une tirelire avec un chapeau de fête
belchonock / 123rf

Le risque de longévité peut causer de sérieux dommages à un plan de retraite. Les conseillers pourraient bientôt être en mesure d’aider leurs clients à établir une meilleure planification financière en ayant une plus juste évaluation du nombre d’années que ceux-ci vivront. Comment ? En utilisant une nouvelle donnée basée sur la condition physique réelle du client : l’âge biologique.

C’est ce que propose le célèbre chercheur Moshe A. Milevsky, professeur de finance à l’Université York, à Toronto.

On ne vieillit pas tous à la même vitesse. En d’autres mots, l’âge de nos cellules ne témoigne pas nécessairement de notre âge chronologique. C’est ce que les scientifiques appellent l’âge biologique. Ainsi, Pierre, 50 ans, pourrait être «plus vieux» que Mireille, née la même année, parce qu’il vit dans un environnement malsain, mène une vie sédentaire et a des prédispositions génétiques qui le rendent plus vulnérable.

Mesurer notre âge réel

La médecine moderne permet maintenant d’estimer cet âge biologique grâce à des tests sanguins et de salive. On mesure le vieillissement de nos cellules notamment en évaluant la longueur des capuchons protecteurs (télomères) situés aux extrémités de nos chromosomes. Autre approche prometteuse : l’horloge épigénétique qui s’appuie sur les profils de méthylation de l’ADN, autrement dit, l’étude des changements dans l’activité des gènes par l’observation des modifications chimiques de l’ADN.

Dans le cas de Pierre et de Mireille, ces tests pourraient révéler un âge biologique qui diverge de leur âge chronologique de 10 ans, 15 ans, voire plus. Inutile de préciser qu’à l’approche de la retraite, un tel constat pourrait faire dérailler leur plan financier. Retenons également que l’âge biologique change tout au long de notre vie et pourrait donc être inférieur ou supérieur à notre âge chronologique à différents moments de notre existence.

Pour Moshe A. Milevsky, ce n’est qu’une question de temps avant que le concept d’âge biologique passe dans les moeurs. «Je ne serais pas surpris qu’une entreprise comme Apple crée d’ici cinq ans une application intégrée à nos montres intelligentes qui indique l’âge biologique des gens. Par exemple, en analysant la sueur», explique-t-il en entrevue.

Moshe A. Milevsky a publié au printemps un livre qui fait jaser : Longevity Insurance for a Biological Age : Why Your Retirement Plan Shouldn’t Be Based on the Number of Times You Circled the Sun.

Le chercheur tient à préciser que l’âge biologique ne révèle pas le moment où nous allons décéder, mais plutôt notre âge réel, celui de nos cellules. Il donne l’exemple de deux voitures de modèle identique achetées la même année : leur valeur et le moment où elles iront à la ferraille dépendront de l’usage qu’en feront leurs propriétaires, du kilométrage et des soins qu’ils y auront apportés.

Bien amorcer la conversation

Tout comme le montant d’épargne accumulé, l’âge est une donnée cruciale dans la planification de la retraite. Il permet de déterminer si on a assez économisé, combien on pourra dépenser et quand on pourra quitter son emploi.

«Bien que l’âge chronologique soit une bonne approximation, ce n’est pas une mesure adéquate pour calculer le nombre d’années que durera notre retraite», souligne Moshe A. Milevsky. L’âge biologique permet, d’après lui, de mieux calibrer la stratégie de retraite des épargnants et devrait faire partie de la conversation des conseillers avec leurs clients. Même si cet âge fluctue, il doit être pris en considération périodiquement, comme le sont les taux d’intérêt lorsqu’on renouvelle une hypothèque résidentielle, par exemple.

Mais à quel âge et, surtout, comment engage-t-on cette discussion avec les clients ? Autour de 40-45 ans, cela serait approprié, croit le professeur. C’est un moment où l’on commence à envisager de ralentir un jour : les enfants grandissent, l’hypothèque est remboursée tranquillement.

Il faut cependant adopter une approche prudente. «Le conseiller n’est pas un expert en biochimie. Il pourrait simplement poser les questions suivantes : « Avez-vous déjà subi un test afin de connaître votre âge biologique ? Avez-vous déjà discuté de cette notion avec votre médecin ? »», précise Moshe A. Milevsky.

Le représentant ou planificateur financier pourrait expliquer qu’il existe des techniques scientifiques et médicales qui permettent aujourd’hui de mieux mesurer l’âge de nos cellules, qui pourrait différer de l’âge chronologique. «On ajoute que, en tant que conseiller, on croit qu’il serait avisé d’utiliser l’âge biologique comme donnée dans le cadre d’une planification financière», dit-il.

Faire preuve de discernement

Supposons qu’un épargnant de 45 ans mesure son âge biologique et que le résultat soit assez près de son âge chronologique. Y a-t-il lieu d’agir ? «Si cet écart est de deux, trois ou quatre ans supérieur ou inférieur à l’âge chronologique, je ne crois pas que ce soit très révélateur, explique le professeur. Par contre, dès que cette différence atteint 5 ans, 10 ans, voire 15 ans, il y a plusieurs questions à se poser.»

Quand l’âge biologique est nettement inférieur à l’âge chronologique, on peut supposer que le client vivra plus longtemps qu’il ne le croit. On évaluera la pertinence d’acheter une rente viagère, surtout s’il n’a pas accès à un régime de retraite à prestations déterminées. On pourrait également modifier l’allocation d’actifs de cette personne en augmentant l’allocation en actions ou titres plus risqués, tout en respectant son profil de risque. Évidemment, on devra penser à retarder l’âge de la retraite ou, du moins, à réduire les montants décaissés.

