Un marteau judiciaire sur un bureau et une balance de droit avec des livres de droit à côté.
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Cet article, qui porte sur l’affaire ­Turpin c. TD ­Asset ­Management[1], fait suite à un premier article intitulé « ­Les obligations des fiduciaires de fonds d’investissement », qui présentait les conclusions de la cour sur les devoirs fiduciaires de ­TD ­Asset ­Management inc. (« ­TDAM »), un gestionnaire d’un fonds commun de placement. Dans le présent article, nous abordons, entre autres, les principes qui se dégagent de l’analyse de la cour sur les stratégies d’investissement utilisées par ­TDAM. Notamment, on y apprend que la cour n’est pas outillée pour remettre en question les décisions d’investissement des gestionnaires de portefeuilles a posteriori pour autant qu’elles aient été prises de bonne foi et dans l’intérêt des porteurs de parts.

La cour ne peut interférer avec le jugement des gestionnaires de portefeuilles

Dans ­Turpin, le demandeur a fait valoir que ­TDAM a des politiques ou des procédures qui font en sorte que le Canadian ­Equity ­Fund (« ­CEF ») suit de près un indice de référence. Selon le demandeur, ces politiques limitent le pouvoir discrétionnaire du gestionnaire dans la gestion du fonds. Cela a pour effet de limiter les risques que peut prendre le gestionnaire de portefeuille et d’empêcher le CEF de surpasser l’indice de référence. Le demandeur dénonce cette stratégie d’investissement puisqu’elle ne concorde pas avec l’objectif du fonds déclaré publiquement.

La cour a conclu que ­TDAM n’a pas agi ni mis en place des politiques ou des procédures qui auraient
limité la marge de manœuvre du gestionnaire de portefeuille dans sa gestion du ­CEF. Si la mise en place de telles politiques s’était avérée exacte, il y aurait effectivement eu un fondement pour l’action du demandeur vu l’objectif déclaré du ­CEF, qui était de surpasser la performance de l’indice de référence. Toutefois, la preuve étalée au procès démontrait plutôt que le gestionnaire de portefeuille prenait des risques et adoptait une stratégie d’investissements qui avait comme but véritable de surpasser l’indice de référence. La cour explique qu’il ne serait pas approprié d’émettre des doutes ou d’interférer avec le jugement des gestionnaires en ayant le bénéfice du recul.

Il faut consigner l’utilisation des mesures financières et le raisonnement d’investissement

Dans ­Turpin, afin de déterminer s’il était question d’un fonds reproduisant uniquement l’indice de référence (closet index fund) sans gestion active des investissements, la cour a fait l’analyse de différentes mesures financières. Selon elle, les mesures financières peuvent être utiles pour détecter un fonds qui reproduirait uniquement l’indice de référence. Toutefois, la cour écrit qu’il faut également faire un examen qualitatif plus approfondi des circonstances ­sous-jacentes pour parvenir à la conclusion qu’il y avait une stratégie en place ayant véritablement pour but de reproduire uniquement l’indice de référence.

Afin de déterminer s’il y avait de la « gestion active », la cour a tenu compte des motifs d’investissement de M. O’Brien, le gestionnaire du fonds. Bien que cela ne soit pas requis par ­TDAM ou par la réglementation en valeurs mobilières, le gestionnaire du fonds consignait ses motifs d’investissement dans un ­aide-mémoire. Cela a permis à la cour de faire un examen qualitatif du fonds et de conclure que, même si le ­CEF est proche de l’indice de référence, ce n’est pas un fonds qui ne fait que le reproduire. En effet, les notes contemporaines des motifs d’investissement ne mentionnaient nulle part l’indice de référence. Les gestionnaires de portefeuille devraient donc être encouragés à conserver des notes contemporaines sur les justifications de leurs opérations puisque la cour peut en tenir compte lorsqu’elle détermine la stratégie d’investissement réellement utilisée.

Principes clés à retenir

En conclusion, l’affaire ­Turpin met en évidence l’importance de la confiance accordée aux gestionnaires de portefeuille dans leurs décisions d’investissement, pour autant qu’elles soient prises de bonne foi et dans l’intérêt des porteurs de parts. La cour a souligné qu’elle ne peut interférer avec le jugement des gestionnaires de portefeuille rétrospectivement. L’utilisation de mesures financières peut être utile pour détecter les fonds closet index, mais un examen qualitatif des circonstances est également essentiel pour établir la stratégie d’investissement réelle. Enfin, cette affaire rappelle aux gestionnaires de conserver des notes contemporaines justifiant leurs décisions.

 

Julie-Martine Loranger est avocate émérite, associée chez McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L.,

s.r.l., avec la collaboration de Me Pierre-Gabriel Grégoire, CPA et avocat chez McCarthy Tétrault, et de Maria Caria Chiara et Vincent Leduc, étudiants en droit chez McCarthy Tétrault. Le présent article ne constitue pas un avis juridique.

[1] Turpin c. TD Asset Management, 2022 BCSC1083.