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Dans la récente affaire CreUnite1, le Tribunal administratif des marchés financiers (Tribunal) est intervenu pour bloquer l’émission d’une nouvelle cryptomonnaie trois jours avant le lancement envisagé. Cette décision permet d’éclaircir la position de l’Autorité des marchés financiers (AMF) par rapport aux obligations des émetteurs de certains types de cryptomonnaies. Elle donne également un aperçu des méthodes qu’emploie l’AMF pour enquêter sur les émetteurs de cryptomonnaies qui utilisent des plateformes technologiques en ligne.

CreUnite et ses fondateurs, par l’intermédiaire d’un site Internet et d’une page Facebook, sollicitaient des individus pour qu’ils investissent dans CreUnite par l’acquisition de jetons «CUT» sur une plateforme en ligne basée sur la technologie blockchain. Les jetons CUT étaient présentés comme une cryptomonnaie permettant d’obtenir un important rendement de l’investissement initial, y compris des gains et des bonus variant de 25 % à 100 % pour les premiers acheteurs. La vente des jetons devait servir à financer un site web destiné à mettre en relation des inventeurs, des fabricants, des professionnels et des bailleurs de fonds afin de mettre au point des inventions. Il était également envisagé que les jetons seraient inscrits sur des plateformes d’échange de cryptomonnaies et que leur valeur fluctuerait selon l’offre et la demande.

Seulement quatre jours avant le lancement prévu des jetons, une enquêteuse de l’AMF a infiltré le projet en se faisant passer pour une investisseuse intéressée. Elle a contacté un des fondateurs de CreUnite qui, sans savoir qu’il était sous enquête, lui a expliqué le projet et a fait miroiter d’importants rendements de l’investissement considéré. L’enquête a démontré que ni CreUnite ni ses fondateurs n’avaient soumis de prospectus à l’AMF et qu’ils n’étaient pas inscrits comme courtiers ou conseillers.

À la lumière de ces faits, le Tribunal a conclu que le projet était un contrat d’investissement assujetti aux obligations de prospectus et d’inscription. En effet, le jeton CUT était offert à l’investisseur comme une occasion d’investissement, avec rendements, dans un projet d’entreprise dont la réussite dépendrait des efforts des fondateurs. Au terme du projet, il était envisagé d’inscrire les jetons CUT sur des marchés de cryptomonnaies et de permettre qu’ils soient négociés à des prix qui fluctueraient selon l’offre et la demande. Le Tribunal a jugé au final que l’achat des jetons CUT constituait en réalité un investissement assujetti à la réglementation des valeurs mobilières comme tout autre placement de valeurs. Ainsi, selon le Tribunal, CreUnite et ses fondateurs avaient enfreint la réglementation en omettant de respecter leurs obligations d’inscription et de prospectus.

Le Tribunal a donc interdit à CreUnite et ses fondateurs d’exercer toute activité en vue d’effectuer toute opération sur toutes formes d’investissement, dont la sollicitation d’investisseurs, au Québec ou à l’étranger. Il a également ordonné que le site Internet et la page Facebook de CreUnite soient fermés et que soit retirée toute annonce ou sollicitation de la nature d’une forme d’investissement par CreUnite et ses fondateurs.

Il est important de noter que l’assujettissement des cryptomonnaies à la réglementation des valeurs mobilières demeure une question d’actualité. Il convient de distinguer les cryptomonnaies qui, comme les jetons CUT, servent d’outils pour financer des projets de celles qui servent d’accès à des services ou à des jeux en ligne2. Les premières constituent des valeurs mobilières assujetties, alors que celles qui appartiennent à la deuxième catégorie peuvent, dans certains cas particuliers, être qualifiées de commodités. Comme la distinction est subtile, il est conseillé de consulter un avocat spécialisé en réglementation des cryptomonnaies avant de mettre celles-ci à la disposition du public.

1.Autorité des marchés financiers c. CreUnite, 2018 QCTMF 8

2.Voir par exemple la décision de la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique, rendue en 2017, de classifier les CryptoKitties comme des commodités non assujetties à la réglementation des valeurs mobilières.

* associée chez McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l. Rédigé en collaboration avec Me Anna Bronshteyn, Me Laure Fouin et Me Gabriel Querry. Le présent article ne constitue pas un avis juridique.