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La séparation de fait n’est pas l’équivalent d’une séparation légale. Et un client actuellement en couple, mais qui n’a pas encore obtenu un jugement de la Cour pour officialiser sa séparation de son ex-conjoint, doit en tenir compte, puisqu’il se pourrait que le bénéficiaire de son régime de retraite ne soit pas la personne qu’il croit.

La situation est d’autant plus complexe que les règles applicables varient selon le type de régime, que ce soit un régime public, comme le Régime de rente du Québec (RRQ), ou un régime chez un employeur.

D’abord, la situation peut sembler simple. «En cas de décès d’un participant à un régime de retraite, les différentes lois applicables octroient toutes une priorité au conjoint», expliquait l’actuaire de formation Martin Dupras, président de ConFor financiers, en 2013 dans Finance et Investissement.

Toutefois, là où le bât blesse, c’est lorsqu’il s’agit de déterminer qui est ce conjoint. S’agit-il du conjoint de fait avec lequel le client vit actuellement ou de l’ex-époux de ce client avec lequel les démarches légales de séparation ou de divorce ne sont pas finalisées ? Les différentes lois n’ont pas toutes recours à la même définition. D’où l’imbroglio.

RRQ

Pour le Régime de rentes du Québec, la prestation de décès est automatiquement versée au conjoint désigné comme tel au moment du décès du cotisant. La priorité va au conjoint marié du cotisant, explique l’actuaire Nathalie Bachand, de Bachand Lafleur Groupe conseil.

Ce n’est que s’il n’y a pas de conjoint marié, donc s’il y a eu un jugement officialisant la rupture, que le conjoint de fait sera considéré, à la condition qu’au moins trois ans de vie commune se soient écoulés ou un an si un enfant est né, a été adopté ou est à naître de cette union.

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En effet, la simple séparation de fait ne suffit pas pour que le nouveau conjoint supplante l’ex-époux. «Se qualifie donc comme conjoint survivant la personne qui, au jour du décès du cotisant, était mariée avec le cotisant et n’en était pas séparée légalement (séparée de corps). Il est à noter que la rente de conjoint survivant du RRQ peut, à certaines conditions, être versée au conjoint séparé légalement si le jugement de séparation légale a pris effet avant 1994», précise Shanie Lévesque-Baker, porte-parole de Retraite Québec.

Ce n’est qu’en absence d’un conjoint, ou en cas de renonciation de ce dernier, que l’on considérera un bénéficiaire désigné dans un testament ou établi selon les règles des successions établies au Code civil. Martin Dupras souligne que des règles spéciales sont appliquées lorsqu’un cotisant décède moins d’un an après son mariage ou son union civile. «Dans une telle situation, aucune rente de conjoint survivant ne sera payable au conjoint, à moins que la Régie ne soit convaincue qu’au moment du mariage ou de l’union civile, l’état de santé du cotisant laissait présumer qu’il vivrait pendant au moins un an.»

Régimes agréés québécois

Pour ce qui est des régimes de pension agréés chez un employeur sous juridiction provinciale (la majorité des entreprises), il faut se référer à la Loi sur les régimes complémentaires de retraite (LRCR).

«C’est la LRCR qui établit la définition de conjoint pour ces régimes et ils doivent s’y conformer», note Isabelle Monette. «Et cette dernière change au fil du temps. On a vu apparaître, par exemple, la notion de conjoint de même sexe ou encore celle d’enfant à naître», précise l’associée du cabinet d’actuaires Normandin Beaudry.

Le législateur québécois fait preuve de cohérence, car, tout comme pour le RRQ, la priorité ira au conjoint marié. Notons que Retraite Québec encadre ces régimes. Un nouveau conjoint de fait ne sera désigné bénéficiaire que s’il y a eu un jugement de divorce et que la vie commune dure depuis plus de trois ans ou un an si un enfant est né de l’union, a été adopté ou est à naître.

Tant Nathalie Bachand que Martin Dupras soulignent toutefois ici une incongruité.» Le défunt-participant ne devrait pas être marié ou séparé de corps de quelqu’un, tandis que le non-participant (le nouveau conjoint) peut être marié ou uni civilement à un autre», remarque Martin Dupras. Situation plutôt cocasse qui peut potentiellement créer une certaine injustice. Par exemple, un cotisant au régime d’Hydro-Québec non marié ou divorcé n’aurait aucun droit au régime de son nouveau conjoint, cotisant également au régime d’Hydro-Québec, qui serait toujours marié ou simplement séparé de corps tandis que ce dernier pourrait toucher des sommes du régime du premier !

Un autre critère important est le moment auquel se fait cette désignation de bénéficiaire.

«La désignation se fait soit à la retraite ou au décès, suivant celle de ces options que retient le régime. Toutefois, dans le cas où le décès survient le plus tôt, la qualité de conjoint s’établit au jour qui précède le décès. C’est le conjoint au moment de cette désignation qui recevra toutes les prestations qui pourront découler du régime», souligne Isabelle Monette qui administre de nombreux régimes de juridiction autant provinciale que fédérale.