En vieillissant, si cet écart entre l’âge biologique et l’âge chronologique se maintient et qu’il demeure bien inférieur, on songera à reporter des programmes comme la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) et la rente du Régime de rentes du Québec (RRQ) de 65 ans à 70 ans.

L’année de ses 71 ans, le retraité devra également se demander ce qu’il fera de son REER : le transformera-t-il en FERR ou en rente viagère ? «Si cette personne découvre en faisant le test que son âge biologique est de 50 ans, il y a de fortes chances qu’elle choisisse la rente viagère», affirme Moshe A. Milevsky. Inversement, si le résultat révèle qu’elle a 80 ans ou plus, on pourrait opter pour le FERR.

Dans un cas où l’âge biologique est nettement inférieur à l’âge chronologique, Daniel Laverdière suggère d’établir deux scénarios distincts pour chacune de ces données. «La projection biologique incorporerait un plan de décaissement assurant un coût de vie minimal au cas où l’âge biologique se révèle concluant et que cette personne vive encore après 85 ans, par exemple», indique le directeur principal, Centre d’expertise, à la Banque Nationale Gestion privée 1859.

La proposition d’Ottawa d’utiliser, dès 2020, le quart de son REER pour souscrire à une rente viagère différée jusqu’à 85 ans serait aussi un moyen intéressant de protéger le risque de longévité, d’après Daniel Laverdière.

Âge biologique avancé : attention !

Par ailleurs, le conseiller devra adapter le scénario de retraite avec le passage du temps. L’apparition d’un cancer, un accident de ski ou de vélo pourraient nécessiter une révision des projections.

«Cela se complique lorsque l’âge biologique est nettement plus avancé que l’âge chronologique, souligne Daniel Laverdière. On peut difficilement inciter quelqu’un à dépenser rapidement son épargne pour qu’il ne lui reste plus rien à 75 ans. Si cette personne se prend en main, change son style de vie et que son âge biologique diminue par la suite, on veut s’assurer d’avoir un coussin minimal, notamment en ayant des produits comme une rente de longévité.»

Dans le cas d’une personne âgée de 40 ans, mais ayant un âge biologique de 55 ans, on devra considérer l’achat d’une assurance vie. On pourrait peut-être aussi devancer le moment de la retraite et songer à décaisser plus rapidement son épargne-retraite. Il y a donc un risque que cet épargnant survive à ses actifs.

«Il y a toujours des risques. Le marché boursier peut s’effondrer à tout moment. Le conseiller doit donc mesurer la tolérance au risque de son client et lui présenter un ensemble de scénarios qui en inclut certains plus pessimistes», indique Moshe A. Milevsky.

Dans les années 1970 et 1980, la notion de tolérance au risque ne faisait pas partie des conversations des conseillers, rappelle le professeur. «Les temps changent. Un jour, la règle de connaissance du client obligera le conseiller à connaître l’âge biologique de celui-ci, dit Moshe A. Milevsky. La présentation et le marketing des produits financiers vont changer dans les prochaines années et s’adapteront à l’âge biologique.»

Les assureurs s’adapteront

Cela dit, il y a encore beaucoup de controverse quant à la bonne méthode à utiliser pour calculer l’âge biologique. «Mais les méthodes se raffinent et les résultats sont de plus en plus précis. Un jour ou l’autre, un consensus émergera de la communauté scientifique», soutient le chercheur.

Il n’existe donc pas encore de test fiable et uniforme pour mesurer l’âge biologique. «Quand ce sera le cas, je serais étonné qu’un épargnant puisse profiter de cette information aux dépens d’un assureur», dit Daniel Laverdière. En d’autres mots, il sera difficile de faire de l’antisélection où l’âge biologique serait connu seulement de l’assuré et pas de l’assureur. Tous connaîtront les règles du jeu et les assureurs réviseront leurs primes d’assurance ainsi que le prix des rentes viagères.

«Si l’assureur n’a pas accès à cette information, on présume qu’il pourrait demander au client : « Connaissez-vous votre âge biologique et utilisez-vous cette information pour acquérir une police ou une rente ? » S’il répond non alors que c’est le cas, il s’agirait d’une fausse déclaration et le contrat serait nul», explique Robert Landry, consultant en assurance de personnes et ancien vice-président exécutif d’AXA Canada.

Ce sont soit les clauses contractuelles qui seront adaptées à l’utilisation de l’information sur l’âge biologique, soit la tarification, ou les deux, selon Robert Landry. Les premières années, cependant, il pourrait en coûter plus cher aux assureurs pendant la collecte des données.

Effectivement, au Canada, les assureurs tarifent les risques en fonction de tables de mortalité. «Les actuaires ne peuvent faire ce qu’ils veulent. Un assureur qui veut modifier ces tables doit tenir compte de ses propres statistiques avec ses assurés. Il faut établir des liens statistiques en accumulant des données sur des dizaines d’années», explique Robert Landry. Ce n’est manifestement pas le cas en ce moment avec l’âge biologique.

Si cette donnée devient une pratique courante dans 15 ou 20 ans et qu’elle entre dans les dossiers médicaux des gens, il faudrait alors déterminer si l’âge biologique est une donnée génétique. «Le débat légal n’a pas encore eu lieu», précise Robert Landry. Une loi fédérale adoptée en 2017, la Loi sur la non-discrimination génétique, interdit à l’heure actuelle l’utilisation de tests génétiques et la discrimination génétique, notamment dans l’admissibilité à une assurance.