophe pour la pratique d’un représentant », d’après lui.

En effet, le conseiller doit, après coup, essayer de récupérer ses contrats auprès des assureurs et retrouver un lien d’affaires avec ses clients qui ont parfois été dispersés auprès d’autres représentants, ce qui est loin d’être évident, selon Adrien Legault. Résultat, le représentant peut voir son bloc d’affaires s’évaporer et être ainsi forcé à quitter l’industrie.

L’avocat Gilles Ouimet, nommé syndic de la CSF en décembre dernier, devrait réévaluer la jurisprudence, sans pour autant assouplir les sanctions pour les fautes graves, selon Maxime Gauthier : « Le nouveau syndic et son équipe ont le droit de poser un regard professionnel. Est-ce que cette traque jurisprudentielle est encore la bonne ? Est-ce qu’on pourrait ne pas judiciariser des dossiers qui ne méritent pas de l’être ? »

Les amendes ne devraient pas financer la CSF. Selon Adrien Legault, les amendes récoltées par le greffe dans le cadre des audiences disciplinaires devraient aller dans un fonds qui n’est pas lié au financement de la CSF, afin de rendre ce régulateur indifférent au fait d’imposer ou non des amendes. « Actuellement, les amendes vont dans le budget de la CSF. C’est malsain », dit-il.

COMMENTAIRES PORTANT SUR LA CHAMBRE DE LA SÉCURITÉ FINANCIÈRE

Éléments sur lesquels les répondants étaient majoritairement positifs:

  • Ses communications sont assez rapides.
  • La CSF est à l’écoute de ses membres, notamment pour les frais imposés aux membres.

Éléments sur lesquels ils étaient majoritairement négatifs

  • Son processus d’enquête et d’audience disciplinaire est long et lent.
  • Le fait que le courtier ou l’agent général n’est pas informé des motifs des enquêtes touchant un représentant rattaché dérange.
  • Les sanctions du comité de discipline sont parfois lourdes par rapport à la gravité des gestes commis.
  • Les orientations de la CSF ne sont pas toujours claires.
  • Ses récentes publicités ont déplu à certains. Celles-ci ne mettaient pas en valeur le travail du conseiller.
  • En matière de formation continue, on devrait miser sur la qualité plutôt que sur la quantité.

AVIS DE NOS COMMENTATEURS

Sur le fait que le courtier ou le cabinet n’est pas informé de l’enquête. « Ce n’est pas le fun. On sait qu’il y a une plainte dans le dossier X, mais on n’a pas plus de détail. Le cabinet et l’agent général sont gardés dans le noir. Les suivis sont longs, alors qu’on nous donne 10 jours pour répondre à leur lettre. » – Adrien Legault, chef de la conformité, Aurrea Signature « Je comprends que la CSF veut protéger la présomption d’innocence du conseiller, mais mon but n’est pas de le culpabiliser avant le temps, mais de protéger mon organisation. On pourrait faire une modification de la réglementation qui dise que la CSF doit nous aviser, mais que nous n’avons pas le droit de prendre des sanctions à cause de cette enquête. » – Maxime Gauthier, chef de la conformité, Mérici Services financiers

Sur la campagne de publicité : « Je comprends que cette campagne n’a pas fait l’unanimité. Comme quasi-ordre professionnel, il y a une façon d’aborder les enjeux qui doit être plus professionnelle que de comparer les questions financières à des maladies vénériennes. » – Maxime Gauthier

Sur les orientations de la CSF : « Toute l’énergie publique et médiatique de la CSF a été consacrée à se défendre pour sa survie. On ne peut pas lui demander d’avoir une orientation claire dans ce contexte » – Maxime Gauthier

Sur la qualité de la formation : « Sur le marché, il y a des formations de piètre qualité, mais ce n’est pas la faute de la CSF. Il suffit que le formateur remplisse un formulaire pour lequel son cours a l’air d’être bien et obtienne son accréditation. Même si la formation est n’importe quoi et que la CSF refait des sondages auprès des participants pour vérifier si le cours répondait à leurs attentes et que ceux-ci sont complaisants dans leurs réponses, il n’y a aucun moyen de le savoir. La CSF en est consciente. Il y a une réflexion à avoir », dit Maxime Gauthier. Selon lui, la CSF pourrait, par exemple, demander aux participants si un élément précis a été abordé ou non et qu’est-ce qui a été dit exactement.