Un homme d'affaire donnant un bâton de relais à un autre homme d'affaire.
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La qualité du soutien que les courtiers offrent aux conseillers lors du transfert d’un bloc d’affaires à la relève a gagné en importance en 2022 par rapport à 2021, selon le Pointage des courtiers québécois et le Pointage des courtiers multidisciplinaires.

En moyenne, pour les conseillers de plein exercice, l’importance qu’on lui accorde est passée de 8,5 sur 10 à 9,0 de 2021 à 2022, et pour les conseillers liés à un courtier multidisciplinaire, de 8,1 à 8,7 durant la même période. Pour les deux groupes, il s’agit de la plus forte progression dans l’importance relative d’un critère en un an.

En 2022, les notes moyennes québécoises pour ce soutien s’établissent à 7,9 sur 10 pour les courtiers de plein exercice et à 7,7 pour les courtiers multidisciplinaires, ce qui montre que les courtiers ne répondent pas bien aux attentes des conseillers.

Les programmes de relève mis en place par les courtiers sont importants pour les conseillers, mais l’évaluation que ces derniers font de la qualité du service rendu sur ce plan par leur courtier est inégale (voir « Perceptions polarisées » ci-contre).

Différents facteurs expliquent pourquoi les conseillers accordent davantage d’importance au soutien pour le transfert de blocs d’affaires. La pénurie de main-d’œuvre en est un.

« Avant la pandémie, pour l’embauche d’un professionnel de soutien, on pouvait recevoir sept ou huit CV. Aujourd’hui, on en reçoit très peu, et même pas du tout », relate Nancy Cyr, vice-présidente et directrice de marché chez BMO Gestion privée.

La pandémie a possiblement conscientisé certains conseillers, comme ce répondant d’Investia qui juge qu’il importe « d’assurer la pérennité et la continuité de la relation auprès des clients ». Évidemment, de nombreux conseillers se considèrent comme trop jeunes pour songer à la retraite, toutefois bâtir une relève n’équivaut pas nécessairement à prendre sa retraite, mais bien à une manière d’assurer la continuité de service aux clients, comme le dit un conseiller de BMO Nesbitt Burns : « Je suis loin de la retraite. Malgré cela, je suis dans un groupe de quatre conseillers en vue d’un plan de relève. »

Le vieillissement des conseillers eux-mêmes explique aussi l’importance accrue que l’on attache aux plans de relève.

À la Financière Banque Nationale (FBN), après avoir mis sur pied un plan de recrutement qui favorise les jeunes, on a réussi à plafonner le vieillissement. « Il y a environ 10 ans, l’âge moyen était de 51 ans. Aujourd’hui, il est encore de 51 ans », constate Steve Galimi, vice-président, stratégie et performance à la FBN, qui juge que le programme est un succès.

Bons plans

Souvent, quand on parle de relève, on pense au processus de vente et d’achat de clientèle entre conseillers. Or, dans les firmes, le processus commence bien avant avec le repérage et le recrutement de nouveaux conseillers.

Certaines recrues sont des conseillers expérimentés qui disposent déjà d’une clientèle. Cependant, « le plus souvent, on attire des jeunes et on les aide à bâtir leur propre clientèle », note André Langlois, vice-président, ventes et distribution, réseaux indépendants au Mouvement Desjardins. C’est seulement plus tard que surviennent les considérations d’achat de blocs d’affaires : « Ceux qui ont du succès après trois ou cinq ans, ajoute-t-il, peuvent représenter une recrue pour un conseiller. »

Ces recrues se retrouvent à l’intérieur d’équipes dans les succursales où ils apprennent le métier et se constituent une clientèle. Certaines firmes, notamment SFL, apportent un appui financier de plus en plus nécessaire pendant les 6 à 12 premiers mois. « Avant, les formules de rémunération permettaient de faire entrer de l’argent rapidement. L’abolition des frais différés rend cet appui d’autant plus important », souligne André Langlois.

Au moment du recrutement, tout repose sur le profil des candidats. Non seulement le jeune doit posséder quelques qualités intrinsèques, mais sa sélection se fait souvent en vue d’un appariement entre un junior et certains seniors susceptibles de vouloir vendre une partie ou la totalité de leur clientèle dans quelques années.

Chez les candidats, on recherche surtout la capacité relationnelle, en plus des compétences techniques qui vont de soi. On demande aussi un esprit d’entreprise pour le développement d’affaires et la capacité de s’automotiver. André Langlois distingue les « chasseurs » et les « fermiers » : « Plus souvent, dit-il, on veut un profil de chasseur, mais dans certaines situations, il faut des fermiers dotés d’un profil de service à la clientèle. »

Ces recrues forment le « club-école ». Parmi eux, on sélectionne en priorité les candidats susceptibles d’acquérir la clientèle de conseillers seniors. Là encore, rien ne se fait en un jour. Souvent, un candidat potentiel a déjà été pressenti pour travailler avec un senior et s’occupe d’une partie de la clientèle de celui-ci. « Si vous voulez bien vendre votre bloc d’affaires et que vos clients soient entre bonnes mains, il faut s’y prendre longtemps à l’avance », soutient Gino Savard, président de MICA Cabinets de services financiers. « L’idéal est un transfert sur cinq ans. »

Évidemment, tout se passe avec l’approbation du conseiller senior. Chez les conseillers en placement, une grande partie des décisions reviennent à l’administration, puisque les clients « appartiennent » ultimement à l’institution. Par exemple, elle va souvent évaluer le bloc d’affaires, piloter de plus près l’appariement des conseillers, établir les modalités de paiement. Chez les conseillers multidisciplinaires, en raison de leur statut d’entrepreneurs autonomes, toute décision repose sur eux, bien qu’ils puissent avoir l’assistance de la direction.

