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Deux cas récents de demande d’autorisation d’intenter une action collective ont fourni de précieuses directives aux émetteurs sur la manière de déterminer si un « changement important »[1], qui nécessite une divulgation rapide au public, s’est produit. Nous avons abordé le premier cas, la décision Markowich[2], dans un article précédent publié sur ­finance-investissement.com. La présente affaire, Peters[3], concerne ­SNC-Lavalin, une entreprise qui a été confrontée à des accusations de fraude et de corruption en 2015.

La société a reconnu en 2015 que ces accusations pourraient avoir un impact majeur sur sa réputation et son activité commerciale. De plus, ­SNC-­Lavalin a admis qu’il existait une possibilité d’être exclu des appels d’offres de projets canadiens pour une période pouvant aller jusqu’à dix ans.

En 2018, les avocats de ­SNC-Lavalin ont entamé des discussions avec les procureurs fédéraux dans le but de négocier un accord de réparation pour mettre fin aux poursuites pénales. Cependant, le 4 septembre 2018, les procureurs fédéraux ont informé ­SNC-Lavalin qu’ils n’inviteraient pas l’entreprise à négocier un tel accord de réparation, lequel aurait permis de résoudre la poursuite pour fraude et cor­ruption. Ils ont cependant déclaré qu’ils étaient disposés à recevoir d’autres soumissions de SNC-Lavalin sur ce sujet.

Cette information a été divulguée par ­SNC-Lavalin en octobre 2018, ce qui a entraîné une chute de 13 % de la valeur de ses actions sur le marché.

Le plaignant dans l’affaire, monsieur Pe­­ters, a demandé l’autorisation d’intenter une action collective sur le marché secondaire contre ­SNC-Lavalin pour ne pas avoir divulgué un changement en relation avec les poursuites pour corruption. Il a affirmé que ­SNC-Lavalin avait l’obligation de divulguer le contenu de l’appel du 4 septembre 2018.

Au ­Canada, les émetteurs publics sont tenus d’informer le public de tout changement important, soit un changement dans leurs activités commerciales, leur exploitation ou leur capital dont il est raisonnable de s’attendre qu’il aura un effet appréciable sur le cours ou la valeur de leurs valeurs mobilières.

Le juge a refusé la permission pour autoriser l’action collective, soulignant que l’appel téléphonique contesté n’avait pas modifié la nature du risque, mais seulement l’ampleur de ­celui-ci. Avant l’appel, le public savait qu’il y avait un risque que ­SNC-Lavalin puisse être trouvée coupable de fraude et de corruption. Le même risque existait après l’appel. De plus, l’appel n’a pas fermé complètement la porte à la possibilité que ­SNC-Lavalin soit invité à négocier un accord de réparation. Cependant, il faut noter que la probabilité de matérialisation du risque, c’­est-à-dire l’éventualité d’une condamnation de ­SNC-Lavalin, a augmenté après l’appel téléphonique puisqu’il devenait maintenant moins probable que SNC-Lavalin réussisse à négocier un accord de réparation avec les autorités. La cour a déterminé que l’appel téléphonique ne représentait pas un changement important au sens de la Loi sur les valeurs mobilières, étant donné que la nature du risque est restée inchangée, bien que l’ampleur du risque ait changé.

La cour d’appel a confirmé la décision du juge de première instance, statuant que l’appel téléphonique contesté n’avait pas entraîné de changement dans les activités commerciales, l’exploitation ou le capital de SNC-Lavalin.

Une leçon importante à tirer de cette décision est la nécessité de faire la distinction entre la réaction du marché à un événement et la question de savoir si l’événement ­lui-même a entraîné un véritable changement au sein de l’entreprise. La détermination d’un changement important ne doit pas être basée sur la réaction du marché à cet événement. En d’autres termes, il ne suffit pas que le marché réagisse à un événement pour que ­celui-ci soit considéré comme un changement important dans les activités de l’entreprise.

*Avocate émérite, associée chez ­McCarthy ­Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r. l., avec la collaboration de Me­ Pierre-Gabriel ­Grégoire, ­CPA et avocat chez ­McCarthy ­Tétrault, et de ­Karolina ­Kasparov, étudiante en droit chez ­McCarthy ­Tétrault.

Le présent article ne constitue pas un avis juridique.

[1] Défini à l’article 1 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario, L.R.O. 1990, chap. S.5 [Loi sur les valeurs mobilières].

[2] Markowich v. Lundin Mining Corporation, 2023 ONCA 359. [Markowich]

[3] Peters v. SNC-Lavalin Group Inc., 2023 ONCA 360. [Peters]