Un homme d'affaire avec des jumelles debout sur un toit d'immeuble observant l'horizon avec des jumelles.
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Le conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance (CCRRA) n’a toujours pas fait connaître le moment où la divulgation des frais des fonds distincts deviendrait obligatoire.

Toutefois, «le secteur des assurances devrait adopter des exigences de divulgation complète des frais de fonds distincts d’ici 2021», écrivait la Financière Manuvie dans un document à l’intention des conseillers intitulé «Changements réglementaires en 2018 et leur incidence sur vos affaires», publié en février dernier.

L’assureur y précise que «les nouvelles attentes en matière de divulgation des renseignements concernant les fonds distincts surviennent à un moment où une plus grande transparence est demandée dans le secteur des services financiers, surtout en ce qui concerne les frais».

Manuvie présente sa propre position de la façon suivante : «Il est important que les secteurs de l’assurance et des fonds communs de placement évoluent ensemble et de manière cohérente afin d’éviter toute confusion pour les clients et de maintenir des conditions de concurrence équitables entre les secteurs et les gammes de produits.»

«Dans la mire des régulateurs»

La note a fait réagir l’industrie. Pour bon nombre, la divulgation des frais payés aux conseillers lors de la vente de fonds distincts est écrite dans le ciel.

«La divulgation dans les fonds distincts est dans la mire des régulateurs. C’est une bonne chose, qui évitera le risque d’arbitrage réglementaire. Quand ce changement pourrait-il avoir lieu ? D’ici 2021 ? En 2022 ? En 2023 ? En 2024 ? Nul ne peut le dire… mais ça s’en vient !» affirme Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers.

Le patron de MICA précise que «dans une relation client, il faut viser la pleine transparence. Si on divulgue en y étant forcé, on y perdra en conviction.»

Même son de cloche chez le président de la Financière S_Entiel, Dominic Demers. «La divulgation dans les fonds distincts n’aurait rien de surprenant, car la transparence est à l’ordre du jour. Chez nous, on en parle déjà. Lorsqu’ils communiquent leur rémunération à leurs clients, les conseillers en sécurité financière expliquent en même temps les avantages des fonds distincts», dit-il.

Le processus de divulgation est «inévitable», enchaîne Robert Lachance, vice-président aux ventes, investissements et retraite au Groupe Cloutier. «Est-ce que cela se fera d’ici 2021 ? Personne ne saurait le dire. Selon moi, le calendrier de Manuvie est très plausible, affirme-t-il. On incite d’ailleurs nos conseillers à divulguer leurs commissions à leurs clients tout en leur démontrant l’importance des services fournis. Il faut expliquer ce qu’on fait et pourquoi on le fait. Si les clients sont hostiles à ces frais, c’est qu’on a mal expliqué. C’est alors un problème de communication.»

Selon Guy Duhaime, président-fondateur du Groupe Financier Multi Courtage, «étant donné la similitude entre les produits, il n’est pas logique de traiter différemment les fonds communs et les fonds distincts du point de vue de la conformité. Cela fait des années que nous sommes favorables à un traitement identique des deux types de produits.»

L’année 2021 comme date du dévoilement probable de la rémunération provient des discussions du groupe de travail sur les fonds distincts du CCRRA, signale Marie Gauthier, chef de la tarification et produits de placement garantis chez Manuvie. «À la Conférence sur la gestion de patrimoine et la retraite de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes [ACCAP] tenue à l’automne 2018, le CCRRA a exprimé le souhait que le secteur des assurances mette en oeuvre ses recommandations en matière de divulgation d’informations à l’horizon 2021», dit-elle.

La responsable des fonds distincts chez Manuvie laisse toutefois entendre que l’année 2021 n’est pas coulée dans le ciment. «Pendant de nombreuses années, l’objectif réglementaire principal des discussions sur la divulgation des fonds distincts a été l’harmonisation avec le secteur des fonds communs de placement, afin de s’assurer que le consommateur obtient une information complète et comparable. Toutefois, les discussions sur une prochaine phase de divulgation des coûts dans le secteur des fonds communs progressent plus lentement que prévu», signale Marie Gauthier.

Et personne ne sait comment elles se concluront.

Boîte de Pandore

Qu’arriverait-il si les autorités de réglementation en venaient à exiger la divulgation des renseignements sur les coûts liés aux fonds distincts ?

Gino-Sébastian Savard entrevoit certaines difficultés en raison de règlements qui ne concernent que les fonds distincts. «Prenons, par exemple, les frais de sortie qui peuvent être remboursés aux clients de fonds communs de placement. Cela, on ne peut pas le faire en fonds distincts. En voulant uniformiser des règles comme celle-ci, les régulateurs se rendraient compte, assez rapidement, qu’il y aurait pas mal de travail à faire !» dit le patron de MICA.

Pour sa part, le président et chef de la direction du Groupe AFL, Yan Charbonneau, soulève le danger d’ouvrir une boîte de Pandore. «Il est clair que le dévoilement de la rémunération se fera un jour. Par contre, si ce processus devait être mené par les autorités de réglementation, je redoute une certaine dynamique, déclare-t-il. À mon avis, le régulateur risque d’avoir une vision de dévoilement de commissions s’appliquant à l’ensemble des produits d’assurance, pas uniquement aux fonds distincts. Qui voudrait que les commissions accélérées [high and low] en assurance de personnes soient communiquées aux clients ? Si cela arrivait, l’effet pourrait être catastrophique», selon lui.

Le président du Groupe Financier Multi Courtage surenchérit : «Il est très difficile d’expliquer à ses clients la logique des commissions accélérées. Quand on regarde les commissions de première année, parfois ça pourrait paraître beaucoup. Mais il se trouve qu’on peut servir des clients pendant des années sans toucher un cent de renouvellement !» dit Guy Duhaime.

Et si Manuvie allait seule de l’avant ?

Dans sa communication aux conseillers, Manuvie soutenait que «le secteur des assurances devrait adopter des exigences de divulgation complète des frais de fonds distincts».

«Le secteur des assurances comprend toutes les compagnies d’assurance au Canada. Ces compagnies offrent des produits d’assurance incluant des fonds distincts», précise Marie Gauthier.

D’après Yan Charbonneau, «il est possible que ce géant de l’assurance n’attende pas le signal des régulateurs pour aller de l’avant dans le dévoilement des commissions. Manuvie pourrait ainsi préparer ses conseillers à l’idée de dévoiler leurs commissions d’ici 2021», dit-il.

Si Manuvie n’attend pas l’impulsion des régulateurs, deux possibilités pourraient en découler, poursuit Yan Charbonneau. «D’autres assureurs pourraient suivre les pas de Manuvie. Mais il se pourrait aussi que son initiative ne soit pas imitée par ses concurrents et que Manuvie se retrouve seule ou presque seule à signaler les frais payés pour les services des conseillers.»

Et si la seconde possibilité devenait réalité ? «Certains conseillers pourraient alors être tentés de placer leurs achats de fonds distincts ailleurs que chez Manuvie», avance-t-il.

Car contrairement aux conseillers en épargne collective, «la gestion de patrimoine n’est pas une priorité pour un bon nombre de conseillers en sécurité financière», affirme le président et chef de la direction du Groupe AFL.