Dans la transition, un élément requiert un doigté particulier : la rétention des clients plus importants du portefeuille. Les gestionnaires avec qui Finance et Investissement a parlé jugent tous que, loin de retarder ces contacts, le junior doit les aborder le plus tôt possible. « Ça ne sert à rien que le junior travaille seulement sur les petits clients, insiste Gino Savard. C’est avec les gros clients que ça compte. Si le transfert est bon, on n’a pas loin de 100 % de rétention. Si les gros ne s’acclimatent pas au junior, ils vont partir. Ils sont très sollicités. »

À la FBN, on a mis en place trois programmes de transfert visant trois situations distinctes, explique Steve Galimi. Le programme Relais s’adresse aux conseillers qui veulent vendre 100 % de leur clientèle. L’Optimal est conçu pour les conseillers qui, ayant crû trop vite, veulent se départir d’une partie de leur clientèle, souvent leurs plus petits comptes. Enfin, le programme Oxygène permet à une recrue d’acheter une participation, par exemple de 20 %, de l’ensemble de la clientèle d’un senior. « La recrue devient ainsi un partenaire, parfois pour dégager du temps en vue de développer certaines clientèles spécifiques, comme un groupe ethnique ou les enfants des clients existants », souligne le directeur.

Dans les grandes institutions, celles-ci veillent elles-mêmes au financement d’un bloc d’affaires, alors que dans les réseaux indépendants, on fait appel à une banque ou, dans le cas de plus petits achats, signale Gino Savard, à un assureur. Le modèle de remboursement est assez standard, semble-t-il. Une première portion de la transaction, disons 50 %, est versée au vendeur dès la signature, celui-ci ne récoltant le solde que selon le degré de rétention des clients. Il y a toutes sortes d’exceptions à la règle. Par exemple, « certains conseillers vont vendre la totalité de leur bloc, quitte à le vendre moins cher, mais sans formule de rétention », fait ressortir Steve Galimi.

Soutien variable

Toutes les firmes du Pointage des courtiers de plein exercice et multidisciplinaires offrent du soutien à la transition de blocs d’affaires à la relève. Or, dans certaines firmes, un segment de répondants ignorent l’existence de ce soutien ; selon le sondage, ils sont en moyenne de 13 à 15 % dans cette situation. La proportion est plus importante dans certaines firmes, comme chez Valeurs mobilières Desjardins et Services d’investissement Quadrus. Certains réseaux auraient de l’éducation à faire de ce côté.

Ces différences de sensibilisation expliquent peut-être en partie l’éventail des commentaires des répondants, qui vont de très positifs à très négatifs. Par exemple, un conseiller de la FBN parle d’un « super accompagnement », alors qu’un autre dit : « Nous sommes laissés à nous-mêmes. » Un troisième déplore qu’il n’y ait pas vraiment de modèle : « On nous dit seulement qu’il y a autant de façons de faire qu’il y a d’équipes. Très difficile de naviguer dans tout ça. »

À ces doléances Steve Galimi répond : « Nous mettons à la disposition des nouveaux conseillers des experts qui peuvent les accompagner dans leur transition. De plus, nous avons également une équipe qui peut élaborer un plan de transition personnalisé pour les équipes, à la demande de celles-ci. Quant au troisième commentaire, notre programme est effectivement flexible en raison de notre grand nombre d’équipes. Cependant, nous avons développé une structure qui permet de bien répondre aux demandes des équipes de conseillers selon leur équipe ou leur région. »

Du côté de BMO, alors que la majorité des commentaires sont positifs et même élogieux, certains sont franchement cinglants. Ainsi, un conseiller tranche : « La firme ne sait pas ce qu’elle fait. Elle improvise au fur et à mesure. » Un autre dit : « J’ai déjà pris la relève de la clientèle d’un collègue dans le passé et je pourrais qualifier l’aide apportée de famélique. » Nous avons demandé à BMO sa réaction à ces opinions, mais elle a refusé de nous en faire part.

Chez MICA, un conseiller fait un reproche que nous avons relevé en quelques occasions ailleurs : « Il faut être proche de la garde rapprochée de la direction pour espérer avoir son occasion d’affaires. » Le propos, que Gino Savard s’explique mal, le laisse pantois. « J’aurais bien aimé, dit-il, qu’on vienne discuter de cette question avec moi. »