«Par exemple, si le cotisant marié depuis 35 ans divorce et se fait un conjoint de fait, c’est ce dernier, s’il satisfait aux critères sur la durée minimale de vie commune, qui recevra toutes les prestations au détriment de l’ancien conjoint», précise l’associée de Normandin Beaudry. Aucune répartition tenant compte des durées respectives des deux unions durant la période d’accumulation ne sera effectuée. Il faut toutefois tenir compte, qu’au Québec, tout projet d’entente de divorce, à moins d’une renonciation, est soumis à l’attention d’un tribunal qui déterminera si le tout est équitable.

Cependant, dans la pratique, Isabelle Monette remarque qu’il arrive que le nouveau conjoint renonce à ses droits. «La loi permet au conjoint de renoncer à ses droits, permettant du coup au cotisant de nommer un bénéficiaire de son choix», ajoute-t-elle. «J’ai vu des situations où le nouveau conjoint disait que cela n’avait pas de sens qu’il soit le seul bénéficiaire après si peu d’années de vie commune au détriment, par exemple, des enfants issus de la première union du cotisant et qu’il accepte par conséquent de renoncer à ses droits», illustre-t-elle.

Isabelle Monette note qu’il est plus facile d’aborder ces questions au moment de la retraite ou alors que le nouveau conjoint vient de se qualifier à titre de bénéficiaire plutôt qu’au décès. De plus, après la retraite, le partage s’effectue sur la valeur des droits accumulés et non pas sur la rente en cours de versement. Un partage pourrait réduire le montant de cette rente de plus de la moitié parce que sa valeur diminue avec le temps.

Régimes agréés fédéraux

C’est la Loi sur les normes de prestation de pension qui régit les régimes auprès d’un employeur de juridiction fédérale (principalement les banques, les sociétés de transport et les télécoms). «Pour ces régimes, le conjoint est celui qui vit maritalement avec le participant depuis au moins un an, qu’il soit du même sexe ou de sexe opposé, qui aura la priorité, et non le conjoint marié», résume Isabelle Monette.

Donc, contrairement aux lois québécoises, la loi fédérale privilégie le nouveau conjoint par rapport à l’ancien conjoint s’il n’y a pas eu de jugement. Martin Dupras ajoute de son côté que la loi fédérale ne reconnaît pas l’union civile aux fins de prestations de décès, sauf que des conjoints unis civilement depuis au moins une année tombent sous la définition de conjoints de fait.

Régime des employés du gouvernement du Québec

On parle ici des principaux régimes québécois qui ne sont pas soumis à la LCR, dont le plus important est le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP). Nathalie Bachand soulève une nuance importante quant au RREGOP. Le conjoint toujours marié aura la priorité, même si le participant ou retraité a refait sa vie avec un nouveau conjoint de fait. Ce nouveau conjoint de fait ne sera bénéficiaire que si le mariage ou l’union civile du participant est dissoute à la suite d’un jugement en bonne et due forme et autant, comme de raison, que la nouvelle liaison dure depuis plus de trois ans (ou un an s’il y a un enfant né ou à naître de l’union). De plus, il faudra que ce nouveau conjoint soit lui aussi non marié ou divorcé, et non pas simplement séparé de fait. «Ni le défunt-participant, ni le conjoint-survivant ne doit être marié ou séparé de corps», résume Martin Dupras.

Shanie Baker-Lévesque, de Retraite Québec, martèle pour sa part : «Le conjoint survivant est la personne qui est mariée avec le participant au régime (ou la personne retraitée), même si elle était séparée légalement (séparation de corps)». Elle précise encore que «lors d’une demande de rente de conjoint survivant, l’admissibilité du conjoint survivant est établie en considérant l’état matrimonial de la personne décédée au jour du décès».

Régime de fonctionnaires fédéraux

Pour ce qui est des fonctionnaires fédéraux, c’est le nouveau conjoint de fait, si la vie commune dure depuis au moins un an, qui aura la priorité sur le conjoint marié si les liens du mariage n’ont pas été dissous officiellement. Toutefois, une attention particulière doit être apportée ici. «En effet, les deux conjoints pourraient se partager la prestation en fonction des années de vie commune», met en garde Nathalie Bachand.

Ici, comme pour les régimes complémentaires provinciaux, la désignation se fait à la retraite ou au décès, selon les stipulations du régime. Toutefois, si le décès survient en premier, la qualité de conjoint s’établit au jour qui précède le décès, et c’est donc le conjoint au moment de cette désignation qui recevra toutes les prestations qui pourront découler du régime.

Par ailleurs, pour les régimes sur-complémentaires ou les régimes de retraite individuels (RRI), qui ne sont pas soumis à la LCR, la définition de conjoint sera souvent la même que celle prévue à cette loi, mais pas nécessairement.